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Huit ans après la révolution, le changement économique et social est loin d'être aussi radical que ne l'auraient souhaité les Tunisiens. Marasme, économie à bout de souffle, finances de l'État exsangues, réserves en devises au plus bas, inflation galopante … Sans aborder le volet social et les critiques ininterrompues sur l'improductivité du travailleur tunisien.
Le moindre rapport des différents organismes internationaux qui scrutent l'économie tunisienne décrivent en préambule une situation économique fragilisée et la nécessité de réformes lourdes et douloureuses. En gros, le discours est souvent le même : Bravo ! Vous avez réussi votre transition démocratique, mais maintenant vous allez manger des cailloux.
Une croissance du PIB insuffisante pour résorber le chômage et remplir les caisses de l'État
Depuis fin 2010, le PIB a enregistré une croissance cumulée de +13,4% jusqu'à fin 2018. Un taux de croissance que réalisent en une année des pays réellement émergents. On ne va pas remuer le couteau dans la plaie, mais il est vrai que la croissance moyenne réalisée sous l'ancien régime était de l'ordre de +5%/an et déjà à l'époque nous estimions que ce taux était insuffisant pour pouvoir résorber le chômage.
A titre de comparaison (qui vaut, ce qu'elle vaut), l'évolution du PIB entre 2010 et 2017 a été de 32% en Egypte, 30% au Maroc et de 26% en Algérie.
L'évolution ainsi enregistrée a été principalement tirée par la progression des services marchands (3,2% en 2016, 4% en 2017 et probablement autour de 3,5% en 2018), corrélativement avec la consolidation de l'activité touristique.
Le secteur de l'agriculture et de la pêche a également contribué à la croissance du PIB, soutenu par la hausse de la production d'huile d'olive et la bonne récolte céréalière. Sur les 3 premiers semestres de 2018, la croissance enregistrée par ce secteur a été de 9,7%.
Pour ce qui est des mauvais élèves de la contribution sectorielle au PIB, le cancre est sans appel le secteur des Industries Non manufacturières. Lorsqu'on précise la composition de ce secteur (Extraction Gaz & Pétrole, Mines, Électricité & Gaz, Eau, Bâtiment & Génie Civil) on est moins surpris…
Un secteur dont la production a diminué de 26 points en 8 ans, plombée par le segment des hydrocarbures et des Mines. Durant le troisième trimestre de 2018, la production moyenne de pétrole s'établissait à 37,5 mille barils par jour contre plus 70 mille barils en 2010.
Le secteur de l'extraction continue de faire face à de nombreuses contestations sociales (sit-in, grèves) sur fond d'opacité et de polémique sur les rendements réels des gisements et de changement majeur dans le processus d'octroi des concessions qui passent désormais par l'ARP. Une dégradation de notre dépendance énergétique pesante dans un contexte de remontée des prix des hydrocarbures.
La production de phosphate, principale ressource naturelle du pays, est quant à elle passée de 8 millions de tonnes en 2010 à seulement 3 millions de tonnes fin 2018.
Nous avons tous suivi le feuilleton des blocages à répétition du bassin minier et du Kamour, de Kerkennah…. Compte tenu du poids relativement faible du secteur de l'énergie dans l'économie (10% de la valeur ajoutée totale), les effets de cette contestation sociale (sans juger de sa légitimité) sont beaucoup plus problématiques sur le volet réserves en devises dont nous avons tant besoin. Nous en reparlerons.
La croissance anémique de ces dernières années est bien entendu insuffisante pour résorber le chômage figé à 15,5% et/ou remplir les caisses de l'État. L'État qui aurait bien besoin de remplir des caisses vides.
Déficit budgétaire attendu à 4,9% en 2018
Plombé au niveau des charges, bien entendu, par la masse salariale qui serait « l'une des plus élevées au monde » rapportée au PIB. Les fonctionnaires consommeraient de l'ordre de 15% du PIB en 2018, on se situait à 10% en 2010.
Des recrutements substantiels ont émaillé la période récente. Mesures de « facilité » pour un semblant de paix sociale ou un gain de popularité, réintégrations massives d'anciens bannis, bref, à l'arrivée nous compterions plus de 800.000 agents, soit quasiment le même nombre que le Maroc pour une population trois fois moindre.
Depuis 2010 (2011-2013 en particulier) les dépenses de fonctionnement ont explosé : +113% masse salariale, +141% interventions de l'État (dont subventions).
Ces deux paramètres focalisent l'attention des organismes internationaux. Toujours dans le « non productif », signalons également une hausse de +96% pour le service de la dette sur cette même période.
En 2016 et 2017, la Tunisie a enregistré des déficits supérieurs à 6% du PIB. Ce n'est pas le record de la période, en 2013 le déficit avait atteint 6,9%. Pour 2018, le déficit budgétaire devrait se situer à 4,9%, soit 5,2 milliards de dinars.
Cette hausse des dépenses a été principalement financée par endettement. Nous sommes désormais à un niveau de dette qui correspond à environ 73% de notre PIB à fin juin 2018. Depuis 2010, le poids de la dette publique a augmenté de 30 points. En masse, cette dette publique est de l'ordre de 76 milliards de dinars.
