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Aliou Maïga, Directeur Afrique des institutions financières, IFC :
La technologie et l'inclusion financière sont au cœur de notre stratégie pour transformer l'Afrique
En Afrique, l'IFC (en français SFI, Société Financière Internationale) joue un rôle de catalyseur dans des domaines stratégiques tels que l'inclusion financière, le financement climatique, et le développement agricole.
Dans cet entretien exclusif, Aliou Maïga, Directeur Afrique des institutions financières de l'IFC , met en lumière les efforts pour promouvoir les technologies numériques, renforcer l'accès au crédit pour les PME et intégrer les femmes dans les projets d'investissement. Il souligne également l'importance de l'agriculture, où des solutions technologiques novatrices visent à transformer le financement des petits exploitants. Tout en anticipant une augmentation des investissements de l'IFC à moyen terme, il souligne en outre que l'institution se concentre sur des secteurs prioritaires comme l'énergie, les infrastructures, et les télécoms, pour favoriser une transition économique durable en Afrique.
Vous avez effectué début novembre un déplacement en Côte d'Ivoire, pays qui concentre un important portefeuille d'investissement de l'IFC. Pouvez-vous nous faire un tour d'horizon de quelques principaux investissements que vous avez engagés dans le pays, notamment au niveau du secteur financier ?
La Côte d'Ivoire est notre plus gros portefeuille en Afrique francophone. C'est vraiment un pays important pour nous, et cela fait plus d'une décennie qu'on travaille à accroître notre présence et notre portefeuille ici.
A la fin de l'année dernière, notre portefeuille dans le pays s'élevait à 219 millions de dollars (environ 137 milliards FCFA, NDLR). Une bonne partie étant constituée du partage de risque de portefeuilles de PME en général, avec toujours une composante entreprenariat féminin, un sujet important pour nous.
On sait que les technologies numériques sont importantes pour promouvoir l'inclusion financière en Afrique. Comment l'IFC œuvre-t-elle à accélérer les avancées dans ce domaine ?
C'est un sujet vraiment critique car avec le niveau d'informalité dans nos économies et l'évolution de la technologie de façon générale, on a vraiment réussi à mettre la technologie au cœur de tout ce que nous faisons dans le secteur financier de plusieurs manières. Autour de 2014 – 2015, l'IFC et Mastercard Foundation ont lancé un programme de 40 millions de dollars qui était vraiment dédié à l'inclusion financière à travers le digital. Ce programme a permis de lancer à la fois des initiatives dans les pays avec des groupes bancaires et des Fintech, mais aussi des entreprises de télécom et cela a permis, à mon avis, d'avoir un impact important au niveau du boom digital qu'il y a eu en Afrique.
Un exemple. On a ainsi pu voir que ce que le Kenya a réalisé en 10 ans en termes de pénétration financière à travers la technologie, la Tanzanie l'a fait en 5 ans. Pourquoi ? Parce qu'ils ont eu un soutien d'un ensemble de partenaires, dont l'IFC et MasterCard Foundation, qui ont vraiment accompagné le pays, avec le régulateur et les opérateurs télécoms pour que l'adoption du digital enregistre des avancées dans le pays. Et je crois que cela a vraiment permis à la Tanzanie d'aller beaucoup plus vite que le Kenya, alors que ce dernier pays était vraiment le pionnier dans ce domaine.
On a initié le même programme au Ghana et je pense que les derniers chiffres du Findex, qui est un rapport produit par la Banque mondiale, a montré une forte croissance de la pénétration financière entre 2017 et 2021. Dans les pays en voie de développement, le taux de bancarisation a augmenté de 8%. En Afrique au Sud du Sahara, cette expansion est largement influencée par l'adoption du mobile money.
Donc le digital est vraiment au cœur de tout ce qu'on fait. On travaille beaucoup avec les fintechs qui sont en contact avec les utilisateurs, mais aussi les fintechs qui assurent l'infrastructure qui se trouve derrière, pour appuyer les paiements. Nos volumes dans ce domaine-là aussi augmentent énormément.
Depuis 2 ans, on travaille à développer des solutions qui, on l'espère, vont vraiment permettre de transformer complètement l'agriculture en Afrique en travaillant avec ceux qu'on appelle les AgTech ...
Le dernier volet sur lequel je veux dire un mot, et cela nous tiens à cœur, c'est comment utiliser la technologie pour améliorer le financement de l'agriculture. Comme vous le savez, 80 à 90% de l'agriculture en Afrique est le fait de petits exploitants qui disposent de 1 à 5 hectares tout au plus. Ils ne sont pas adéquatement financés car c'est très compliqué en termes de risques, mais aussi en termes de supervision du portefeuille pour les banques. Depuis 2 ans, on travaille à développer des solutions qui, on l'espère, vont vraiment permettre de transformer complètement l'agriculture en Afrique en travaillant avec ceux qu'on appelle les AgTech qui font plusieurs choses dans le secteur. Ces entreprises technologiques permettent par exemple de dresser le profil digital de chaque agriculteur, de chaque champ et aussi de tous les intervenants dans la chaîne de valeur, c'est-à-dire des fournisseurs d'intrants, des fournisseurs de services mécanisés et des acheteurs. Et tout ça connecté à une banque et une assurance. Et comme c'est informatisé, on peut gérer chaque agriculteur de façon très précise. Donc pour chaque campagne agricole, on peut générer un planning détaillé précis sur toute la campagne et s'assurer que tous les services sont délivrés à temps, et pouvoir anticiper les risques et les gérer de façon à ce que la productivité augmente et puisse couvrir tous les surcoûts qui seraient liés à l'adoption de la technologie et rendre la culture finançable par les banques commerciales. C'est vraiment un sujet sur lequel on est très engagé et dans lequel on espère beaucoup. Je suis certain que cela va faire la différence parce qu'en réalité l'agriculture, c'est de la microfinance avec des services d'extension.
