Après plusieurs années d'atermoiements, le Ghana franchit enfin une étape stratégique dans sa quête d'indépendance énergétique. En effet, la raffinerie publique de pétrole de Tema (Tema Oil Refinery – TOR), unique unité de raffinage du pays, a officiellement repris le traitement du pétrole brut, mettant fin à une longue période d'inactivité qui avait rendu le pays quasi totalement dépendant des importations de carburants.
Créée dans les années 1960 et passée sous le contrôle de l'État en 1977, TOR était à l'arrêt depuis 2021 et plus largement en sommeil quasi permanent depuis près de six ans, en raison de graves difficultés financières, d'infrastructures vieillissantes et d'une gouvernance fragilisée. Son redémarrage marque donc un tournant majeur pour une économie où les produits pétroliers ont représenté plus d'un quart des importations l'an dernier, pesant lourdement sur les réserves de change et sur les prix à la consommation.
A ce stade, l'unité de distillation de la raffinerie est de nouveau opérationnelle. Sa capacité actuelle est estimée à environ 28 000 barils par jour, avec l'ambition d'atteindre rapidement les 45 000 barils quotidiens correspondant à sa capacité nominale maximale avant sa fermeture en 2021. Si TOR parvenait à fonctionner de manière optimale, elle pourrait couvrir jusqu'à 60% de la demande intérieure en carburant, un niveau déjà atteint par le passé. Selon les estimations officielles, cela permettrait au Ghana d'économiser potentiellement près de 400 millions de dollars (223 milliards FCFA) par mois sur ses importations de carburant, alors que la facture annuelle d'importations pétrolières du pays avoisine les 10,2 milliards de dollars.
Pour les autorités, l'enjeu est double : réduire la dépendance extérieure tout en atténuant l'exposition de l'économie ghanéenne à la volatilité des cours mondiaux du pétrole, qui se répercute directement sur les finances publiques et le pouvoir d'achat des ménages. Mais ce redémarrage, aussi symbolique soit-il, ne dissipe pas toutes les inquiétudes. Les analystes rappellent que les précédentes tentatives de relance de TOR ont échoué, faute de discipline commerciale, de financements durables et d'une gestion adaptée aux réalités du marché pétrolier.
En 2019 déjà, la raffinerie affichait une dette supérieure à 300 millions de dollars, conséquence de pertes d'exploitation et de son incapacité à écouler suffisamment de produits raffinés pour rembourser ses emprunts bancaires. Un incendie survenu en 2017 avait par ailleurs aggravé l'état des installations, précipitant l'arrêt prolongé des activités.
Une dynamique continentale en toile de fond
La relance de TOR s'inscrit dans un mouvement plus large observé à l'échelle africaine. Partout sur le continent, les gouvernements cherchent à développer ou à réhabiliter leurs capacités de raffinage afin de mettre fin à des décennies de dépendance aux produits pétroliers importés. La méga-raffinerie Dangote au Nigeria, la modernisation des installations en Angola, ou encore les nouveaux projets en Ouganda et au Sénégal illustrent ce regain d'intérêt pour l'aval pétrolier, perçu comme un levier de souveraineté énergétique, de création d'emplois industriels et de préservation des réserves de change.
Dans ce contexte, la décision du Ghana apparaît cohérente et stratégique. Toutefois, les experts soulignent que le véritable défi commence maintenant : assurer un approvisionnement régulier en pétrole brut, sécuriser les fonds de roulement, et engager des investissements techniques de long terme pour garantir la fiabilité des installations. Même si le redémarrage actuel devait rester partiel ou progressif, il constitue déjà un signal politique et économique fort. Pour Accra, maintenir en activité sa seule raffinerie, même en deçà de sa capacité maximale, pourrait réduire son exposition aux chocs pétroliers mondiaux et restaurer une part de contrôle sur sa chaîne d'approvisionnement énergétique.
Narcisse Angan
Publié le 30/12/25 15:58