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Le Burkina Faso vient d'opérer un virage stratégique dans sa politique minière. Par décret publié ce 11 juin en conseil des ministres, le pays a finalisé le transfert de cinq actifs aurifères majeurs à la Société de participation minière du Burkina (SOPAMIB), structure publique créée en 2023 pour assurer une prise de contrôle directe sur les ressources stratégiques.
Cette décision s'inscrit dans une dynamique plus large de reconquête économique et de réappropriation des richesses naturelles, à l'image des orientations prises récemment par ses voisins, le Mali et le Niger.
Souveraineté économique : de l'intention à l'action
La mesure ne surprend qu'à moitié. Depuis la révision de son code minier en 2023, Ouagadougou affichait clairement son ambition de rompre avec la domination des grands groupes internationaux pour reprendre la main sur une filière aurifère qui représente près de 80% de ses recettes d'exportation. La SOPAMIB a été spécialement constituée pour cette mission, avec pour mandat de détenir, gérer et valoriser les actifs miniers stratégiques.
En ligne de mire, deux mines d'or déjà en production (Wahgnion Gold SA et SEMAFO Boungou SA) et trois permis d'exploration (Ressources Ferké, Gryphon Minerals Burkina Faso et Lilium Mining Services), jusque-là détenus par des filiales d'Endeavour Mining, géant britannique coté à Londres, et de Lilium, entreprise opérant dans le secteur extractif africain.
L'échec d'une transaction commerciale entre Endeavour et Lilium a ouvert la voie à une prise de contrôle directe par l'État, motivée officiellement par la volonté de garantir une meilleure redistribution des bénéfices miniers.
‘'Cette acquisition s'inscrit dans la politique d'appropriation souveraine des ressources minières par l'Etat aux fins de leur exploitation optimale au bénéfice des populations'', précise le communiqué du conseil des ministres.
Une tendance régionale assumée
La démarche s'inscrit dans une tendance géopolitique marquée en Afrique de l'Ouest, où plusieurs gouvernements militaires, souvent confrontés à des défis budgétaires et sécuritaires, renforcent leur contrôle sur les industries extractives.
Au Mali, la nationalisation progressive des mines d'or a déjà modifié la relation avec les investisseurs. Au Niger, la gestion de l'uranium est en pleine mutation. Le Burkina Faso, quatrième producteur d'or d'Afrique avec plus de 57 tonnes extraites en 2023, entend désormais inscrire sa propre trajectoire dans cette logique.
Au-delà du patriotisme économique, le contexte est favorable. En effet, le prix de l'or a bondi de 27% depuis le début de l'année 2024, atteignant des niveaux records, portés par l'instabilité géopolitique mondiale et l'inflation. Pour un pays en quête de marges fiscales, capter une part plus importante de cette manne est à la fois stratégique et vital.
Tensions avec les investisseurs
Mais cette politique de recentrage suscite des remous du côté des investisseurs internationaux. Plusieurs grands acteurs du secteur aurifère tels que le canadien IAMGOLD, le russe Nordgold ou l'australien West African Resources, s'inquiètent de la sécurité juridique et de la rentabilité de leurs investissements dans un climat jugé plus interventionniste.
Le message envoyé par Ouagadougou est relatif au fait que l'exploitation minière ne peut plus se faire sans une plus grande part de valeur ajoutée locale. Si cette approche peut rassurer les populations en attente de retombées concrètes, elle oblige également les multinationales à revoir leur approche, en matière de partenariat, de contenu local, ou de fiscalité.
À court terme, le Burkina Faso devra démontrer sa capacité à gérer efficacement ces actifs transférés, à garantir la continuité des opérations, à maintenir la sécurité des sites et à investir dans le développement des infrastructures minières. À plus long terme, le succès de cette stratégie dépendra de sa capacité à concilier souveraineté, attractivité et performance économique.
Dr Ange Ponou
Publié le 12/06/25 14:06
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