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L'annonce de son décès, ce 13 juillet 2025, s'est répandue comme une traînée de poudre à travers le continent. Muhammadu Buhari, l'ex-président nigérian s'est éteint à l'âge de 82 ans, emportant avec lui un pan entier de l'histoire politique nigériane.
Deux fois président, d'abord en uniforme entre 1983 et 1985, puis en civil de 2015 à 2023, il demeure une figure profondément ambivalente, oscillant entre austérité militaire et quête démocratique, autorité implacable et volonté de réforme.
Son parcours, fait de ruptures et de retours, incarne les tensions d'un Nigéria géant et paradoxal, pris entre ordre et turbulence, discipline et désillusion.
Du putsch à la présidence
Né en 1942 dans l'État de Katsina, au nord du Nigéria, Muhammadu Buhari est un produit de l'armée, formé dès l'âge de 20 ans dans les académies militaires britanniques. Jeune officier remarqué pour ses faits d'armes sur le Lac Tchad, il gravit rapidement les échelons et devient gouverneur, puis ministre du Pétrole sous Olusegun Obasanjo.
En décembre 1983, alors âgé de 41 ans, il renverse le président élu Shehu Shagari, accusé de corruption. Le nouveau régime militaire impose un programme d'austérité radical : les files d'attente aux bus deviennent obligatoires, les fonctionnaires en retard sont humiliés publiquement. Le ‘'Buharism'' est né et marqué par une gouvernance fondée sur la rigueur, mais également par des atteintes graves aux libertés individuelles. L'emprisonnement arbitraire de figures publiques comme le musicien Fela Kuti restera l'un des symboles noirs de ce régime militaire.
Le retour à l'ordre démocratique
Après avoir été renversé à son tour en 1985 et placé en résidence surveillée, Muhammadu Buhari n'abandonne jamais l'idée de diriger à nouveau. Il échoue à trois reprises aux élections présidentielles avant de réussir en 2015 un exploit démocratique inédit en battant le président sortant, Goodluck Jonathan.
Porté par une coalition d'opposition et une promesse de réforme, il capitalise sur son image d'homme intègre, dans un pays miné par la corruption et le clientélisme. Sa victoire est alors saluée comme un tournant historique. Mais l'espoir de 2015 se transforme vite en désillusion.
Surnommé ‘'Baba Go Slow'', Muhammadu Buhari prend six mois pour former un gouvernement. La crise pétrolière de 2016 pousse le pays en récession, le chômage explose, l'inflation devient chronique. Sur le front sécuritaire, il freine l'expansion de Boko Haram, sans réussir à neutraliser le groupe. La pauvreté s'aggrave dans le Nord, les inégalités se creusent, et le naira s'effondre.
Une présidence sous tension
Son deuxième mandat est miné par des polémiques récurrentes, allant de sa santé fragile à ses absences répétées à l'étranger pour raison médicale, en passant par ses relations tendues avec sa propre épouse. En 2016, Aisha Buhari déclare publiquement qu'elle ne soutiendrait pas sa réélection s'il continuait à ignorer son entourage. Sa réponse, donnée depuis Berlin, où il était en visite officielle : ‘'Sa place est à la cuisine, au salon et dans la chambre'', une déclaration qui fit sourciller Angela Merkel.
Ce manque d'écoute politique s'accompagne d'un raidissement autoritaire. En 2021, il suspend Twitter, après la suppression d'un tweet controversé évoquant la guerre du Biafra. Le tollé est international. Des intellectuels comme Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, dénoncent un ‘'spasme dictatorial'', inacceptable d'un président élu.
Un legs économique en demi-teinte
Sur le plan économique, Muhammadu Buhari laisse un bilan contrasté marqué par une lutte contre la corruption affichée, mais souvent inefficace ; une stabilisation relative de la dette, mais sans croissance soutenue ; des infrastructures initiées, mais rarement achevées ; un système monétaire affaibli, avec un naira volatil et une fuite des capitaux persistante.
Le Nigéria reste en 2025 la première puissance économique d'Afrique de l'Ouest, mais ses indicateurs sociaux sont inquiétants, illustrés par une pauvreté élevée, le chômage des jeunes, l'insécurité alimentaire et la dépendance pétrolière persistante.
Muhammadu Buhari ne laisse pas derrière lui une œuvre incontestée. Il fut un homme de discipline dans un pays souvent en crise, mais aussi un homme de peu de compromis dans un monde qui en exigeait davantage.
La Rédaction
Publié le 13/07/25 19:51
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