Roselyne ABE, DG EDC Invesment Corporation :
Chaque introduction en bourse que nous avons menée, Orange CI, Loterie du Bénin, BIIC, a repoussé les frontières du possible sur notre marché
Dans un marché financier régional encore en quête de profondeur, EDC Investment Corporation s'impose comme un laboratoire d'innovations et un catalyseur de confiance. Sous la direction de Roselyne Abe, la société de gestion et d'intermédiation du groupe Ecobank a orchestré des introductions en bourse emblématiques, de l'OPV record d'Orange Côte d'Ivoire à la récente entrée de la BIIC, tout en ouvrant la voie à des instruments durables comme le tout premier gender bond de l'UEMOA. Entre démocratisation de l'épargne, ingénierie financière et impact social, la dirigeante revient sur une aventure qui redessine les contours de la finance régionale et repousse les frontières du possible.
Vous êtes à la tête d'EDC Investment Corporation (EIC), l'une des Sociétés de gestion et d'intermédiation (SGI) du Groupe ECOBANK qui s'est imposée au fil des années comme un acteur majeur de l'innovation financière au sein de l'UEMOA. Comment pouvez-vous résumer la philosophie et l'ambition de votre structure ?
Notre philosophie repose sur la conviction profonde que le marché des capitaux constitue un levier stratégique incontournable pour un développement économique durable dans la région.
Avec plus de 35 000 clients et plus de 1 500 milliards FCFA d'actifs en conservation, EIC s'impose durablement dans le Top 2 des SGI teneurs de compte de la zone. L'entreprise joue un rôle central dans l'accompagnement des entreprises, des États et des investisseurs dans leurs opérations de levée de fonds et d'investissement.
Notre philosophie repose sur la conviction profonde que le marché des capitaux constitue un levier stratégique incontournable pour un développement économique durable dans la région. Pour cela, nous plaçons l'ingénierie financière et l'innovation au cœur de notre démarche : concevoir des solutions sur mesure, structurer des instruments adaptés aux réalités locales et aux exigences internationales, accompagner les entreprises dans leurs recherches de financement à travers des levées de fonds en dette ou en capital et offrir aux acteurs économiques des produits à fort impact, tant sur le plan financier que social. Notre ambition ? Démocratiser l'épargne et faire du marché financier un moteur de croissance inclusive.
EDC Investment Corporation a piloté avec succès plusieurs opérations d'envergure ces dernières années, notamment l'OPV d'Orange Côte d'Ivoire (143,1 milliards FCFA) en 2022, l'OPV de la Loterie Nationale du Bénin (43 milliards FCFA) en 2024 et, plus récemment, l'OPV de la BIIC (plus de 100 milliards FCFA) en 2025. Quels enseignements tirez-vous de ces succès et comment ces opérations ont-elles renforcé la position d'EIC sur le marché financier régional ?
Mais notre ambition va au-delà de la performance financière. Nous voulons démocratiser l'épargne, rapprocher les citoyens de leur économie et promouvoir une gouvernance plus ouverte et participative. Chaque OPV contribue à élargir la culture boursière et à transformer les entreprises en véritables moteurs de croissance durable et inclusive pour la région.
Ces opérations ont constitué des jalons majeurs pour EIC et le marché financier régional. L'introduction en bourse d'Orange Côte d'Ivoire, en particulier, reste emblématique : non seulement elle représente la plus importante Offre Publique de Vente d'actions (OPV) jamais réalisée sur la BRVM (143,1 milliards FCFA), mais elle a surtout démontré que notre marché était capable d'absorber une opération de cette ampleur avec une forte participation des investisseurs personnes physiques. Elle a ainsi contribué à restaurer la confiance dans le potentiel de mobilisation de l'épargne locale, en révélant l'intérêt réel des populations pour les marchés financiers lorsqu'elles sont bien accompagnées. Cette opération a également permis de hisser la BRVM au 5ᵉ rang des places boursières africaines au cours de l'année 2023.
L'OPV de la Loterie Nationale du Bénin a marqué un double premier : première entreprise publique béninoise à intégrer la cote, et première ouverture du secteur des jeux à la BRVM.
Quant à l'introduction en bourse de la Banque Internationale pour l'Industrie et le Commerce (BIIC) en 2025, elle marque un nouveau tournant avec la plus importante opération de cession de parts d'actions d'une banque par un État jamais réalisée sur notre marché régional.
