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Alors que la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) peine à transformer ses ressources naturelles en prospérité durable, le dernier Baromètre économique de la Banque mondiale sur la région, publié ce 19 juin, met en lumière une réalité contrastée, celle d'une croissance économique en hausse mais en deçà du potentiel, une situation budgétaire détériorée, et une pauvreté structurelle qui progresse.
Croissance en légère progression, mais sous tension
En 2024, le produit intérieur brut (PIB) de la CEMAC a crû de 3%, porté notamment par le Cameroun (3,5%) et le Tchad (3,7%). Cette embellie reste fragile, car la croissance devrait ralentir à 2,4% en 2025, sous l'effet de la baisse des cours du pétrole, de la demande mondiale atone et de la volatilité commerciale internationale.
À noter que le PIB par habitant a à peine progressé de 0,2% (contre 3,8% dans l'UEMOA), preuve d'une croissance non inclusive.
Une trajectoire budgétaire inquiétante
Le déficit budgétaire régional est passé de +0,6% du PIB en 2023 à -1,5% en 2024., tous les pays de la CEMAC ont enregistré des déficits budgétaires en 2024, à l'exception du Congo. Les dépenses augmentent (19,7% du PIB, contre 18,4% un an plus tôt) tandis que les recettes chutent (18,2% du PIB, contre 19,1% en 2023), illustrant une dépendance excessive aux recettes pétrolières. Le Congo (93,5% du PIB) et le Gabon (72,5% du PIB) dépassent largement le seuil de soutenabilité de la dette.
‘'La faiblesse de la mobilisation fiscale (moins de 15% du PIB) compromet le financement des services publics de base'', précise le rapport.
Marché obligataire en difficulté
Le marché régional de la dette publique traverse une crise de confiance. Le taux de souscription des titres publics est passé de 80,4% en 2023 à 43,5% en octobre 2024, avec une forte préférence des investisseurs pour les maturités courtes.
En outre, le taux moyen de couverture des émissions de titres publics par les pays de l'Union sur le marché régional est passé de 79,45% à 60,28% entre février 2024 et février 2025. Ce qui signifie qu'en février 2025, un pays de la CEMAC cherchant à lever 100 milliards FCFA sur le marché monétaire par le biais de titres publics ne recevait, en moyenne, que 60,3 milliards FCFA ; ce qui met ainsi en évidence les difficultés croissantes de liquidation des marchés aux taux d'intérêt et de liquidité actuels.
Par ailleurs, la hausse des rendements (jusqu'à 10% sur les obligations) reflète le risque souverain accru dans la sous-région.
Un commerce extérieur excédentaire mais vulnérable
Grâce aux hydrocarbures, la CEMAC conserve un excédent du compte courant (4% du PIB en 2024). Mais cette situation masque une dépendance extrême, en ce sens que 75% des exportations proviennent de quelques produits primaires. La chute du baril à 60 USD en avril 2025 pèse déjà sur les prévisions.
Pauvreté et emploi, véritable talon d'Achille
Avec 32,8% de la population vivant sous le seuil d'extrême pauvreté, la région est confrontée à une crise sociale durable. En République centrafricaine et au Congo, les taux dépassent 47%. L'emploi reste largement informel (70%) et vulnérable, avec un chômage supérieur à 9,7%, quatre fois plus élevé que dans l'UEMOA.
Un capital humain sous-financé
Les dépenses en éducation plafonnent à 2,3% du PIB, loin de la moyenne subsaharienne (4,1%). Cela se traduit par une inadéquation criante entre les compétences disponibles et les besoins du marché. A titre d'illustration, 43% des travailleurs salariés au Cameroun sont sous-qualifiés pour leur poste.
Infrastructure et intégration, des obstacles structurels
Le coût du commerce reste prohibitif et est estimé à 3 000 USD par camion entre le Cameroun et Bangui, contre 60 USD officiellement. La densité routière est très inférieure à la moyenne mondiale et la connectivité numérique reste marginale. La CEMAC souffre également d'une faible intégration régionale (5,1% de commerce intra-régional).
Dette et vulnérabilités externes
Le service de la dette absorbe autant de ressources que l'éducation. Le Congo et le Gabon ont lancé des opérations de reprofilage. La dette publique moyenne atteint 51% du PIB, avec une forte exposition à la Chine (25% des créances). Les risques de refinancement s'aggravent.
La Banque mondiale insiste sur l'urgence d'une action coordonnée autour de quatre piliers, à savoir une réforme de la gouvernance et transparence fiscale ; une diversification économique et compétitivité ; des investissements ciblés dans le capital humain ; et une amélioration du climat des affaires et de l'intégration régionale.
Sans réformes profondes, la région risque une stagnation prolongée, prisonnière d'un modèle extractif et vulnérable. La transition vers une économie résiliente, inclusive et compétitive passe par une rupture stratégique audacieuse.
Dr Ange Ponou
Publié le 19/06/25 18:43
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