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Jean-Hugues Houinsou :
Avec FeexPay, nous voulons réinventer les services financiers pour les entrepreneurs africains
À la tête de FeexPay, une fintech en pleine expansion sur le continent, Jean-Hugues Houinsou veut aller bien au-delà de l'agrégation de paiements. De ses débuts dans le marketing digital à la création d'une solution panafricaine d'inclusion financière, il défend une vision claire : faire émerger des services financiers numériques robustes, accessibles et adaptés aux réalités africaines. Il revient ici sur son parcours, les défis du secteur, et les ambitions qui dessinent l'avenir de FeexPay.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a conduit à créer FeexPay ?
Je suis diplômé d'un master en management des organisations, avec une spécialisation en banques et marchés financiers. Mon parcours professionnel a débuté dans l'univers de la formation numérique, à travers le programme Google Digital Skills for Africa, pour lequel j'ai été formateur. Cette expérience m'a permis de prendre pleinement conscience du potentiel du numérique comme levier de transformation, notamment en Afrique.
J'ai ensuite fondé La Vedette Média, une agence d'abord axée sur le marketing digital, puis élargie au développement web et mobile.
Mais c'est en croisant mon expertise en finance et mon intérêt croissant pour la technologie que j'ai imaginé FeexPay : une solution pensée pour réduire les frictions de paiement, tout en favorisant l'inclusion financière à grande échelle. Le nom lui-même incarne notre mission : " Fix " pour corriger les dysfonctionnements, " Pay " pour faciliter l'accès aux paiements dans un environnement encore largement sous-bancarisé.
Quelle est la valeur ajoutée de FeexPay sur le marché des paiements numériques en Afrique ?
Notre proposition repose sur trois piliers : l'accessibilité, la fluidité et la sécurité. FeexPay permet aux entreprises africaines de collecter des paiements à moindre coût, en contournant les frais élevés souvent imposés par les solutions classiques.
Nous avons également lancé un service d'envoi direct entre marchands FeexPay, d'un pays à l'autre, sans passer par une plateforme tierce. Il s'agit d'un modèle d'interopérabilité régionale qui simplifie les transactions transfrontalières, un enjeu majeur sur le continent. Enfin, nous offrons des API REST personnalisables, permettant aux entreprises d'intégrer notre solution sans visibilité de notre marque, tout en assurant un niveau de sécurité conforme aux standards internationaux.
Vous allez bientôt célébrer les deux ans de FeexPay. Comment s'est développée votre solution ?
Nous avons lancé FeexPay avec une idée simple : créer une solution de paiement pensée pour les réalités africaines. Deux ans plus tard, je peux dire que cette idée a trouvé un vrai écho. Aujourd'hui, FeexPay est déployé dans six pays : le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Togo, le Sénégal, le Burkina Faso et le Congo Brazzaville.
Ce déploiement n'a pas été facile. Il a fallu créer des entités locales, se conformer à des réglementations différentes, construire des partenariats solides avec les opérateurs, et surtout, bâtir la confiance. Mais c'est justement cette exigence qui a forgé notre modèle.
En deux ans, nous avons structuré une plateforme robuste, interopérable, avec des API personnalisables, une interface fluide, et surtout un système de sécurité aligné sur les standards internationaux. Nous avons aussi innové avec des fonctionnalités comme Send, qui permet aux marchands de transférer de l'argent entre boutiques ou entre pays, sans passer par des liens ou des plateformes tierces.
Aujourd'hui, FeexPay permet à des milliers de marchands de collecter et de transférer de l'argent à moindre coût, sans friction, dans plusieurs pays d'Afrique. Et ce n'est qu'un début. Nous avons une vision beaucoup plus large pour les mois à venir.
Quels ont été les principaux défis rencontrés dans le développement et l'expansion de FeexPay ?
Le premier défi est la cybersécurité. Dans un secteur où la confiance est cruciale, nous avons dû investir lourdement pour auditer, renforcer et certifier notre infrastructure technique. Cela s'est fait en collaboration avec des cabinets spécialisés, pour répondre aux meilleures pratiques internationales.
L'autre grand défi concerne notre expansion régionale. FeexPay est aujourd'hui présent dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et centrale. Chaque implantation nécessite la création d'une entité locale, la conformité aux réglementations nationales, et l'obtention d'accès aux API des opérateurs télécoms ou banques.
Enfin, nous évoluons dans un marché où les opérateurs historiques, notamment les acteurs du mobile money, investissent massivement dans les services de paiement. Il a donc fallu développer une offre différenciante, à forte valeur ajoutée, sans tomber dans une logique de confrontation.
Comment FeexPay agit-il en faveur de l'inclusion financière, notamment pour les populations non bancarisées ?
L'inclusion financière reste un défi majeur sur le continent. Selon la Banque mondiale, plus de 45 % des adultes en Afrique subsaharienne n'ont toujours pas accès à un compte bancaire formel.