Ces succès s'inscrivent dans une dynamique forte : EIC est la première SGI à avoir structuré et mené les quatre dernières OPV de la BRVM, dont deux consécutives en 2024 et 2025, preuve de notre expertise et de la confiance des émetteurs comme des investisseurs.
Mais notre ambition va au-delà de la performance financière. Nous voulons démocratiser l'épargne, rapprocher les citoyens de leur économie et promouvoir une gouvernance plus ouverte et participative. Chaque OPV contribue à élargir la culture boursière et à transformer les entreprises en véritables moteurs de croissance durable et inclusive pour la région.
À travers des instruments innovants comme les obligations vertes, sociales et durables de la BIDC (240 milliards FCFA) et maintenant le Gender Bond “Ellever 6,5% 2024-2029”, EIC semble vouloir redéfinir les standards du marché financier. Comment évaluez-vous l'appétit des investisseurs pour ces produits à impact, et pensez-vous que la région UEMOA est prête à accueillir d'autres instruments aussi novateurs ?
La région UEMOA est prête. Ce marché peut devenir une référence africaine en finance durable si nous continuons à allier innovation, transparence et impact mesurable.
Nous observons un engouement croissant des investisseurs pour les instruments à impact social et environnemental. Le Gender Bond ‘'Ellever 6,5% 2024-2029'', que EIC a eu l'honneur de structurer, illustre parfaitement cette dynamique : clôturé par anticipation seulement deux jours après son lancement, il constitue le tout premier Gender Bond émis dans la zone UEMOA et le deuxième en Afrique subsaharienne. Ce type d'instrument va bien au-delà de la simple performance financière. Il traduit la volonté claire des investisseurs de donner du sens à leurs placements, en soutenant des projets concrets en faveur de l'autonomisation économique des femmes et de l'entrepreneuriat inclusif.
Dans cette même dynamique, notre rôle de co-chef de file sur le programme d'émission obligataire de la BIDC, d'un montant total de 240 milliards FCFA, a marqué une avancée majeure. La dernière tranche, intitulée ‘'GSS BIDC-EBID 6,50% 2024-2031'' et émise sous forme d'obligations durables, a permis de mobiliser des financements en faveur de projets alignés sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), répondant ainsi aux attentes croissantes des investisseurs institutionnels, tant locaux qu'internationaux.
Filiale du Groupe ECOBANK, EIC s'inscrit pleinement dans la dynamique portée par le groupe en matière de finance durable. Précurseurs et innovateurs sur les questions d'investissement socialement responsable, nous partageons la conviction que les enjeux Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) constituent un levier puissant de transformation, capable de générer un impact concret et durable sur la finance régionale.
À l'échelle mondiale, le marché des obligations durables a désormais dépassé les 15 000 milliards de dollars d'encours, avec plus de la moitié des émissions vertes provenant d'Europe, qui domine ce segment en pleine expansion. L'Afrique, quant à elle, n'en capte qu'une fraction estimée à 0,1%, soit environ 13 à 14 milliards de dollars en 2023, répartis sur quelque 8 000 financements ESG. Pourtant, plusieurs initiatives récentes montrent que le continent est en mouvement : le Nigéria a émis son premier Green Sukuk, combinant finance islamique et objectifs environnementaux ; le Maroc a lancé une obligation de genre pour soutenir l'inclusion économique des femmes ; la Tanzanie a procédé à la plus grande émission d'obligation verte du continent, mobilisant 300 millions de dollars pour financer sa transition énergétique ; et la Côte d'Ivoire a mis en œuvre un swap de dette innovant, destiné à réorienter des engagements existants vers des projets à fort impact ESG.
Ces exemples, conjugués aux récentes avancées dans la zone UEMOA, montrent clairement que l'intérêt pour les instruments durables est réel, mais qu'il reste encore sous-exploité. Pour libérer pleinement ce potentiel, trois conditions essentielles doivent être réunies : la mise en place d'un cadre règlementaire fort permettant d'éviter les écarts et de renforcer la confiance, la transparence et la traçabilité rigoureuse de l'utilisation des fonds, dans le respect strict des standards internationaux en matière d'ESG.
EIC entend continuer à jouer un rôle moteur dans cette transformation, en apportant son expertise pour concevoir et structurer des produits innovants, adaptés aux réalités de la région et capables de répondre aux attentes d'un marché en quête de performance durable. À ce titre, la région UEMOA démontre qu'elle est non seulement réceptive, mais bel et bien prête à accueillir une nouvelle génération de financements responsables.
