Aliko Dangote : ‘’L’Afrique ne sera grande que par les Africains’’

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Dans un entretien qu'il accordé dans le cadre des 32e Assemblées annuelles d'Afreximbank, Aliko Dangote, l'industriel le plus influent du continent africain, a livré une vision sans concession de l'avenir économique de l'Afrique. Portée par la nécessité d'une industrialisation endogène, d'un capitalisme africain audacieux et de la mobilisation des ressources locales, sa parole résonne comme un manifeste pour une souveraineté économique continentale assumée.

L'industrialisation, ou le sursaut vital du continent

Pour Dangote, le dilemme est clair, tant que l'Afrique exportera ses matières premières brutes, elle exportera également ses emplois, ses devises, et une partie de son avenir. ‘'Il faut créer des groupes africains, transformer nos ressources avant de les exporter, créer de la valeur ici. Sinon, nous resterons dépendants et pauvres'', tranche-t-il.

S'inspirant du modèle protectionniste prôné par Donald Trump, l'actuel président américain, sous le slogan ‘'America First'', le magnat nigérian plaide pour une doctrine ‘'Africa First''. Il ne s'agit pas de repli, mais de stratégie. ‘'Vous ne laissez pas vos fenêtres ouvertes dans la nuit en espérant dormir paisiblement. C'est la même chose avec les marchés. Si vous ouvrez sans conditions, vous tuez votre industrie locale.''

Énergies, acier, engrais ; les piliers d'un capitalisme africain

À travers son conglomérat, Dangote Industries, l'homme d'affaires a entrepris de bâtir un empire industriel à contre-courant du modèle extractiviste dominant. Il cite l'exemple de l'industrie sidérurgique nigériane, relancée grâce à une politique d'intégration stricte consistant à l'interdiction d'importer sans transformer localement. Résultat des courses, en quelques années, le Nigéria est devenu le premier producteur et exportateur d'acier du continent.

Même ambition dans les engrais, où Dangote affirme que ‘'dans 40 mois, l'Afrique n'importera plus un gramme de fertilisant''. Son usine d'urée, plus grande que celle du Qatar, exporte déjà massivement vers les États-Unis. Quant à la raffinerie de Lekki, elle entend réduire à néant les importations de carburant d'un Nigéria pourtant grand producteur de pétrole brut.

Mobiliser le capital africain, condition d'une souveraineté assumée

Dangote déplore que l'Afrique ait trop compté sur le capital étranger, alors même que des fortunes africaines s'expatrient. ‘'Les gens gagnent de l'argent ici, puis le sortent du continent. Même la corruption ne serait pas un mal absolu si ces fonds étaient réinvestis localement, comme en Asie.'' Il appelle à la responsabilisation des élites économiques. ‘'Si moi-même, je n'investis pas, comment convaincre un partenaire étranger de le faire ?''

Il insiste aussi sur le rôle crucial des banques africaines. ‘'La mission des banques africaines doit être de connecter les points entre vision et exécution. C'est avec elles, et non avec des banques étrangères à la logique court-termiste, que nous bâtirons l'Afrique.''

Géopolitique : entre hypocrisie occidentale et renaissance africaine

Face à la montée des tensions géopolitiques et au regain d'intérêt pour les ressources africaines, Dangote reste lucide. ‘'Il y a toujours eu une ruée vers les matières premières africaines. La seule différence, c'est qu'on ne nous permet pas de les transformer chez nous. Dès que nous disons que nous voulons raffiner nos minéraux, le monde entier se crispe.''

Il critique la posture de certaines puissances occidentales, notamment les États-Unis, accusés d'ostraciser des pays africains tout en intensifiant leur présence commerciale sur le continent. À l'inverse, il appelle à s'inspirer de modèles asiatiques tels que l'Indonésie ou la Thaïlande, qui, malgré la corruption, ont su préserver leur croissance grâce à l'investissement localisé.

Un appel aux élites africaines à penser grand et agir ensemble

Au-delà des constats, Aliko Dangote lance un appel vibrant aux élites du continent. ‘'Personne ne fera l'Afrique à notre place. Il faut penser grand, croire en nos capacités, créer des emplois, industrialiser, même dans la difficulté.''

Il plaide pour une architecture financière robuste, une intégration économique plus poussée, et surtout une foi inébranlable dans les ressources humaines et naturelles du continent. ‘'Nous avons 60% des terres arables du monde, toutes les ressources minérales possibles. Il ne manque que la volonté collective.''

Dans cet entretien rare, Dangote ne se contente pas de défendre ses projets ; il esquisse un véritable projet de civilisation économique pour l'Afrique. Sa vision est exigeante mais concrète. Elle repose sur l'éthique de la responsabilité, la valorisation du capital africain, et la transformation structurelle de nos économies.

L'Afrique ne manque ni d'atouts, ni de talents. Mais elle a besoin de champions industriels, d'institutions fortes et de leadership courageux. En ce sens, la trajectoire d'Aliko Dangote est à la fois un modèle… et un avertissement.

Envoyé spécial à Abuja, Nigéria

Dr Ange Ponou

Publié le 27/06/25 22:05

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