Est-ce que vous avez un agenda pour la mise en œuvre effective opérationnelle de ce schéma tel que vous venez de le décrire ?
Oui. Nous avons fait quelques projets pilotes dans quelques pays. Nous avons un programme que nous sommes en train de faire approuver par notre direction et notre conseil d'administration. Cela est en cours et je pense que courant 2025, nous allons le lancer.
Et quels sont les pays qui pourraient en bénéficier ?
L'objectif est de couvrir toute l'Afrique. On a approché plusieurs AgTech qui couvrent un ensemble de pays. On va commencer avec évidemment quelques pays, mais l'idée c'est de pouvoir couvrir tout le continent très vite.
Au nombre de vos opérations, il y a les facilités de partage de risque. Est-ce que cela contribue effectivement à atteindre les objectifs de l'IFC en Afrique, notamment au niveau des PME et des TPME ? Comment est-ce que les facilités de partage de risques contribuent effectivement à booster, à soutenir les PME et les TPME ?
Le partage des risques permet à une banque de pouvoir générer un portefeuille qui est deux fois plus important que ce que son capital lui permet. C'est ça le but. Donc cela veut dire que c'est elle qui génère le portefeuille, elle prend la moitié du risque et l'autre moitié l'IFC la garantie. En gros, on lui permet de faire deux fois plus que ce qu'elle pourrait faire avec le capital normal.
Le partage des risques permet à une banque de pouvoir générer un portefeuille qui est deux fois plus important que ce que son capital lui permet.
Mais il faut le voir sur le temps. Il y a peut-être 15 ou 20 ans, quand je commençais en Afrique, le financement des PME était très limité dans les banques, de l'ordre de 3 à 5%. Quand on regarde 10 à 15 ans après, on est autour de 15 à 20%, voire 30%. A l'échelle macroéconomique, c'est important.
Mais ce n'est pas que du financement, c'est aussi l'investissement dans la capacité de ces banques à financer les PME et TPE, y compris avec des spécialisations qui ciblent les femmes. Donc globalement, je dirais qu'entre IFC et d'autres partenaires DFI, on a quand même enfin contribué à faire évoluer le secteur mais il y a encore beaucoup de travail à faire.
On essaie toujours de trouver le moyen de continuer d'accroître l'inclusion financière, l'accès au crédit pour que l'économie devienne plus productive.
Et c'est en cela que l'agriculture est très importante parce que dans la plupart de nos pays, entre 60 et 80% de la main d'œuvre est dans l'agriculture ou dans la chaîne de valeur agricole. On peut toucher les premiers de façon générique, mais tant qu'on ne trouve pas de solutions adaptées à ce qui fait le cœur de l'économie, notre impact sera limité. Quand on parle de l'agri, c'est aussi des TPE avec de petits paysans et donc de la microfinance en gros, donc tout se tient. On essaie toujours de trouver le moyen de continuer d'accroître l'inclusion financière, l'accès au crédit pour que l'économie devienne plus productive.
Et comment l'IFC encourage-t-elle l'inclusion des femmes dans ses projets d'investissement en Afrique et avec le temps, est-ce que vous voyez une vraie amélioration sur ce sujet ?
Absolument. On a la première opération qui était dirigée vers une banque commerciale pour financer les entreprises détenues par des femmes qui a été réalisée par IFC autour de 2006, 2007 au Nigeria avec Access Bank. Et depuis lors, on en a fait tout un métier. Il y a quelques jours, il y a eu un rapport de notre équipe qui gère le département financement du genre qui a dévoilé une enveloppe de 5 milliards de dollars qui y a été consacré depuis la création cette ligne de métier à l'IFC.
Le financement des femmes représente tout un métier à l'IFC.
Globalement en Afrique, on a quasiment tous nos programmes qui sont dirigés vers les PME-PMI et on oblige quasiment nos équipes à avoir une partie qui est dédiée aux femmes, autour de 25%. En plus, on donne la formation à nos partenaires bancaires pour qu'ils puissent développer cette capacité, au-delà du financement, à cibler et accompagner les femmes.
Globalement en Afrique, on a quasiment tous nos programmes qui sont dirigés vers les PME-PMI et on oblige quasiment nos équipes à avoir une partie qui est dédiée aux femmes.
