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Depuis plus de trois décennies, le seuil international de pauvreté a servi de thermomètre universel pour jauger les progrès mondiaux dans la lutte contre l'extrême précarité. Cette ligne de référence, introduite par la Banque mondiale en 1990 à 1 dollar par jour, vient d'être révisée à 3 dollars par personne et par jour (environ 1 800 FCFA/jour ou 54 000 FCFA/mois/personne), contre 2,15 dollars auparavant.
Une mise à jour en apparence technique, mais aux implications économiques et sociales profondes, surtout pour les pays africains, désormais au cœur de l'épicentre mondial de la pauvreté.
Une mise à jour pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie
Cette révision du seuil tient compte de l'évolution du coût de la vie et des écarts de prix entre pays grâce à la méthode des parités de pouvoir d'achat. En particulier, la parité de pouvoir d'achat répond plus simplement à la question suivante : combien coûterait le même panier de biens et services dans deux pays différents ? L'objectif étant de rendre les comparaisons plus pertinentes et les politiques plus ciblées.
Parallèlement, les seuils pour les pays à revenu intermédiaire ont également été relevés : 4,20 dollars/jour pour les pays à revenu intermédiaire inférieur (contre 3,65 dollars auparavant), 8,30 dollars/jour pour les pays à revenu intermédiaire supérieur (contre 6,85 dollars).
Ces ajustements sont salués comme une avancée méthodologique majeure, permettant une photographie plus réaliste des conditions de vie mondiales. Mais ils révèlent aussi une vérité dérangeante : la pauvreté est aujourd'hui plus concentrée en Afrique subsaharienne qu'à aucun autre moment de l'histoire récente.
Un glissement géographique de la pauvreté vers l'Afrique
Alors qu'en 1990 la majorité des pauvres vivaient en Asie de l'Est et du Sud, les efforts de croissance, d'industrialisation et de politiques sociales ont massivement réduit leur nombre. Aujourd'hui, près de 60% des personnes vivant dans l'extrême pauvreté résident en Afrique subsaharienne, dans un contexte où les chocs successifs — pandémies, inflation alimentaire, conflits, dérèglements climatiques — ont fragilisé les gains économiques récents.
Cette évolution structurelle est d'autant plus préoccupante que la croissance démographique du continent africain se poursuit à un rythme soutenu, faisant peser une pression accrue sur les systèmes éducatifs, de santé, d'emploi et de protection sociale.
Ce que cela change pour les pays africains
L'élévation du seuil monétaire international de pauvreté aura plusieurs implications pratiques, notamment : Une augmentation du nombre de pauvres ‘'statistiques'' : avec un seuil plus élevé, davantage de personnes seront désormais comptabilisées comme pauvres. Cela ne signifie pas que leur situation s'est dégradée, mais que la barre de référence a été rehaussée pour refléter une réalité plus exigeante ; de nouvelles exigences pour les politiques sociales : les gouvernements africains devront recalibrer leurs filets de sécurité, en particulier pour les subventions, les programmes de transferts monétaires et les services essentiels. Un seuil plus élevé implique des besoins plus grands.
La pauvreté est aussi multidimensionnelle
La Banque mondiale elle-même le souligne, la pauvreté ne se limite pas à un seuil monétaire. L'accès à l'éducation, à l'eau potable, à l'électricité, à l'assainissement, à la santé sont autant d'indicateurs fondamentaux qui complètent cette lecture.
Les pays africains doivent donc aller au-delà des chiffres, et penser en termes de pauvreté multidimensionnelle, de qualité de vie, de résilience et de mobilité sociale.
Cette mise à jour du seuil de pauvreté mondial est bien plus qu'une simple opération comptable, c'est un réajustement éthique et politique qui reflète un monde en mutation, mais aussi les défis croissants d'un continent qui concentre à la fois les promesses et les vulnérabilités du 21e siècle.
Dr Ange Ponou
Publié le 12/06/25 13:21
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