Dans un entretien accordé à Cameroon Tribune, Hubert Ndé Sambone, directeur de l'Agence nationale d'investigation financière (Anif), a indiqué que le pays se donne jusqu'à la fin de 2026 pour quitter la liste grise du Groupe d'action financière (GAFI). Cette déclaration intervient quelques jours après la confirmation, le 24 octobre 2025, par l'organisme intergouvernemental, du maintien de Yaoundé sur la liste des juridictions " sous surveillance accrue ".
" Nous nous fixons nous-mêmes comme date butoir la fin 2026. Nous allons nous battre pour que le Cameroun sorte de cette liste à cette date ", a affirmé le patron de l'Anif. Initialement, le pays espérait une levée de cette mesure à l'échéance de septembre 2025. Mais le GAFI a jugé que certaines réformes engagées par les autorités demeuraient insuffisantes.
Selon Hubert Ndé Sambone, l'Anif a transmis au GAFI un cinquième rapport de suivi, censé être le dernier du plan d'action convenu. Or, " le niveau de mise en œuvre de certaines actions recommandées n'était pas encore satisfaisant ", a-t-il reconnu. Ces retards concernent notamment la supervision des professions non financières assujetties à la réglementation anti-blanchiment. Le Règlement communautaire de la CEMAC du 20 décembre 2024 a prévu que cette supervision soit assurée par les administrations de tutelle ou les organismes d'autorégulation. " Il est maintenant question de mettre en place des protocoles de supervision et de former les superviseurs ", a-t-il précisé.
Le directeur de l'Anif cite également la supervision des organisations à but non lucratif (OBNL), considérées comme potentiellement vulnérables au financement du terrorisme. Un groupe de travail interministériel a produit un rapport d'évaluation des risques, mais celui-ci n'a pas encore été validé par le GAFI, qui a demandé des ajustements.
Une exécution lente du plan d'action
Dans sa note du 24 octobre, le GAFI relève que le Cameroun doit encore renforcer la supervision du secteur financier non bancaire, améliorer la transparence sur les bénéficiaires effectifs des entreprises et intensifier les enquêtes liées au blanchiment et au financement du terrorisme. Sur les 24 points d'action identifiés depuis juin 2023, seuls huit auraient été " largement remplis ", soit un taux d'exécution inférieur à 40 %.
Cette lenteur avait déjà suscité, en juin dernier, un rappel à l'ordre du ministre camerounais des Finances, Louis Paul Motaze. À l'ouverture de la première session du Comité de coordination des politiques nationales LBC/FT, il avait dénoncé des retards " inacceptables " dans la mise en œuvre des engagements pris auprès du GAFI. " Où est le problème ? Pourquoi tant de lenteurs alors que nous avons défini ce plan nous-mêmes ? ", s'était-il interrogé.
Plusieurs réformes sont en cours. Le Cameroun travaille à renforcer le cadre de gel et de gestion des avoirs criminels. " La Société de recouvrement des créances remplit partiellement cette mission ; il est question de revoir son texte organique pour élargir ses compétences ", a expliqué M. Ndé Sambone. Un projet de décret est déjà en préparation à cet effet.
En matière judiciaire, une circulaire du ministre d'État, ministre de la Justice, demande aux procureurs de systématiser les enquêtes parallèles pour blanchiment dans toutes les affaires de criminalité financière. Mais, selon les experts du GAFI, " le niveau de mise en œuvre de cette instruction reste encore loin d'être satisfaisant ".
Le maintien du Cameroun sur la liste grise n'est pas sans conséquence. Cette classification, qui ne prévoit pas de contre-mesures automatiques, place néanmoins le pays sous un régime de surveillance renforcée, pouvant freiner la confiance des partenaires financiers. " Cette situation fragilise la confiance des institutions étrangères et complique les transactions transfrontalières ", a récemment averti Désiré Geoffroy Mbock, ancien secrétaire permanent du GABAC.
Hubert Ndé Sambone rappelle qu'il n'existe plus d'échéance imposée par le GAFI : " Nous irons maintenant de rapport en rapport jusqu'à ce que nous sortions de la liste grise, à raison de trois rapports de suivi par année ". Le Cameroun espère toutefois obtenir des progrès tangibles avant fin 2026.
Narcisse Angan
Publié le 31/10/25 14:02