De manière concrète, à titre d'illustration, on va dire à une banque, vous avez 10 millions de dollars de portefeuille que l'IFC va garantir et on demande qu'elle consacre au moins 25% du portefeuille aux femmes. Et derrière, on lui dit que si elle y parvient, de notre côté, on pourra réduire un peu le coût du prêt. Ce qui est bonne incitation qui fait avancer les choses.
Aujourd'hui, avez-vous l'impression que vos partenaires ont intégré cette approche dans leur process ?
Effectivement. La plupart des établissements financiers aujourd'hui ont des départements ou des produits qui sont dédiés aux entrepreneures femmes, que ce soit dans la banque ou dans l'assurance. Cela les attire et les encourage à se bancariser.
Les questions climatiques sont aujourd'hui au cœur des débats. Au niveau de l'IFC, quelle est l'approche pour promouvoir davantage le financement climatique ?
C'est un domaine très vaste. Je veux parler surtout de ce qu'on fait dans le secteur financier. Chacun de nos départements aujourd'hui a des objectifs de financement climatique ou de transition écologique. Jusqu'aujourd'hui, c'est autour de 35% de nos investissements qui doivent avoir une composante climatique. C'est un objectif qu'on dépasse tous les ans. C'est vraiment important pour nous.
Aujourd'hui, c'est autour de 35% de nos investissements qui doivent avoir une composante climatique.
Sur le plan financier, les pays sont à différentes étapes d'adoption ou de prise en compte des problématiques climatiques. Mais par an, nous consacrons entre 500 millions et un milliard de dollars d'investissements en Afrique avec une composante climatique ; une enveloppe qui est sur une bonne tendance haussière. Notre objectif est que tous nos financements contribuent à la préservation de l'environnement. Par exemple dans l'agriculture, notre ambition est d'appuyer les projets qui réduisent la consommation de ressources, que ce soit en eau ou en engrais. Les plus grands pays où l'on a fait beaucoup de facilités dédiées spécifiquement au climat, ce sont l'Afrique du Sud où on injecte près de 500 millions de dollars par an et l'Égypte, où on investit entre 200 et 500 millions de dollars par an.
Quel est le volume global du portefeuille de l'IFC pour les institutions financières en Afrique et comment cela devrait évoluer au cours des prochaines années ?
Notre portefeuille aujourd'hui c'est presque 6 milliards de dollars, une enveloppe qui a beaucoup évolué ces deux dernières années. Et notre programme d'investissement par an, à moyen et long terme, hormis le trade finance, est passé de moins de 2 milliards il y a 2 ans à 3,2 milliards de dollars l'année dernière. Et avec les programmes en développement, nous projetons une augmentation de ce niveau. Par exemple, dans l'agriculture, la superficie cultivée en Afrique est autour de 250 millions d'hectares, et uniquement dans le riz, le maïs et le blé, c'est près 65 millions d'hectares. Donc imaginez si on arrive à couvrir 5 à 10% de ça, le volume en termes d'investissement est déjà assez conséquent. Ça c'est uniquement l'agriculture, donc imaginez le reste. Donc notre ambition, c'est vraiment de pouvoir accélérer le développement et la transition de l'Afrique vers une économie productive qui génère des emplois, du profit et des impôts pour les États.
Au regard de vos opérations, quelle est votre perception du risque en Afrique ? Est-ce qu'aujourd'hui cela a un impact sur votre capacité à mobiliser des financements ?
L'IFC réalise ses opérations dans des pays ayant des profils différents, y compris ceux considérés comme les plus risqués. L'année dernière, nous avons financés 3 à 5 projets dans les pays de l'AES (Alliances des Etats du Sahel, organisation regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, NDLR). Certes, il y a des pays où c'est plus facile, il y a des pays plus difficiles, mais on peut toujours trouver le moyen de structurer et de ''dérisquer'' avec ce qu'on appelle le financement mixte, pour pouvoir faire des opérations dans des environnements où à priori c'est presque impossible. En matière de risque, selon qu'on est en Occident ou en Afrique, la perception n'est pas la même.
Quels sont aujourd'hui les secteurs qui pour vous sont prioritaires sur le continent et comment comptez-vous renforcer votre appui à ces secteurs-là ?
Tous les secteurs sont prioritaires. Mais nous avons une grande attention pour le secteur des PME-PMI parce que c'est le moteur de la création d'emplois et de l'innovation dans nos pays. Le secteur agricole, les infrastructures, l'accès à l'énergie sont également très importants pour l'IFC. Il y a aussi l'accès aux télécoms, par exemple, où on fait beaucoup de financements pour l'expansion des capacités des opérateurs en Afrique subsaharienne, ou encore les tours de télécom.
Nous avons une grande attention pour le secteur des PME-PMI parce que c'est le moteur de la création d'emplois et de l'innovation dans nos pays
Au-delà, pour nous, tout ce qui est important, je dirais, c'est de résoudre des problèmes de développement et on travaille toujours à trouver des solutions aux défis qui se présentent.
Jean Mermoz Konandi
Publié le 04/12/24 14:58
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