BOAD Development Days : ‘’Financer le développement autrement ou renoncer à l’émergence’’

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À l'heure où les économies africaines cherchent à consolider leur trajectoire post-pandémique, Lionel Zinsou, économiste de renom, banquier d'affaires aguerri et ancien Premier ministre du Bénin, a livré une keynote décisive lors des BOAD Development Days, à Lomé. Thème central de son intervention : "Financer le développement autrement". Derrière cette formule, un diagnostic sans concession sur les carences structurelles du système financier ouest-africain, mais aussi une feuille de route pour sortir du piège d'un modèle devenu obsolète.

"Il faut sortir de notre zone de confort", a lancé Lionel Zinsou en ouverture, appelant à une révision radicale de l'écosystème financier de l'UEMOA, et plus largement du continent. Car derrière la façade flatteuse des indicateurs macroéconomiques – l'UEMOA a évité la récession pendant le Covid, fait rare dans le monde en développement – se cache un système structurellement inadapté à la transformation économique qu'exige l'avenir.
Le constat est implacable : le crédit au secteur privé représente moins de 20 % du PIB dans l'UEMOA, contre 70 % dans l'Union européenne, 100 % en Asie, et jusqu'à 140 % en Chine. À ce rythme, a-t-il averti, " nous ne financerons jamais l'industrialisation, la transformation agricole ou la montée en puissance de nos classes moyennes".

Agriculture, logement, chaîne de valeur : les angles morts du financement

Prenant l'exemple du Bénin, Zinsou a rappelé que l'agriculture représente 28 % du PIB, mais n'attire que 2 % des crédits bancaires. "Un non-sens économique", selon lui, pour un secteur qui concentre le quart de la richesse nationale et l'essentiel de l'emploi.

Même constat pour le logement, secteur le plus financé au monde… sauf en Afrique, où il reste marginalisé. Pourtant, il est un puissant moteur de croissance inclusive, catalyseur d'emplois, d'urbanisation maîtrisée et de demande industrielle.

Mais le plus frappant demeure l'absence de financement de la chaîne de froid, pourtant essentielle pour valoriser les productions agricoles, sécuriser les stocks et développer des filières agroalimentaires compétitives. "Personne ne finance la chaîne de froid en Afrique", a-t-il martelé. Résultat : une perte colossale de valeur ajoutée, de compétitivité et d'autonomie alimentaire.

Un système à réancrer, une banque centrale à redéployer

Plus fondamentalement, Lionel Zinsou a posé une question dérangeante : " Le système financier est-il réellement au service de notre développement ? "

Sa réponse : non, tant que les centres de décision des grands groupes financiers africains restent basés hors du continent, dans des capitales éloignées des réalités sociales, agricoles et industrielles locales. Il appelle à une réappropriation régionale du pilotage financier : "Il faut des acteurs enracinés, sensibles aux spécificités locales, capables de lire les signaux faibles et de financer l'innovation dans nos propres économies."

Il a également interpellé la BCEAO, dont le rôle de gardienne de la stabilité des prix doit, selon lui, évoluer : "L'inflation est aujourd'hui maîtrisée – en dessous de 3 % – il est temps de faire de la croissance une priorité monétaire." Autrement dit : ouvrir les vannes du crédit, ajuster les taux directeurs, et soutenir plus activement les leviers de l'investissement productif.

Le capital existe, mais dort

Zinsou a souligné que les actifs africains prennent de la valeur : foncier urbain, terres arables, résidus agricoles transformables en biomasse… autant d'actifs à fort potentiel ignorés par les circuits traditionnels de financement. Un hectare de manioc peut produire 7 tonnes, mais monte à 40 tonnes avec les technologies appropriées. Encore faut-il que les banques acceptent de financer cette montée en gamme.

Parallèlement, la transition démographique du continent devrait renforcer la base des actifs et donc l'épargne : moins d'inactifs, plus de classes moyennes, un potentiel d'épargne à canaliser. L'enjeu est de transformer cette force en capital patient et orienté vers les besoins stratégiques.

BOAD, exception inspirante et preuve que c'est possible

Dans cet écosystème figé, la BOAD fait figure d'éclaireur. Zinsou salue une institution "laboratoire d'innovation", citant en exemple son assurance agricole, ses expériences de titrisation, ou encore son augmentation de fonds propres pour démultiplier ses capacités de financement.

Mais il insiste : la BOAD ne peut rester une exception. Le système financier régional tout entier doit s'inspirer de cette dynamique et changer de logiciel, en s'ouvrant aux secteurs sous-financés comme l'énergie, l'agriculture, le numérique, le logement, pour répondre à une demande réelle et à des opportunités encore sous-exploitées.

Le message de Lionel Zinsou, à la fois pragmatique et visionnaire, tient en une phrase :
"Financer autrement, ou renoncer à l'émergence."

Financer autrement, c'est réorienter les ressources, réinventer les instruments, oser l'expérimentation. C'est aussi placer la finance au cœur d'un projet de transformation structurelle du continent, et non plus dans une logique de reproduction du statu quo. Pour Zinsou, l'Afrique ne manque ni de capitaux ni d'idées. Elle manque d'un système financier à la hauteur de ses ambitions.

Jean Mermoz Konandi

Publié le 13/06/25 17:26

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