Nous sommes entrés dans la spirale infernale de devoir s'endetter pour assumer… notre endettement. Les échéances de remboursement de l'année 2019 devraient dépasser les 9,3 milliards de dinars, contre 7,8 milliards en 2018.
L'évolution des ressources budgétaires d'emprunts levées chaque année depuis 2010 reflètent cette fuite en avant qui a principalement servi, rappelons-le, à couvrir la masse salariale, les transferts sociaux et le service de la dette. L'investissement étant resté le parent pauvre de la période.
La principale ressource de l'état demeure la fiscalité. Elle a évolué de +67% depuis 2010, contre +113% pour les dépenses de fonctionnement. Les personnes physiques ont été de plus en plus sollicitées.
Nous sommes tous au courant (et impactés) de l'accroissement de la pression fiscale sur les dernières années. Une pression qui plus est génératrice d'inflation (nous le verrons plus loin) puisqu'elle touche essentiellement les taxes indirectes.
Une inflation record de 7,5% en 2018
Une accélération de la hausse des prix a débuté en 2016 suite à une conjonction de plusieurs facteurs :
Déficit commercial galopant
Le volet énergétique a été le principal contributeur du creusement du déficit commercial qui a plus que doublé en 8 ans pour atteindre 19 milliards de dinars en 2018. Le déficit énergétique s'est élevé à 6 milliards de dinars en 2018, responsable de 32% du déficit commercial global. Un contexte qui devrait se prolonger en 2019.
Le secteur des mines, phosphates et dérivés est également crucial dans nos échanges extérieurs. Il affiche en 2018 un manque à gagner de près de 1 milliard de dollars d'exportations comparativement à ses niveaux de 2010. Autant de réserves en devises en moins (cumulées sur plusieurs années).
Pour l'heure, la dévaluation pèse sur notre solde commercial, le déficit commercial pèse sur les réserves en devises, l'amenuisement de nos réserves pèse sur la valeur de notre monnaie… Le serpent qui se mord la queue, comme souvent en économie… Comment passe-t-on d'un cercle vicieux à un cercle vertueux ?
Les réserves en devises sont effectivement à un niveau faible : 82 jours d'importations au 13/01/2019. Le niveau de « sécurité » des 3 mois d'importations est largement franchi.
Comme nous l'avons précédemment évoqué, le niveau des réserves en devises est désormais principalement influencé par l'endettement extérieur. Rythmé par les décaissements et les déblocages.
L'accélération de l'inflation en 2018 découle également de la pression fiscale. Nous avions vu que le contribuable et en particulier le consommateur ont été mis à contribution pour accroître les ressources fiscales de l'État et réduire pression sur le déficit budgétaire.
Accroissement des taux de la TVA de 1 point et élargissement de son champ d'application, augmentation de certains droits de consommation et élargissement à de nouveaux produits, révision à la hausse de droits de douane, taxes accrues sur les recharges téléphoniques et autres augmentations des droits d'enregistrement… Pour ne citer que certaines mesures impactant mécaniquement le taux d'inflation pour le consommateur final.
Bien entendu, cet impact sur l'inflation est un dégât collatéral de la politique d'accroissement des ressources budgétaires. Tout comme l'impact inflationniste de l'abandon progressif des mécanismes de compensation, dispendieux pour les finances de l'État et préconisé par les organismes internationaux.
Pour tenter de lutter contre l'inflation, l'État dispose théoriquement d'autres leviers, notamment la politique monétaire. Depuis début 2017 la BCT a augmenté à quatre reprises son taux directeur : une première fois en avril 2017 (+ 50 points de base), une seconde fois en mai (+ 25 points de base), une troisième fois en mars 2018 (+ 75 points de base), et une quatrième fois en juin 2018 (+100 points de base).
Une hausse destinée à renchérir l'accès au crédit à la consommation en particulier et d'orienter davantage les revenus vers l'épargne. Ralentir le rythme de la demande pour lutter contre l'inflation. Un mécanisme surtout efficace lorsque l'inflation est principalement monétaire (excès de demande) or nous ne semblons pas être dans ce cas de figure (inflation importée, inflation par les coûts).
La consommation a été le moteur de l'économie depuis 2010. Une consommation largement à crédit et une consommation de produits importés en grande partie.
Mécaniquement, l'épargne a fondu comme neige au soleil sur la même période. L'épargne nationale en absolu est revenue à ses niveaux de 2006, près de 9,6 milliards de dinars, contre 13,3 milliards en 2010.
L'anniversaire morose de la Révolution tunisienne
En renversant notre dictateur, nous avions espéré sans doute des lendemains meilleurs, mais aujourd'hui, le pays déchante. Entre le chômage, les difficultés économiques, les déséquilibres régionaux et mouvements sociaux sans oublier la menace terroriste, un réel changement se fait toujours attendre en termes de droits économiques et sociaux et pour lesquels nous nous étions mobilisés.
Hèdi Ben Cherif
Publié le 14/01/19 15:46
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