Le Niger a franchi un nouveau cap dans la recomposition de son secteur stratégique de l'uranium. En effet, la junte militaire dirigée par le général Abdourahamane Tiani a annoncé la mise sur le marché international du minerai extrait par la SOMAÏR, jadis fleuron nigérien du groupe français Orano, mais nationalisée en juin dernier. Une décision à forte portée économique, politique et géopolitique, qui marque une rupture ouverte avec l'ex-partenaire historique français.
‘'Le Niger a le droit légitime de disposer de ses richesses naturelles et de les vendre à qui veut bien les acheter, selon les règles du marché et en toute indépendance'', a martelé le chef de la junte dans un message relayé par la télévision publique (Télé Sahel). Une déclaration qui acte, de facto, la fin du modèle de cogestion qui prévalait depuis les années 1970 entre l'État nigérien et Orano (ex-Areva).
La SOMAÏR, jusque-là détenue à 63,4% par Orano, produisait encore près de 1 300 tonnes de concentré d'uranium par an, un niveau stratégique pour un pays qui fournit environ 4,7% de la production mondiale et qui, jusqu'en 2022, représentait près d'un quart de l'approvisionnement des centrales nucléaires européennes.
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Avec la nationalisation, Orano a perdu non seulement son contrôle opérationnel, mais aussi l'accès privilégié à un gisement clé du Sahel. En décembre 2024, Niamey avait déjà retiré au groupe français son permis d'exploitation sur le gigantesque gisement d'Imouraren, l'un des plus importants au monde avec quelque 200 000 tonnes de réserves.
Bras de fer juridique et tensions diplomatiques
Le désengagement forcé d'Orano ne s'est pas fait sans heurts. Le groupe, détenu à plus de 90% par l'État français, a multiplié les procédures d'arbitrage international. Fin septembre, un tribunal lui a donné raison sur un volet clé : le Niger a été enjoint de ne pas commercialiser l'uranium stocké sur le site de la SOMAÏR, environ 1 300 tonnes, valorisées à 250 millions d'euros.
Or Niamey semble passer outre. Selon plusieurs sources médiatiques ouest-africaines (LSI Africa, Wamaps), un convoi transportant 1 000 tonnes d'uranium aurait quitté Arlit pour rallier le port de Lomé via le Burkina Faso. Un corridor inédit qui témoigne de la volonté de la junte d'écarter l'influence française jusque dans la logistique minière. Cette offensive diplomatique s'inscrit dans un climat de rupture marqué par le départ des troupes françaises, la dénonciation d'accords militaires et la montée en puissance spectaculaire de la Russie dans le pays.
Moscou et Téhéran à l'affût
Depuis 2023, Niamey a opéré un virage stratégique : affaiblissement des liens avec Paris, renforcement des relations sécuritaires et économiques avec Moscou, et ouverture diplomatique vers Téhéran. En juillet, le ministre russe de l'Énergie, Sergueï Tsivilev, a officiellement déclaré l'intérêt de la Russie pour l'exploitation des mines nigériennes. L'Iran, dont la politique nucléaire reste au cœur des tensions internationales, s'est également montré attentif.
La mise sur le marché mondial de l'uranium nigérien représente donc une opportunité pour ces nouveaux partenaires, dans un contexte où le Sahel devient un terrain d'affrontement géo-économique entre puissances. Au-delà de l'économie minière, l'affaire SOMAÏR symbolise la transformation profonde des rapports de force au Sahel : affirmation souverainiste, recherche de nouveaux partenaires stratégiques, éviction des acteurs français, montée en puissance russe.
En assumant de ‘'disposer de ses richesses naturelles'', le Niger entend redéfinir son modèle de gouvernance des ressources. Mais cette reconquête économique s'accompagne de risques : isolement diplomatique, incertitudes juridiques, et interrogation sur la future gouvernance de l'un des secteurs les plus sensibles au monde.
Narcisse Angan
Publié le 01/12/25 15:10