L'argent a longtemps été présenté comme la réponse la plus simple et la plus efficace pour lutter contre la pauvreté. Les transferts monétaires directs, qui ont gagné en popularité dans les milieux du développement international, sont souvent célébrés pour leurs résultats rapides et mesurables. Pourtant, à mesure que les recherches s'accumulent, une conclusion s'impose avec force : si l'argent améliore la vie des plus vulnérables à court terme, il ne constitue ni une solution de long terme, ni une stratégie capable de transformer durablement les sociétés pauvres.
Entre 2015 et 2017, plus de 10 000 familles vivant dans une grande pauvreté en zone rurale au Kenya ont reçu mille dollars chacune grâce à un programme géré par une ONG internationale. Les effets immédiats ont impressionné la communauté du développement : baisse de 48% de la mortalité infantile et de 45% de la mortalité des enfants de moins de cinq ans.
Mais une lecture attentive des données révèle que ces résultats n'ont concerné que les familles vivant à proximité de centres de santé bien équipés. Un constat tout simple s'impose : l'argent ne peut sauver des vies que lorsqu'un système de soins existe déjà. Dans les villages éloignés, où les infrastructures sont quasi inexistantes, les transferts monétaires n'ont produit aucun effet significatif.
Autrement dit, l'argent ne peut pas acheter ce qui n'existe pas. Ni soins de santé, ni routes, ni eau potable, ni éducation de qualité.
Quand les marchés n'existent pas
Dans de nombreux pays pauvres, les marchés manquants constituent un obstacle majeur. Lorsqu'il n'existe ni services de santé disponibles, ni fournisseurs fiables, ni infrastructures publiques, un transfert d'argent ne peut créer à lui seul ces biens essentiels. Ce diagnostic est central, la pauvreté extrême est moins une absence de ressources individuelles qu'une absence d'État, de services publics et d'infrastructures.
C'est précisément pour cette raison que plusieurs programmes nationaux reposant sur des transferts uniques montrent des effets qui s'érodent avec le temps.
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L'exemple le plus documenté est celui de l'Ouganda. Le Programme d'opportunités pour les jeunes a distribué des subventions en 2008 à de jeunes entrepreneurs. Les revenus ont bien augmenté au début, mais 9 ans plus tard, l'écart entre bénéficiaires et non bénéficiaires avait presque disparu. Des schémas similaires ont été observés en Éthiopie, au Malawi ou en Équateur.
Même lorsque des effets persistent, ils peuvent être très partiels, comme en Ouganda où seuls les hommes ont bénéficié d'une certaine résilience durant la pandémie de 2020. Ce résultat pose une question sensible : les transferts monétaires renforcent-ils vraiment l'équité ou peuvent-ils accentuer des inégalités préexistantes ?
Des conséquences inattendues et parfois néfastes
Les transferts d'argent peuvent aussi transformer les comportements familiaux et sociaux de manière imprévisible. En Indonésie, un programme de pensions de vieillesse a modifié les traditions de cohabitation familiale, réduisant indirectement la scolarisation des filles dans les zones concernées.
D'autres études montrent des effets plus préoccupants : hausse du travail des enfants dans certains contextes, tensions domestiques, voire augmentation de comportements néfastes pour la santé chez les personnes âgées après la réception d'un complément de revenu.
Cette littérature rappelle que la pauvreté n'est pas seulement un manque d'argent, mais un ensemble complexe de vulnérabilités sociales, institutionnelles et culturelles.
Ce que veulent les populations pauvres n'est pas toujours ce que les experts imaginent
Contrairement à une idée souvent admise, les populations interrogées dans plusieurs enquêtes menées en Inde, en Tanzanie ou en Mongolie ne placent pas systématiquement l'argent liquide en tête de leurs priorités. Elles expriment une demande forte pour l'éducation, les infrastructures locales, la sécurité ou les centres de santé. Autrement dit, pour des biens collectifs impossibles à financer à l'échelle individuelle.
L'exemple le plus prometteur vient de Sierra Leone. Dans le programme GoBifo, plus d'une centaine de villages ont reçu 5 000 dollars chacun, mais surtout, ces fonds ont été affectés via un processus de décision communautaire. Onze ans plus tard, les villages concernés affichent encore une meilleure activité économique, des infrastructures publiques durables et une plus grande cohésion sociale.
La différence fondamentale ne tient pas à l'argent distribué, mais au pouvoir de décision laissé aux communautés.
Les transferts monétaires peuvent jouer un rôle utile dans l'assistance d'urgence ou pour faciliter l'accès à des services existants. Mais ils ne remplacent ni les infrastructures, ni les services publics, ni les réformes structurelles qui permettent à un pays de sortir durablement de la pauvreté.
L'enjeu n'est donc pas de renoncer à l'argent mais de comprendre qu'il n'est qu'un outil parmi d'autres. Et que la lutte contre la pauvreté doit passer avant tout par des choix collectifs, démocratiques et structurels.
La Rédaction
Publié le 17/11/25 13:09