La disparition présumée de plusieurs centaines de tonnes d'uranium civil au Niger a pris une tournure judiciaire et géopolitique majeure. En effet, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour vol en bande organisée, soupçonné d'avoir été commis dans l'intérêt d'une puissance étrangère, après le déplacement d'un stock d'uranium depuis le site minier d'Arlit, dans le Nord du Niger. La procédure a été engagée à la suite d'une plainte déposée par Orano, le groupe nucléaire français qui exploitait la mine avant sa nationalisation par les autorités militaires nigériennes.
Selon Orano, entre 1 300 et 1 600 tonnes de concentré d'uranium, produites avant la nationalisation de la Somaïr (Société des mines de l'Aïr), étaient stockées sur le site d'Arlit. La valeur marchande de ces volumes est estimée à environ 310 millions de dollars, soit 173,6 milliards FCFA. Fin novembre, le groupe français a annoncé qu'un chargement avait quitté le site, dénonçant une opération effectuée sans son autorisation.
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Un élément clé du dossier réside dans le calendrier judiciaire : la plainte d'Orano a été déposée le 18 août dernier, soit bien avant les informations faisant état du transport effectif de l'uranium. Le parquet de Paris a confirmé que l'enquête était donc antérieure aux convois observés fin novembre, ce qui suggère que les soupçons de déplacement illicite existaient en amont.
La qualification retenue : vol organisé au profit d'une puissance étrangère, place l'affaire sous le prisme de la sécurité nationale française. Les enquêteurs cherchent à déterminer si les mouvements d'uranium ont violé des décisions de justice françaises et internationales, ainsi que les règles encadrant la circulation de matières stratégiques. L'enquête est pilotée par les juridictions spécialisées en criminalité financière et en sécurité, signe de la sensibilité du dossier.
Des informations concordantes évoquent le transport d'environ 1 000 tonnes d'uranium non enrichi vers le Sud du Niger, à l'aide de dizaines de camions. Des images satellites ont confirmé l'arrivée d'au moins 34 camions dans la zone de l'aéroport de Niamey début décembre, où ils seraient restés plusieurs semaines. Orano affirme ignorer la quantité exacte déplacée, la destination finale et l'identité d'éventuels acheteurs.
Jusqu'à sa nationalisation, la Somaïr était détenue à 63,4% par Orano et à 36,6% par l'État du Niger. Depuis décembre 2024, le groupe français a perdu le contrôle opérationnel de ses trois filiales minières dans le pays. Orano, dont le capital est détenu à plus de 90% par l'État français, a depuis engagé plusieurs procédures d'arbitrage international contre le Niger, transformant le différend industriel en contentieux diplomatique latent.
Cette affaire s'inscrit dans un bras de fer ouvert depuis le coup d'État de juillet 2023 entre Orano et les autorités nigériennes. En septembre, une juridiction arbitrale liée à la Banque mondiale avait statué que l'État du Niger n'avait pas le droit de vendre, transférer ou faciliter le transfert de l'uranium produit par la Somaïr avant sa nationalisation. Une décision que Niamey conteste politiquement, au nom de la souveraineté sur ses ressources naturelles.
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Le chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, a publiquement défendu la vente de l'uranium, estimant qu'il appartient désormais au peuple nigérien. Cette position s'accompagne d'un rapprochement affiché avec de nouveaux partenaires, notamment la Russie et l'Iran. Moscou a d'ailleurs déclaré son intérêt pour l'exploitation de l'uranium nigérien, et une visite du ministre russe de l'Énergie à Niamey, accompagné de dirigeants de grands groupes miniers, a renforcé ces spéculations.
Un précédent sahélien inquiétant pour les investisseurs
Le différend nigérien fait écho à d'autres tensions minières dans la région. Au Mali voisin, un juge a récemment ordonné la restitution de trois tonnes d'or, d'une valeur estimée à 400 millions de dollars, saisies sur le site de Loulo-Gounkoto exploité par le canadien Barrick Gold. Si cette décision a temporairement apaisé le conflit, le cas nigérien illustre une tendance plus lourde. Les gouvernements militaires du Sahel redéfinissent leurs relations avec les groupes miniers occidentaux, souvent au prix d'une insécurité juridique accrue.
Au-delà du contentieux entre Orano et l'État nigérien, l'enquête ouverte à Paris révèle la centralité stratégique de l'uranium dans un contexte de rivalités géopolitiques et de transition énergétique. Ressource clé pour l'électricité nucléaire et certaines applications médicales, l'uranium nigérien se trouve désormais au croisement de la souveraineté nationale, de la sécurité internationale et de la protection des investissements étrangers.
L'issue de cette affaire pourrait faire jurisprudence et peser durablement sur l'attractivité minière du Niger et, plus largement, du Sahel. Elle rappelle surtout que, dans un monde marqué par la compétition pour les ressources stratégiques, les batailles minières ne se jouent plus uniquement dans les mines, mais aussi dans les tribunaux et sur l'échiquier géopolitique.
Narcisse Angan
Publié le 22/12/25 16:32