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La cohésion sous-régionale vient de subir un choc politique majeur. Réunis à Lomé ce 12 juillet 2025 à l'occasion de la 2e session ordinaire annuelle du Conseil des ministres de l'UEMOA – second organe majeur de prise de décision au sein de l'instance sous-régionale après celui de la Conférence des Chefs d'Etat –, les représentants du Burkina Faso, du Mali et du Niger, regroupés sous la bannière de l'Alliance des États du Sahel (AES), ont claqué la porte de la réunion ministérielle.
En cause, l'échec d'un consensus autour de la désignation du Burkina Faso à la présidence tournante du Conseil, un poste crucial au sein de la gouvernance de l'Union économique et monétaire ouest-africaine. Cet acte, lourd de symboles, pourrait accentuer le malaise latent entre les États membres de l'UEMOA et les pays sahéliens, dans un contexte déjà miné par des dissensions politiques, sécuritaires et institutionnelles.
La pomme de discorde ; une présidence refusée
Conformément à l'article 11 du traité de l'UEMOA, la présidence du Conseil des ministres doit être tournante et confiée à l'un des ministres des Finances des huit États membres pour une durée de deux ans. Cette rotation vise à garantir l'équité institutionnelle et la cohésion politique entre les membres.
Pour les pays de l'AES, il ne s'agissait pas d'une revendication politique mais d'un simple respect des textes. Le Burkina Faso, en tant que prochain pays éligible à la présidence tournante, devait succéder à la Côte d'Ivoire. Le refus de cette transition a été perçu par les pays sahéliens comme une remise en cause de leur légitimité pleine et entière au sein de l'Union.
En réaction, les ministres des Finances du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont quitté la session, dénonçant une décision ‘'contraire aux principes fondamentaux de l'Union'', selon un communiqué officiel.
Face à ce blocage, la décision finale est désormais entre les mains de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'UEMOA. D'ici là, l'Ivoirien Adama Coulibaly, président statutaire du Conseil des ministres, assurera la continuité à la tête de l'institution.
De la CEDEAO à l'UEMOA, une défiance qui s'étend
Ce coup de théâtre institutionnel intervient quelques mois après un autre événement marquant, le retrait officiel de ces trois pays de la CEDEAO, le 29 janvier 2025, après des tensions liées à des sanctions économiques et à la dénonciation des ingérences perçues dans leurs affaires internes.
Le climat de méfiance croissante entre les capitales sahéliennes et les institutions régionales semble désormais gagner l'UEMOA, une zone jusque-là relativement épargnée par les crispations diplomatiques.
Ce nouvel épisode relance donc une interrogation de fond : jusqu'où ira le divorce entre l'AES et les organisations ouest-africaines traditionnelles ? L'UEMOA, construite sur une union monétaire et une convergence macroéconomique, peut-elle survivre à des tensions politiques devenues systémiques ?
Une instabilité institutionnelle aux répercussions économiques
L'incident de Lomé ne relève pas seulement de la diplomatie. Il pose de sérieuses questions économiques et financières. Les pays de l'AES représentent environ 20% du PIB agrégé de l'UEMOA et plus de 30% de sa superficie. Ils sont également au cœur de grands chantiers d'intégration monétaire et d'infrastructures régionales.
Un blocage institutionnel prolongé ou, pire, un retrait formel de l'AES de l'UEMOA viendrait fragiliser non seulement la gouvernance de l'Union mais aussi la gestion de la monnaie commune, le franc CFA, dont la stabilité repose en partie sur l'adhésion collective aux principes de convergence budgétaire.
De plus, plusieurs programmes communautaires de développement (infrastructures, agriculture, énergies) financés par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) ou la BCEAO pourraient être affectés par l'absence d'implication pleine des États concernés.
Vers un bras de fer politique ?
Derrière l'impasse institutionnelle, c'est un bras de fer politique plus large qui semble se dessiner. En revendiquant une présidence tournante conforme aux textes, les pays de l'AES veulent démontrer qu'ils restent acteurs légitimes et influents de l'espace monétaire ouest-africain, malgré leur éloignement progressif des schémas d'intégration portés par la CEDEAO.
La Côte d'Ivoire, actuelle présidente du Conseil des ministres de l'UEMOA, se retrouve au centre d'un équilibre délicat, préserver la cohésion de l'Union sans céder à une politisation excessive de ses mécanismes internes. Pour beaucoup d'observateurs, la gestion de cette crise constituera un véritable test de leadership régional.
Une fenêtre pour repenser l'intégration régionale ?
Au-delà de l'événement, cette crise met en lumière une vérité fondamentale : l'intégration régionale ouest-africaine ne peut plus faire l'économie d'une redéfinition politique et institutionnelle. La rigidité des formats actuels, couplée aux fractures géopolitiques nouvelles, pourrait faire éclater les mécanismes hérités des années 1990.
Face à cette réalité, des voix s'élèvent pour appeler à une réforme des institutions régionales, plus représentatives des équilibres géostratégiques et mieux articulées autour des défis contemporains que sont la sécurité, la résilience climatique, l'industrialisation, la gouvernance des ressources.
La Rédaction
Publié le 14/07/25 09:01
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