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Face à l'érosion des marges budgétaires, la mobilisation des recettes fiscales dans l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), représentant en moyenne plus de 80% des recettes totales dans tous les pays membres, s'impose comme un impératif de souveraineté. Le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) d'avril 2025 sur la région, publié ce 10 juin, dresse un diagnostic nuancé. Si des avancées réelles sont à saluer, les efforts restent fragmentés et insuffisants pour garantir une trajectoire budgétaire viable à long terme.
L'Union reste donc confrontée à un choix, à savoir accélérer sa transition fiscale ou subir le coût politique et économique d'une dépendance prolongée à l'endettement et à l'aide extérieure.
Une progression encourageante, mais insuffisante
L'UEMOA a enregistré une progression moyenne du ratio recettes fiscales/PIB de 10% à 14% entre 2001 et 2023, un gain notable dans un contexte de fortes contraintes structurelles. Cependant, ce niveau de taux de pression fiscale reste nettement inférieur au seuil des 20% prévu par le Pacte de convergence suspendu depuis 2020. À ce rythme, le FMI estime que cet objectif ne serait atteint qu'en 2048, voire après 2060 selon les projections les plus prudentes.
Les performances nationales sont hétérogènes. Le Sénégal affiche un ratio proche de 18%, tandis que la Guinée-Bissau ne dépasse pas 9%. Certains pays, comme le Niger, enregistrent même une baisse de leur effort fiscal. Ces écarts illustrent la lenteur du processus de convergence et la difficulté à ancrer une véritable discipline fiscale à l'échelle régionale.
Un potentiel fiscal important, mais mal exploité
Au-delà des performances réalisées, le rapport met en lumière le décalage entre le potentiel fiscal théorique et les recettes effectivement collectées. Ce “tax gap” révèle une marge de manœuvre importante, notamment pour le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Mali ou le Togo. En revanche, la Guinée-Bissau présente peu de potentiel mobilisable, en raison de faiblesses structurelles majeures dans la gouvernance et l'administration fiscale.
Cette sous-performance s'explique notamment par l'inefficacité de certaines exonérations fiscales, la prévalence de l'informel, la faible fiscalisation du foncier et le manque d'instruments adaptés pour les PME. En d'autres termes, le potentiel fiscal de l'Union est réel, mais reste mal capté.
Une transition fiscale en cours, mais à approfondir
Le modèle fiscal de la région évolue. La fiscalité du commerce extérieur perd de sa centralité au profit de la TVA et de l'impôt sur les sociétés (IS). Cette modernisation est salutaire, mais freine en raison de multiples taux réduits, de niches fiscales et de dérogations mal ciblées. Dans certains cas, ces dispositifs pèsent plus sur l'équité fiscale qu'ils ne stimulent réellement l'investissement.
Côté réforme, plusieurs pays ont franchi des étapes importantes. Le Niger a rationalisé ses exonérations, le Mali a modernisé son Code général des impôts, la Guinée-Bissau a revu sa TVA. La Côte d'Ivoire, le Bénin, le Burkina Faso et le Sénégal ont adopté des stratégies de mobilisation à moyen terme (MTRS), désormais promues par l'UEMOA.
Construire un espace fiscal plus souverain
Le FMI formule un double appel à l'action. Aux autorités régionales, il recommande de revoir les directives communautaires (TVA, IS), de mieux encadrer les incitations fiscales, et d'organiser des plateformes de concertation technique entre États. Aux gouvernements nationaux, il suggère d'élargir l'assiette fiscale, de numériser l'administration, de simplifier la fiscalité des PME et de renforcer la transparence.
Au cœur de cette dynamique se trouve un enjeu politique, qui est de restaurer la confiance des citoyens dans l'impôt. Sans un contrat social renouvelé et visible, les meilleures réformes resteront lettres mortes.
Le diagnostic du FMI est sans ambiguïté. L'UEMOA peut et doit faire plus pour financer son développement par ses propres moyens. Les ressources internes existent, mais leur captation reste entravée par des choix politiques hésitants, une gouvernance fiscale inégale et un manque de coordination régionale.
Face à des dettes croissantes, une pression sociale forte et des besoins d'investissement massifs, l'alternative consiste à réformer la fiscalité maintenant, ou s'exposer à une perte de souveraineté budgétaire durable.
Dr Ange Ponou
Publié le 09/06/25 23:33
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