Le ‘‘Gender Bond'' lancé en mars 2025 a constitué une première en Afrique subsaharienne francophone, avec une sursouscription en seulement 48 heures et plus de 11 milliards FCFA levés. Qu'est-ce qui a fait la force de cette opération et comment ce modèle peut-il être reproduit pour d'autres thématiques comme le climat ou les infrastructures sociales ?
Au-delà de sa solidité financière et de la crédibilité des acteurs impliqués, c'est la clarté de son objectif social qui a convaincu : l'intégralité des fonds levés a été consacrée au programme Ellever d'Ecobank Côte d'Ivoire, dédié à l'autonomisation économique des femmes entrepreneures et des PME dirigées par des femmes.
Le Gender Bond Ellever 6,5% 2024-2029, structuré et placé par EIC pour le compte d'Ecobank Côte d'Ivoire, s'est imposé comme une opération emblématique de la finance durable sur notre marché. Émis par Ecobank Côte d'Ivoire, coté à la BRVM et soutenu par des investisseurs d'ancrage tels que l'IFC et ALCB Fund, il a bénéficié d'un montage rigoureux conforme aux standards internationaux.
Au-delà de sa solidité financière et de la crédibilité des acteurs impliqués, c'est la clarté de son objectif social qui a convaincu : l'intégralité des fonds levés a été consacrée au programme Ellever d'Ecobank Côte d'Ivoire, dédié à l'autonomisation économique des femmes entrepreneures et des PME dirigées par des femmes. Le Gender Bond constitue la solution mise en place pour soutenir le programme Ellever et remédier au sous-financement des PME portées par les femmes. L'objectif est de renforcer leurs capacités et de les préparer à l'avenir, notamment à travers la digitalisation. Depuis quatre ans, le programme a déjà accompagné plus de 3 500 entreprises dirigées par des femmes, avec plus de 13 milliards FCFA investis. L'ambition d'ECOBANK Côte d'Ivoire est désormais d'atteindre 10 000 femmes entrepreneures.
Cette finalité concrète et mesurable a suscité une adhésion exceptionnelle, la souscription ayant été bouclée en seulement 48 heures, y compris auprès d'investisseurs institutionnels, individuels, régionaux et internationaux.
Ce succès illustre l'intérêt croissant des investisseurs pour les produits socialement responsables et démontre la reproductibilité de ce modèle sur d'autres priorités stratégiques, telles que le climat ou les infrastructures sociales. La clé réside dans l'alignement entre la robustesse de l'instrument financier, la clarté de l'impact attendu et la mobilisation d'acteurs crédibles, garants d'une finance à la fois performante et responsable.
Vous êtes l'une des rares femmes dirigeantes dans la finance sous-régionale et vous avez conduit des opérations qui marquent un tournant pour le marché financier de l'UEMOA. Comment, selon vous, le leadership féminin peut-il impulser une finance plus inclusive et innovante ?
La finance ne peut pas être inclusive si elle ne reflète pas la diversité qu'elle prétend servir.
Je suis convaincue que la diversité des profils au sein des instances de décision renforce la richesse et la pertinence de notre écosystème financier. La présence accrue de femmes à des postes stratégiques apporte de nouvelles perspectives, enrichit les approches et favorise une finance plus inclusive. Le leadership féminin, lorsqu'il est pleinement valorisé, se traduit par une sensibilité particulière aux réalités du terrain, une capacité d'écoute renforcée et une attention particulière aux besoins souvent sous-représentés.
La diversité de genre élargit les perspectives, intègre d'autres priorités et permet d'ancrer les décisions dans la réalité des clients. Dans l'espace UEMOA, où les femmes représentent une part essentielle de l'entrepreneuriat informel et des très petites entreprises, leur présence dans les sphères de décision constitue un levier pour concevoir des solutions réellement adaptées.
Ainsi, le leadership féminin apparaît comme un pilier stratégique pour bâtir une finance plus inclusive et durable, fondée sur l'ouverture, l'écoute et la co-construction. Il constitue également un véritable moteur d'innovation.
Parmi toutes les opérations que vous avez pilotées, quelle est celle qui vous a le plus marquée personnellement, et pourquoi ?
Il m'est difficile de retenir une opération en particulier, tant chacune a représenté une aventure singulière, mêlant défis techniques, enjeux stratégiques et émotions humaines. Chaque transaction que nous avons conduite a apporté ses propres complexités, ses enseignements et ses réussites, contribuant à renforcer notre expertise et à élargir les horizons du marché.
