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Malgré l'ampleur historique de l'enveloppe mobilisée auprès des bailleurs internationaux, la Côte d'Ivoire peine à transformer les financements en résultats concrets. La première revue conjointe des portefeuilles des partenaires techniques et financiers, tenue ce 9 juillet, a mis en lumière un paradoxe : trop d'argent engagé, mais peu dépensé, trop lentement.
Un portefeuille impressionnant, mais sous-performant
La Côte d'Ivoire affiche un portefeuille actif de 126 projets pour un montant cumulé de 6 589 milliards FCFA, financés par les partenaires techniques et financiers (PTF) parmi lesquels figurent la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), la Banque d'investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) et plusieurs fonds arabes.
Pourtant, à peine 3 202 milliards FCFA ont été effectivement décaissés, soit un taux global d'environ 49%, selon les chiffres révélés par le gouvernement ivoirien lors de cette première revue conjointe des PTF, organisée par le cabinet de la vice-présidence en collaboration avec le Projet d'amélioration de la gouvernance pour la délivrance des services de base aux citoyens (PAGDS).
La situation devient plus préoccupante lorsqu'on examine les portefeuilles de manière individuelle. La Banque mondiale gère 24 projets pour un montant de 2 875 milliards FCFA, avec un taux de décaissement de seulement 38,2% et un âge moyen de 3 ans et 5 mois. La BAD, bien que plus performante avec 56% de décaissement, affiche un portefeuille de 38 projets totalisant 1 916 milliards FCFA, mais un âge moyen élevé de 5 ans.
La BOAD, pour sa part, finance 24 projets à hauteur de 607 milliards FCFA, avec un taux de décaissement de 34,9% et une ancienneté moyenne de 6 ans. Enfin, les Fonds arabes suivent une tendance similaire, avec 28 projets représentant 915 milliards FCFA, un taux de décaissement de 43,7% et un âge moyen également de 6 ans.
Ces chiffres traduisent une exécution lente et un vieillissement des portefeuilles de projets. En d'autres termes, l'efficacité d'exécution est structurellement faible, avec des projets qui s'éternisent bien au-delà des cycles planifiés, et dont les résultats tardent à se concrétiser sur le terrain.
Une répartition sectorielle révélatrice des priorités
La structure du portefeuille témoigne des priorités nationales, avec une prédominance des secteurs d'infrastructure et de transports (28%), suivis de l'agriculture (13%), de l'éducation (11%), de l'eau et de l'assainissement (9%), de l'énergie (8%), du secteur social (7%), du développement rural (5%), du développement urbain (3%) et d'autres secteurs (9%).
Cependant, cette répartition sectorielle bien pensée ne suffit pas à garantir un impact, tant que la chaîne d'exécution reste entravée par des lenteurs techniques, administratives et institutionnelles.
Des blocages institutionnels et techniques persistants
Cette lenteur dans l'absorption des financements est attribuée à un faisceau de facteurs identifiés par Dr Siélé Silué, Coordonnateur général des projets des PTF.
Ils sont liés, dans le détail, au retard ou à l'absence d'études techniques, économiques, environnementales et sociales de qualité, bloquant la mise en œuvre opérationnelle ; aux lenteurs administratives, notamment entre la signature des accords de financement et leur entrée en vigueur ; au déploiement tardif des équipes de gestion des projets, en particulier des unités de coordination ; à la complexité des procédures des bailleurs (avis de non-objection, passation des marchés, exonérations) ; ainsi qu'au manque de coordination interinstitutionnelle, à la fois au niveau de l'État et entre les partenaires.
Un sursaut collectif attendu
Face à ce constat, la première revue conjointe des portefeuilles des PTF se veut un exercice de vérité. Elle vise à briser les silos entre bailleurs, en favorisant un dialogue structuré et régulier ; à élaborer une matrice des problèmes transversaux et des goulots d'étranglement ; à formuler un plan d'action concret, assorti d'un suivi rigoureux ; à aligner les projets sur le Plan national de développement (PND) ; et à terme, à construire un portefeuille unique des PTF, mieux piloté, mieux hiérarchisé et plus réactif.
C'est aussi une opportunité de rééquilibrer les rapports entre l'État et les bailleurs, pour renforcer l'appropriation nationale et la responsabilité dans la gestion de l'aide publique au développement.
La Côte d'Ivoire ne souffre pas d'un manque de ressources extérieures. Le défi réside dans leur exécution rapide, efficace et alignée sur les priorités nationales. Avec une ambition affirmée de devenir une économie à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à l'horizon 2030, le pays ne peut se permettre que ses projets de développement structurants soient ralentis par des procédures ou des blocages évitables.
Dr Ange Ponou
Publié le 09/07/25 15:37
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