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Le 18 juin 2025, dans une salle comble de Londres réunissant les plus grands acteurs de la finance mondiale, la Côte d'Ivoire a été désignée "Émetteur le plus impressionnant d'Afrique". Une reconnaissance attribuée lors des prestigieux GlobalCapital Bond Awards, qui saluent chaque année les meilleures performances en matière de gestion de la dette publique. Mieux encore, Lanciné Diaby, directeur général des financements du pays, est lui aussi honoré, couronné Responsable du financement le plus impressionnant du continent.
Ces récompenses placent la Côte d'Ivoire au même rang que des poids lourds mondiaux comme le Saudi Public Investment Fund ou First Abu Dhabi Bank, et illustrent la reconnaissance du sérieux budgétaire d'un pays qui, en une décennie, a su redorer son image financière.
Comment un pays revient en force sur les marchés
Tout commence en janvier 2024. Après deux ans d'absence sur les marchés internationaux – en raison de la conjoncture économique tendue post-Covid et de la hausse des taux – la Côte d'Ivoire lève 2,6 milliards de dollars via une opération dite en "deux tranches". Autrement dit, le pays émet deux types d'obligations en même temps : une à échéance courte, l'autre à plus long terme, pour s'adresser à différents profils d'investisseurs.
Mais ce n'est pas tout. Cette émission s'accompagne d'un swap de devises croisées – un mécanisme qui permet d'échanger les flux de remboursement dans une devise contre une autre, pour mieux maîtriser les risques de change. En parallèle, l'État mène une opération de gestion de passif, une sorte de réorganisation intelligente de sa dette existante, où certains prêts coûteux sont remplacés par d'autres plus avantageux. Résultat : un refinancement chirurgical, salué par les investisseurs comme une démonstration de professionnalisme.
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Autre première : l'une des tranches est labellisée ESG, pour " Environnement, Social et Gouvernance ". C'est la toute première obligation souveraine verte émise par un pays d'Afrique subsaharienne. Cette démarche permet à l'État de flécher une partie des fonds vers des projets à impact environnemental ou social, un critère devenu central pour de nombreux fonds internationaux.
L'exploit d'une émission en Franc CFA
À peine trois mois plus tard, en mars 2025, la Côte d'Ivoire innove de nouveau. Cette fois, l'État émet une obligation équivalente à 335 millions d'euros, mais libellée en franc CFA, la monnaie utilisée par huit pays d'Afrique de l'Ouest. Pourquoi est-ce inédit ? Parce que, jusqu'ici, les grandes institutions internationales refusaient généralement de prêter dans des monnaies africaines, jugées trop instables.
Mais ici, après plusieurs mois de négociations approfondies, des acteurs de renom comme l'Abu Dhabi Investment Authority acceptent de prendre ce risque. Un gage de confiance fort dans la stabilité de la monnaie et dans la solidité économique du pays. Pour la Côte d'Ivoire, c'est un vrai coup double : elle réduit sa dépendance au dollar ou à l'euro, et elle prouve qu'un pays africain peut structurer des emprunts internationaux dans sa propre devise.
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À la même période, la Banque mondiale donne son feu vert à un produit rare : une garantie partielle de crédit de 500 millions d'euros. Grâce à ce soutien, Abidjan structure le tout premier "swap dette-développement" au monde. Concrètement, cela signifie qu'une partie des économies réalisées sera réinvestie dans des projets éducatifs, pour un montant de 60 millions d'euros. Une manière de faire rimer finance et impact local.
Un objectif assumé : devenir ‘'investment grade''
Avec ces avancées, la Côte d'Ivoire vise un cap clair : accéder au statut "investment grade", soit la catégorie des pays considérés comme sûrs pour les investisseurs. Aujourd'hui, elle en est à deux crans en dessous, mais la trajectoire semble cohérente. D'autant que la structure de pilotage a été consolidée dès 2023 avec la création d'une Direction Générale des Financements (DGF), composée à la fois de fonctionnaires chevronnés et de cadres issus du secteur privé international, pour allier technicité et agilité.
Interrogé sur ce parcours, Lanciné Diaby revendique une méthode collective : " Ce succès est le fruit de l'engagement et du désintéressement total de l'ensemble du personnel du ministère des Finances et du Budget ", affirme-t-il. Plus qu'un discours, une philosophie partagée.
Au moment où de nombreux pays africains cherchent à renégocier ou alléger leur dette, la Côte d'Ivoire, elle, trace sa route. Et si l'avenir reste incertain, le cap est posé : innover, rassurer, convaincre. Et peut-être, à terme, inspirer.
Jean Mermoz Konandi
Publié le 20/06/25 09:04
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