Il m'est difficile de retenir une opération en particulier, tant chacune a représenté une aventure singulière, mêlant défis techniques, enjeux stratégiques et émotions humaines. Chaque transaction que nous avons conduite a apporté ses propres complexités, ses enseignements et ses réussites, contribuant à renforcer notre expertise et à élargir les horizons du marché. Certaines se sont distinguées par leur envergure, d'autres par leur caractère novateur ou leur portée symbolique, mais toutes, sans exception, ont été structurantes dans notre trajectoire collective.
Nous abordons chaque opération comme un marchepied vers la suivante, une pierre ajoutée à l'édifice du développement du marché financier régional. Ce qui me marque particulièrement, c'est la capacité des équipes à se dépasser, à apprendre ensemble et à trouver des solutions inédites. Au-delà des chiffres, ce qui compte réellement, ce sont les dynamiques que ces opérations enclenchent : des gouvernances renforcées, des projets structurants et impactants financés, une confiance nouvelle qui se construit entre acteurs, une participation massive du grand public qui nous permet de vulgariser l'investissement boursier, l'adhésion à la transparence des sociétés inscrites à la cote.
Ainsi, nous ne faisons pas que structurer des produits financiers : nous contribuons à écrire une trajectoire pour notre marché. Chaque opération nourrit notre exigence, consolide notre expertise et accroît notre responsabilité dans la construction d'un écosystème plus inclusif, plus mature et plus ancré dans les réalités du terrain.
EIC a démontré sa capacité à orchestrer des opérations d'envergure dans un marché parfois jugé étroit ou peu liquide. Quels sont les principaux défis pour dynamiser encore davantage la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), et quelle contribution EIC peut-elle apporter à cet écosystème ?
A cet effet, en juillet dernier, le DC/BR a lancé sa plateforme de digitalisation des opérations de souscription des Appels Publics à l'Épargne (DIGIAPE). Cette avancée technologique majeure, financée grâce au soutien du Capital Markets Development Trust Fund (CMDTF) de la Banque africaine de développement (BAD), vise à moderniser, simplifier et sécuriser les opérations d'émission de titres sur le marché financier régional de l'UMOA.
Certes, le marché des capitaux régional présente quelques contraintes structurelles comparativement à des marchés plus développés. Mais au-delà de ce constat, il est essentiel d'engager une démarche concertée pour relever les défis prioritaires auxquels notre marché est confronté.
Le premier est celui de l'élargissement de la base d'investisseurs institutionnels et particuliers locaux. Cela passe par la promotion de la culture financière, la structuration des produits adaptés aux différents profils, et à l'international, le renforcement de la visibilité des opportunités offertes par notre marché, grâce à une communication accrue et un alignement progressif de nos pratiques sur les standards mondiaux de transparence et de gouvernance. Les SGI, fédérées au sein de l'APSGI, sont au cœur de cette dynamique. Grâce à nos efforts conjoints avec l'ensemble des acteurs du marché, nous favorisons une implication accrue des investisseurs et contribuons à asseoir la crédibilité et l'attractivité de la place financière régionale. La BRVM a démontré sa capacité à accueillir des opérations ambitieuses, et poursuit un agenda riche en initiatives de promotion du marché régional, notamment à travers les BRVM Investment Days.
Le second objectif ambitieux est lié à la diversification et à la profondeur du marché, qui passent par une augmentation du nombre de sociétés cotées, une offre plus variée d'instruments financiers, et une amélioration de la liquidité. À titre de comparaison, en 2024, le Nasdaq a accueilli 171 opérations d'offre publique de vente (OPV) d'actions pour un montant levé de 22,7 milliards USD (environ 12 792 milliards FCFA). Quant à la bourse de Johannesburg, ce sont au moins 911 millions de rands (293 milliards FCFA) qui ont été émis par voie d'offres publiques de vente d'actions. Ces opérations constituent un instrument puissant de mobilisation de capitaux et de dynamisation des marchés financiers, permettant aux entreprises d'accéder à des ressources longues et aux investisseurs de diversifier leurs portefeuilles, les économies de ces pays s'en trouvent fortement stimulées.
Afin de hisser notre bourse à ces standards, un troisième enjeu essentiel réside dans l'adaptation continue du cadre réglementaire et technologique afin de renforcer la transparence, l'efficacité et la confiance. A cet égard, il convient de saluer les efforts déployés par...
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La Rédaction
Publié le 13/11/25 14:32