Le Cameroun remet en question l'efficacité de l’Accord de partenariat avec l’Union européenne

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Réunis du 4 au 5 juin 2025 à Yaoundé dans le cadre a 9e réunion statutaire du Comité de suivi de l'Accord de Partenariat Économique (APE) entre le Cameroun et l'Union européenne, les deux partenaires commerciaux ont constaté l'ampleur du décalage entre les ambitions affichées de l'APE et ses retombées concrètes sur l'économie camerounaise. Entré en vigueur en août 2016, ce cadre commercial censé stimuler les échanges et l'investissement industriel peine à convaincre, notamment du côté de Yaoundé.

La partie camerounaise, par la voix d'Aliou Abdoullahi, Coordonnateur national de la coopération Cameroun–UE, a exprimé une insatisfaction grandissante, alimentée par une perte de recettes douanières estimée à 95,7 milliards FCFA au 31 mai 2025 – un montant certes en deçà des projections initiales, mais dont l'impact budgétaire reste sensible dans un contexte de consolidation fiscale. Surtout, cette ponction n'a pas été compensée par une montée en puissance industrielle ou un usage significatif des préférences tarifaires par les entreprises locales.

"Les entreprises n'arrivent pas à s'approprier les préférences offertes par l'accord ", a reconnu Aliou Abdoullahi chez nos confrères de Cameroon Tribune. Selon lui, plusieurs facteurs y concourent. Il cite notamment les avantages concurrentiels plus attractifs offerts aux importateurs, les asymétries d'information, les lourdeurs documentaires – notamment pour l'obtention des certificats d'origine – et l'inadéquation des capacités d'exportation aux normes européennes.

Sur ce dernier point, les évolutions continues des exigences sanitaires et phytosanitaires (SPS) imposées par l'UE constituent un frein majeur à l'accès au marché européen, l'un des plus stricts au monde en la matière. "Il y aura lieu d'intensifier la sensibilisation des opérateurs désireux d'exporter vers l'UE afin qu'ils intègrent les normes européennes dans leurs processus de production", a plaidé ce représentant du ministère de l'Économie, appelant à une coopération renforcée dans le domaine SPS.

Impact flou sur les prix

Autre point de friction, l'impact limité de l'APE sur les prix finaux des produits. En principe, l'accord prévoit des exonérations sur les droits de douane à l'importation de biens d'équipement et d'intrants industriels. Mais sur le terrain, les effets sont difficilement perceptibles.

"Il peut être utile de conduire une étude pour véritablement apprécier la pondération globale de ces éléments sur la fixation du prix final", a suggéré Aliou Abdoullahi. Il pointe notamment le rôle prépondérant du coût de l'énergie dans la structure des prix, souvent supérieur à celui des intrants exonérés.

Pour les opérateurs économiques, la complexité des règles européennes se traduit par un coût de conformité élevé, difficile à absorber dans des filières encore peu structurées. "Chaque jour, de nouvelles normes sont érigées. Cela ne facilite pas la tâche à l'opérateur économique camerounais", a confié un exportateur agricole quotidien national bilingue.

Même constat du côté des économistes. Interrogée par Cameroon Tribune, la chercheuse Claude Aline Zobo estime que les barrières non tarifaires restent le principal obstacle à l'accès au marché européen. Elle appelle à "un véritable rééquilibrage" de l'APE. "De nombreuses barrières non tarifaires sont érigées à l'entrée de l'UE et ne permettent pas aux produits camerounais en franchise de droit de douane d'accéder au vaste marché européen. Pour le rééquilibrage de cet accord, il faut, d'une part, soutenir l'expansion commerciale du Cameroun dans l'UE et d'autre part, la politique d'import-substitution doit également franchir le cap du simple discours politique pour être concrétisée.", pense-t-elle.

L'UE défend un bilan positif

Face à ces critiques, la délégation européenne adopte un ton plus optimiste. Stéphane André, chef de la section commerce à la délégation de l'UE à Yaoundé, défend la pertinence économique de l'accord.

"Les chiffres du commerce démontrent que l'Accord a eu des effets très bénéfiques au niveau de la création du commerce et l'augmentation de sa valeur. […] Ce commerce est source d'importants revenus fiscaux et d'emplois."

Selon lui, les exonérations douanières prévues par l'accord doivent être vues comme un levier de compétitivité pour les entreprises impliquées dans les échanges bilatéraux. L'UE met aussi en avant un excédent commercial en faveur du Cameroun et appelle le pays à améliorer son climat des affaires pour attirer davantage d'investissements européens. À cet effet, Bruxelles propose un nouveau cadre, l'Accord sur la facilitation des investissements durables (AFID), censé renforcer les bases industrielles du pays.

Mais les griefs ne sont pas unilatéraux. L'UE déplore notamment la mise en place par Yaoundé, depuis 2020, de nouvelles taxes dites ''accises'' jugées incompatibles avec les engagements de l'APE.

"Si ces taxes supplémentaires, que nous considérons contraires à l'esprit et aux termes de l'Accord, n'avaient pas été introduites, la mise en œuvre serait jugée plus satisfaisante", affirme Stéphane André.

Ces questions devraient faire l'objet de discussions techniques lors de la première réunion du sous-comité "Douanes et facilitation du commerce", nouvellement créé.

Sur le front sanitaire, l'Union européenne assure continuer à mobiliser de l'assistance technique pour accompagner les entreprises camerounaises dans la mise à niveau. Cristina Miranda Gonzalves, cheffe de l'unité ACP à la Commission européenne, précise :

"Nous avons beaucoup de bons exemples d'entreprises dont les capacités ont été renforcées pour s'arrimer aux standards. Ce sont des mesures complémentaires à l'accord commercial. […] Mais il y a des standards qu'on ne peut pas négocier."

Le plaidoyer du Cameroun n'est pas nouveau. Dès juillet 2020, le Cameroun a soumis à l'UE un document de plaidoyer chiffré à 607,6 millions d'euros (près de 400 milliards FCFA), pour financer sa stratégie nationale de mise en œuvre de l'APE. Objectifs : améliorer l'environnement des affaires, renforcer la compétitivité du secteur privé, accroître les exportations et développer un mécanisme efficace de suivi de l'Accord.

Mais Bruxelles, refroidie par la suspension temporaire de l'APE décidée unilatéralement par Yaoundé en août 2020, n'a donné aucun signe d'engagement concret à ce jour. " Cette demande nous est parvenue alors que nous recevions aussi une lettre annonçant la suspension du processus. Il fallait d'abord clarifier cela", justifiait en novembre 2020 Sébastien Bergeon, chargé d'affaires de l'UE à Yaoundé. Depuis, la reprise du calendrier de démantèlement tarifaire a été confirmée pour janvier 2021, mais le financement promis, ainsi que la mise en œuvre de ce volet de l'APE demeurent insignifiants aux yeux du gouvernement camerounais.

Plus encore, les attentes camerounaises demeurent vives, notamment au regard des engagements pris par l'UE dans d'autres régions. En Afrique de l'Ouest, Bruxelles s'est engagée à mobiliser 6,5 milliards d'euros pour le plan de mise en œuvre de l'APE régional sur la période 2015-2020. À l'inverse, le Cameroun n'a bénéficié que des reliquats de la coopération au développement antérieure à la ratification de l'accord en 2014.

Perton Biyiha

La Rédaction

Publié le 16/06/25 17:32

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