La Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) s'apprête à accueillir sa toute première agence locale de notation financière. L'annonce, discrète lors de sa diffusion début octobre 2025, marque pourtant un tournant dans une région où les acteurs financiers dépendent depuis toujours des évaluations produites à Londres, Paris ou New York. Concrètement, c'est à travers un avis de recrutement et un communiqué publiés sur la page LinkedIn de Geneva Investment Corporation que l'entreprise a, pour la première fois, dévoilé que sa filiale GNV Invest Rating S.A., présentée comme la première agence de notation financière de la zone CEMAC, entend " démarrer ses activités au premier trimestre 2026 " et établir son siège à Douala.
GNV Invest Rating souhaite s'implanter durablement dans l'analyse du risque au sein d'une région où elle deviendrait " le premier opérateur à proposer une notation maison, ajustée aux réalités quotidiennes des banques, assureurs, institutions de microfinance, petites entreprises et même des États ", peut-on lire dans un communiqué estampillé Geneva Investment Corporation et dont Sika Finance a obtenu copie. Le document précise que l'agence disposera " d'un capital de 100 millions FCFA " et sera structurée comme " une société anonyme avec conseil d'administration ". Geneva présente ce cadre comme la garantie d'une organisation capable d'évaluer de manière indépendante la capacité d'un acteur économique à rembourser ses dettes — ce que la notation financière désigne comme le " risque de crédit ", notion souvent perçue comme technique mais qui renvoie simplement à la confiance accordée à un emprunteur.
Pour la CEMAC, cette initiative met fin à une situation qui prévalait depuis des décennies. Jusqu'ici, rappelle le communiqué, " les acteurs financiers de la CEMAC dépendaient exclusivement des agences de notation internationales pour évaluer leur solvabilité ". En installant une structure locale, Geneva Invest affirme vouloir " réduire cette dépendance " tout en proposant des méthodologies adaptées à la structure économique régionale, marquée par une forte concentration bancaire, une présence encore marginale des marchés financiers et des systèmes de données parfois incomplets.
L'entreprise indique également que son champ d'intervention couvrira sans exception les six pays de la CEMAC — Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine et Tchad — avec l'objectif assumé " d'harmoniser les standards d'évaluation du risque de crédit à l'échelle régionale, et d'offrir aux investisseurs, locaux comme internationaux, un outil fiable pour orienter leurs décisions d'allocation de capitaux ". Selon des sources proches du dossier, l'agence sera constituée " d'experts africains issus des secteurs bancaire, financier, assurantiel et réglementaire, apportant une diversité de compétences et de perspectives ". La demande d'agrément a été déposée le 27 octobre 2025 auprès de la Commission de surveillance du marché financier de l'Afrique centrale (Cosumaf). Selon le Règlement Général de cette institution, tout organisme qui sollicite l'agrément en tant qu'agence de notation ("organisme de notation") doit soumettre son dossier complet. Le texte stipule que la Cosumaf instruit la demande dans un délai de 60 jours à compter de la réception du dossier complet
Avec l'arrivée de ce nouvel acteur, la Cosumaf — déjà engagée dans la modernisation des règles encadrant les sociétés de bourse, les fonds communs de placement, les OPCI et les futures agences de notation — devra encore muscler son dispositif afin de s'arrimer aux standards internationaux. Depuis la crise financière mondiale de 2008, ces standards mettent l'accent sur l'indépendance des agences, la robustesse des méthodologies, la qualité de la gouvernance interne et la maîtrise des conflits d'intérêts.
Cette montée en exigences apparaît indispensable pour offrir à Geneva Invest un environnement réglementaire suffisamment solide, capable de soutenir la crédibilité, la transparence et la responsabilité des notations, dans un marché où la discipline du rating ne fait que commencer et où la confiance reste à construire.
Rappelons tout de même que la COSUMAF a mis en place un cadre rigoureux pour l'agrément et l'exercice des agences de notation en zone CEMAC. Le règlement adopté le 21 juillet 2022, et promulgué le 23 mai 2023, forment désormais l'ossature légale qui définit les droits, obligations et conditions d'intervention des agences de notation dans l'espace CEMAC.
Dans cette nouvelle architecture, une agence de notation doit être domiciliée dans l'un des États membres de la CEMAC pour prétendre à un agrément — la COSUMAF exige un dossier de candidature complet comprenant statuts juridiques, organigramme, dirigeants, méthodologies de notation, gestion des conflits d'intérêts, dispositif de contrôle interne, modèle de rémunération, et classes de notation visées.
Sur le plan opérationnel, les agences agréées doivent disposer de moyens humains et techniques solides. Elles sont soumises à un cadre de gouvernance stricte, à des principes d'intégrité, de transparence et de responsabilité, et doivent mettre en place des systèmes de prévention des abus de marché et de gestion des informations privilégiées.
Perton Biyiha
La Rédaction
Publié le 17/11/25 15:07