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À moins de 24 heures de la clôture initiale des dépôts de candidatures, la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater) a annoncé, le 28 mai 2025, une prorogation jusqu'au 20 juin 2025 du délai de soumission des offres pour la construction d'unités d'ultrafiltration et d'embouteillage dans les dix régions du Cameroun. L'objectif de ce projet est de commercialiser l'eau de table produite par cette entité publique via une gamme de produits embouteillés. Mais ce report intervient dans un climat de scepticisme national croissant.
Selon le communiqué signé par le directeur général de Camwater, Blaise Moussa, cette décision résulte des nombreuses demandes de report adressées par les soumissionnaires potentiels. Toutefois, elle survient aussi dans un contexte où le projet suscite une vive polémique dans l'opinion publique camerounaise, qui peine à comprendre comment une entreprise en difficulté peut envisager de se diversifier sur un marché aussi concurrentiel.
Depuis l'annonce de cet ambitieux programme, le 30 avril 2025, à travers un appel à manifestation d'intérêt international, les critiques fusent. Nombreux sont les citoyens et analystes qui s'interrogent sur la pertinence de voir Camwater, structure publique historiquement chargée de la production et de la distribution d'eau potable, investir le secteur de l'eau embouteillée, alors qu'elle n'arrive pas à assurer convenablement sa mission première.
Cette inquiétude est confortée par les conclusions du rapport de la Commission technique de réhabilitation des entreprises publiques (au 31 décembre 2022 - octobre 2023), qui dresse un tableau préoccupant de la situation opérationnelle et financière de Camwater. L'entreprise, bien qu'en quasi-monopole sur un marché estimé à 164 milliards de francs CFA, n'exploite que 21 % du potentiel national en eau potable.
Pire, elle enregistre des pertes massives d'eau sur son réseau – plus de 50 % des volumes produits – en raison de fuites, de la vétusté des infrastructures et des fraudes. Ces déperditions ont entraîné des pertes financières cumulées de 78 milliards de FCFA entre 2019 et 2022, soit environ 26 milliards de FCFA par an. Cette saignée budgétaire, souligne la Commission technique de réhabilitation des entreprises publiques (CTR), empêche l'entreprise de régler ses dettes, dont le niveau global a augmenté de 14,6 % sur la même période.
Conscient des faiblesses de Camwater, l'État camerounais semble lui apporter un soutien officieux à travers une série de mesures fiscales incitatives. En vertu de l'article 5 de la loi de finances 2024, une liste de 39 équipements destinés à la production d'eau potable est désormais exonérée de droits et taxes à l'importation, et ce pour une durée de deux ans. Publiée le 13 mars 2024 par le ministère des Finances, cette mesure concerne des outils allant des pompes à eau aux autoclaves, en passant par les distillateurs et onduleurs solaires. Si la circulaire vise officiellement à renforcer l'ensemble du secteur, elle pourrait aussi faciliter indirectement l'équipement des futures unités industrielles de Camwater.
Le projet d'eau embouteillée de Camwater s'inscrit dans son plan stratégique de développement et son programme quinquennal d'investissement 2023-2030. L'entreprise ambitionne ainsi de renforcer ses capacités d'autofinancement, d'améliorer sa visibilité sur le marché et de diversifier ses revenus, dans un contexte de rareté des ressources publiques. La phase pilote du projet concerne les villes de Yaoundé, Douala, Bafoussam, Limbé et Maroua, avec des lignes complètes de production destinées à l'embouteillage de volumes de 0,5 L, 1,5 L et 10 L.
Mais cette offensive industrielle se heurte à une réalité économique. Le marché local de l'eau conditionnée est déjà dominé par des poids lourds. La Société Source du Pays, grâce à l'acquisition de la marque Opur (ex-Nabco), capte près de 67 % des parts de marché. La Société des Eaux Minérales du Cameroun (SEMC), filiale du groupe SABC, occupe également une position solide avec sa marque historique Tangui.
Pour contourner ces défis, Camwater mise sur des partenariats public-privé ou des crédits-acheteurs pour financer les infrastructures et bénéficier d'une expertise externe, non seulement en matière technique, mais aussi commerciale : positionnement produit, stratégie marketing, packaging. Le coût estimé n'a pas été communiqué, mais les entreprises candidates doivent présenter une capacité de financement d'au moins 2 milliards de FCFA, ainsi que leurs états financiers pour les trois dernières années.
En parallèle de ce projet industriel, le gouvernement, en collaboration avec Camwater, poursuit les efforts pour améliorer la production et la distribution d'eau potable. Les deux entités ont récemment inauguré la première phase du Projet d'alimentation en eau potable de la ville de Yaoundé et ses environs à partir du fleuve Sanaga (PAEPYS). Ce projet stratégique porte désormais l'offre journalière à 300 000 m³ par jour, extensible à 400 000 m³, afin de répondre aux besoins croissants d'une population urbaine en forte expansion.
Par ailleurs, une reconfiguration du réseau de distribution est en cours à Yaoundé pour permettre aux quartiers non desservis d'être connectés au réseau. L'objectif est de réduire progressivement le déficit d'accès à l'eau potable dans la capitale, qui reste l'un des points noirs de la mission de service public assurée par Camwater.
Perton Biyiha
La Rédaction
Publié le 30/05/25 16:51
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