Notre rôle est de faciliter l'accès aux outils de paiement numériques, notamment via des frais de transaction très réduits, adaptés aux réalités locales. Nous misons également sur la simplicité d'usage, pour ne pas exclure les utilisateurs peu familiers des technologies.
L'objectif est clair : permettre à chacun, qu'il soit entrepreneur informel, artisan ou consommateur lambda, de pouvoir payer et encaisser sans obstacle.
Au-delà du discours, que met FeexPay en œuvre aujourd'hui pour rendre les services financiers réellement accessibles ?
L'un des grands freins à l'inclusion financière, ce sont les coûts, souvent élevés, associés aux transactions numériques. Chez FeexPay, nous avons pris le parti de les réduire drastiquement, à la fois pour les entreprises et pour les utilisateurs finaux.
Notre dernière initiative va dans ce sens : les entreprises opérant dans l'espace UEMOA peuvent désormais collecter des paiements via FeexPay et retirer leurs fonds sans aucun frais — ce qui est une première dans la région. Qu'il s'agisse d'un encaissement au Sénégal ou d'un retrait au Bénin ou en Côte d'Ivoire, l'intégralité des montants collectés est reversée, sans commission.
C'est une avancée concrète pour soulager les trésoreries des petites structures et renforcer la confiance dans les outils numériques.
Nous agissons donc sur deux fronts : faire en sorte que le payeur débourse moins, et que l'entreprise conserve davantage. Cette logique guide nos choix techniques et commerciaux, et alimente les innovations que nous déployons, comme la fonctionnalité Sense, qui facilite les transferts entre marchands, y compris d'un pays à l'autre, sans friction.
Comment travaillez-vous avec les autorités pour assurer la conformité réglementaire ?
La régulation est un enjeu stratégique pour toute fintech sérieuse. Dès nos débuts, nous avons fait le choix d'une conformité proactive. Nous sommes en ligne avec la réglementation de la BCEAO, y compris sur les nouvelles exigences relatives à l'agrément des établissements de paiement.
Dans chaque pays d'implantation, nous obtenons les autorisations nécessaires, notamment celles relatives à la collecte et à la gestion des données. Cette rigueur n'est pas un frein ; elle est une condition de notre crédibilité.
C'est aussi une manière de rassurer nos partenaires et clients, en leur garantissant un cadre légal stable et transparent.
Quels sont, selon vous, les principaux défis et opportunités pour les fintechs en Afrique ?
L'Afrique est aujourd'hui le continent où la croissance des services financiers numériques est la plus rapide. En 2022, le mobile money y a généré plus de 830 milliards de dollars de transactions, soit plus de 70 % du volume mondial.
Mais cette dynamique s'accompagne de défis : infrastructure encore fragile, cadre réglementaire parfois instable, accès difficile aux API bancaires, fragmentation des marchés.
Côté opportunités, elles sont immenses : bancarisation numérique, digitalisation des PME, paiements transfrontaliers, microfinance, assurtech, etc. Les fintechs africaines peuvent jouer un rôle décisif pour combler le déficit d'inclusion et structurer un écosystème financier plus souple, plus accessible et plus résilient.
Comment voyez-vous l'évolution du marché des paiements numériques sur le continent ?
Nous entrons dans une nouvelle phase. Après l'émergence du mobile money, nous assistons à une montée en puissance des agrégateurs, des néobanques et des solutions B2B.
À moyen terme, les paiements numériques seront la norme dans les grandes agglomérations, y compris pour les services publics. Le défi sera de généraliser cette transformation aux zones rurales et aux petites structures, qui restent encore peu outillées.
Les fintechs qui réussiront seront celles capables d'offrir des services simples, interopérables, sécurisés, et surtout pensés pour l'Afrique.
Quel rôle les gouvernements africains peuvent-ils jouer pour soutenir l'essor des fintechs ?
Les États ont un rôle central à jouer, à la fois comme régulateurs, partenaires et utilisateurs.
Ils peuvent soutenir le secteur en harmonisant les réglementations, en facilitant l'obtention des agréments, et en encourageant l'open banking. Ils doivent aussi digitaliser leurs propres services – fiscalité, état civil, paiements publics – pour entraîner le tissu économique vers la transformation numérique.
Enfin, un dialogue constructif entre fintechs, régulateurs et institutions financières est essentiel pour bâtir un écosystème cohérent et durable.
Quelles sont les prochaines grandes étapes pour FeexPay ?
FeexPay a été perçu jusqu'ici comme un agrégateur de paiements. Mais notre ambition va bien au-delà.
Nous préparons une évolution stratégique qui repositionnera l'entreprise comme un acteur intégré de la fintech africaine, avec de nouveaux services orientés productivité, data et financement.
Sans tout dévoiler, nous visons à structurer une infrastructure complète de services financiers digitaux pour les entreprises africaines. L'avenir de FeexPay s'inscrit dans une vision long terme : bâtir des outils simples, robustes et adaptés à notre contexte pour accompagner la croissance du continent.
La Rédaction
Publié le 29/04/25 12:34
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