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À mesure que les financements internationaux se contractent, l'Afrique doit se tourner vers ses propres marchés. C'est le message ferme de Marie Diron, responsable mondiale des notations souveraines chez Moody's, interrogée par Reuters lors d'un événement de la Fondation Mo Ibrahim à Marrakech au Maroc.
La spécialiste recommande aux gouvernements africains de développer des marchés obligataires en monnaie locale plus profonds et plus liquides, seul rempart durable contre la volatilité mondiale et les retraits massifs d'investisseurs étrangers.
" Le financement intérieur doit vraiment combler ce fossé ", affirme-t-elle, en pointant l'exemple du Bénin ou de la Côte d'Ivoire, dont la stratégie de mobilisation de l'épargne locale a permis une amélioration de la notation souveraine. À l'opposé, plusieurs pays lourdement endettés en devises étrangères voient leurs marges de manœuvre se réduire.
Le cycle favorable touche à sa fin
Pendant une décennie, les États africains ont bénéficié d'un accès relativement fluide aux prêts internationaux et aux guichets multilatéraux. Ce n'est plus le cas dans un contexte où les tensions induites par la crise de la Covid-19 puis de la guerre en Ukraine sont prolongées par les incertitudes nées de la guerre commerciale enclenchée par l'administration Trump. Les flux nets en provenance de la Chine deviennent désormais négatifs, notamment en Angola ou en Zambie, où les remboursements surpassent les nouveaux engagements.
Dans le même temps, les prévisions de Moody's tablent sur un Brent à 65 dollars le baril, affectant les recettes pétrolières de plusieurs pays exportateurs. Face à ces pressions, la diversification des sources de financement devient urgente.
Dans son message de Moody's relève un fait : l'Afrique a tout à gagner à investir dans ses propres marchés. Le coût moyen des dettes domestiques reste élevé – 12 % en Afrique, contre 8 % en Amérique latine – mais pourrait baisser avec plus de liquidité et une meilleure structuration.
" L'utilisation efficace des recettes, la maîtrise de la dette extérieure et l'allongement des maturités sont des facteurs clés de stabilité ", rappelle Diron. Elle cite l'exemple de l'Afrique du Sud, dont la notation a mieux résisté grâce à ces leviers, malgré les tensions politiques avec Washington.
Les banques multilatérales sous pression
Autre source d'inquiétude : la capacité future des institutions comme la BAD, le FMI ou la Banque mondiale à maintenir leurs volumes de prêts. Avec un déficit de financement estimé à 400 milliards de dollars par an, les " dizaines de milliards " mobilisés aujourd'hui sont loin de suffire.
Moody's met en garde contre tout retrait des États-Unis de ces institutions. " Il serait risqué que les banques multilatérales concluent qu'elles ne peuvent pas prêter autant qu'avant, au moment même où les besoins augmentent ", insiste Diron.
Jean Mermoz Konandi
Publié le 05/06/25 12:31
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