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À la ''Finance Week'' ouverte ce 17 juin 2025 à Yaoundé, une contradiction majeure dans la gestion des devises au sein de la zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) a été mise en lumière. Le Cameroun apparaît à la fois comme le principal pourvoyeur de devises de la sous-région, et comme celui qui en consomme le plus au guichet de la Banque centrale.
Selon Gilbert Didier Edoa, secrétaire général du ministère camerounais des Finances, le Cameroun contribue chaque année entre 40% et 58% à la constitution des réserves de change de la CEMAC, soit en moyenne près de la moitié des avoirs extérieurs communs aux six États membres (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, Centrafrique, Guinée équatoriale). Un poids régional à la hauteur de son tissu industriel, qui représente à lui seul environ 40% de la capacité productive de la zone.
Ces réserves, constituées à partir des recettes d'exportations et autres encaissements en devises, permettent aux États membres d'effectuer collectivement leurs paiements extérieurs. En vertu des accords monétaires avec la France, 50% des avoirs en devises sont logés à la BEAC, et 50% dans un compte d'opérations au Trésor français, formant un socle de solidarité pour les importations régionales. Il arrive ainsi que certains pays aux ressources limitées mobilisent davantage de devises qu'ils n'en détiennent, en s'appuyant sur les excédents générés par d'autres, comme le Cameroun.
Mais cette posture de donneur net de devises contraste fortement avec les données révélées par Pierre Emmanuel Nkoa Ayissi, directeur national de la BEAC pour le Cameroun, également lors de la Finance Week. D'après lui, le Cameroun affiche un solde structurellement déficitaire de ses opérations en devises au guichet de la Banque centrale depuis 2020. En clair, les entreprises camerounaises retirent plus de devises qu'elles n'en injectent dans le système monétaire régional.
" En 2023, ce solde moyen s'est établi à moins 800 milliards de FCFA, et cumulativement, entre 2020 et 2024, on parle de plus de 1 600 milliards de FCFA de sorties nettes ", a précisé le responsable de la BEAC, qui qualifie implicitement le Cameroun de " mouton noir " dans ce domaine. À titre comparatif, les autres pays membres ont affiché des soldes positifs sur la même période : +181 milliards pour la Guinée équatoriale, +152 milliards pour le Congo, +139 milliards pour le Gabon, +121 milliards pour la Centrafrique et +87 milliards pour le Tchad.
Cette dynamique soulève des interrogations sur la gestion du commerce extérieur camerounais, notamment en matière de rapatriement des recettes d'exportation. En effet, malgré sa contribution déterminante à la création des réserves régionales, le Cameroun semble également en vider une large partie, affaiblissant indirectement la capacité de la BEAC à maintenir un niveau de couverture externe conforme aux critères de stabilité fixés.
Or, la soutenabilité des réserves de change est un enjeu stratégique pour la parité fixe FCFA/euro, dont la crédibilité repose notamment sur la robustesse de ces avoirs. À cet égard, la BEAC, dans sa session du 24 mars 2025 à Malabo, a projeté une hausse de 4% des réserves régionales, à 7 584,9 milliards FCFA, soit l'équivalent de 4,8 mois d'importations. Cette légère embellie permettrait un retour au niveau de 2023, après deux années consécutives de repli.
Selon Yvon Sana Bangui, gouverneur de la BEAC, ce redressement serait attribuable aux premiers effets des politiques d'import-substitution engagées dans la zone, mais aussi — quoique plus incertain — au régime transitoire de rapatriement des fonds de restauration des sites miniers, pour lequel un accord définitif se fait toujours attendre. Un ultime round de négociations entre la BEAC, les États membres et les opérateurs miniers est attendu, après l'échec des discussions du 30 avril dernier.
Perton Biyiha
La Rédaction
Publié le 17/06/25 17:51
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