Mouhamadou Moustapha FAYE, Directeur Général de KF Titrisation :
La titrisation agricole, un levier inédit pour financer la souveraineté du Sénégal
Sous l'impulsion de Mouhamadou Moustapha FAYE, Directeur général de KF Titrisation, et en partenariat avec La Banque Agricole, une opération inédite de titrisation de créances agricoles à hauteur de 80 milliards FCFA redéfinit les codes du financement agricole au Sénégal. Entre innovation financière, garantie souveraine et impact concret sur la chaîne de valeur, ce montage pourrait bien devenir une référence dans l'UEMOA.
Pouvez-vous revenir sur les origines de ce projet de titrisation de créances de La Banque Agricole ? Quelles réalités économiques ou quels besoins concrets ont poussé à imaginer une telle opération, et comment KF Titrisation a-t-il été amené à en être l'architecte ?
L'opération de titrisation FCTC Croissance Agricole est née d'un constat clair : le secteur agricole sénégalais, bien qu'essentiel à notre souveraineté alimentaire, reste confronté à des défis majeurs. Ces défis sont d'ordre structurel, institutionnel et économique. L'accès limité aux financements à des coûts avantageux freine considérablement son développement.
L'opération de titrisation FCTC Croissance Agricole est née d'un constat clair : le secteur agricole sénégalais, bien qu'essentiel à notre souveraineté alimentaire, reste confronté à des défis majeurs. Ces défis sont d'ordre structurel, institutionnel et économique. L'accès limité aux financements à des coûts avantageux freine considérablement son développement.
Face à ces besoins exponentiels, il est impératif de mobiliser davantage de ressources financières pour satisfaire notamment la demande de crédit bancaire. C'est dans cette optique que La Banque Agricole, en tant qu'acteur régional de référence et leader du financement agricole au Sénégal, a décidé de franchir un cap.
Elle a fait le pari d'innover en combinant les outils de la finance conventionnelle avec les mécanismes de financement structuré. L'objectif est de révolutionner le financement des activités agricoles, aussi bien en amont qu'en aval de la chaîne de valeur : des intrants à la production, en passant par les équipements, la transformation industrielle et la distribution.
Cette approche permet non seulement de mieux maîtriser les risques, mais aussi de créer un cadre plus attractif pour les investisseurs institutionnels et privés.
Pour structurer et réaliser cette opération sans précédent consistant à la titrisation de ses créances via un emprunt obligataire par Appel Public à l'Épargne, d'un montant de 80 milliards FCFA, sur le Marché Financier Régional de l'UEMOA, La Banque Agricole a choisi de faire confiance au consortium forme par KF Titrisation, Development Finance Advisory, et Invictus Capital & Finance.
La structuration de l'opération ‘'FCTC Croissance Agricole'' est décrite comme particulièrement robuste et innovante. Pourriez-vous nous expliquer de manière simple comment vous l'avez pensée, quels en sont les éléments clés, et en quoi elle constitue une avancée pour le marché financier régional ?
Parmi les mécanismes mis en place, nous avons notamment un portefeuille cédé volontairement surdimensionné de 40% par rapport aux engagements financiers visés ; un compte de réserve calibré sur les deux échéances les plus importantes, couvrant le principal, les intérêts et les coûts de gestion ; un ensemble de créances au titre d'un portefeuille de réserve, assorti de garanties réelles, incluant des nantissements sur les flux et les actifs ; une ligne de liquidité pour compenser les éventuels écarts de trésorerie ; et une garantie souveraine à première demande, apportée par l'État du Sénégal, renforçant la confiance des investisseurs.
Notre ambition, à travers la structuration de cette opération, était de doter La Banque Agricole ainsi que du marché financier régional d'un produit innovant, sécurisé, rentable et attractif, à la fois pour l'investissement et pour le Cédant, La Banque Agricole.
Pour atteindre cet objectif, nous avons adopté une approche rigoureuse et méthodique. D'une part, nous avons procédé à une analyse approfondie du portefeuille de créances à titriser, en collaboration étroite avec l'Expert-évaluateur mandaté à cet effet. D'autre part, nous avons mis en place une structure de rehaussement de crédit multi-niveaux, intégrant des dispositifs successifs conçus pour absorber les risques potentiels à chaque étape. Ce système confère à l'opération une solidité exceptionnelle, rarement observée dans les précédentes initiatives de titrisation sur le marché régional.
Parmi les mécanismes mis en place, nous avons notamment un portefeuille cédé volontairement surdimensionné de 40% par rapport aux engagements financiers visés ; un compte de réserve calibré sur les deux échéances les plus importantes, couvrant le principal, les intérêts et les coûts de gestion ; un ensemble de créances au titre d'un portefeuille de réserve, assorti de garanties réelles, incluant des nantissements sur les flux et les actifs ; une ligne de liquidité pour compenser les éventuels écarts de trésorerie ; et une garantie souveraine à première demande, apportée par l'État du Sénégal, renforçant la confiance des investisseurs.
Cette structuration ambitieuse reflète la volonté de La Banque Agricole de jouer un rôle avant-gardiste dans l'évolution des mécanismes de mobilisation de ressources des banques, surtout celles sectorielle et à fort impact. Elle marque une étape importante dans l'intégration de la titrisation comme levier complémentaire aux outils classiques de financement utilisés jusqu'ici par le secteur bancaire de l'espace UMOA.
La transaction repose sur un schéma où la garantie à première demande de l'État du Sénégal joue un rôle central. Qu'est-ce qui a motivé l'implication directe de l'État dans cette garantie ? Quels signaux cela envoie-t-il aux investisseurs et comment cela contribue-t-il à sécuriser l'ensemble du montage ?
La garantie à première demande accordée par l'État du Sénégal illustre son engagement à accompagner les innovations financières stratégiques.
Ce concours de l'Etat du Sénégal joue un rôle fondamental dans la sécurisation du montage financier : elle rassure les investisseurs en réduisant significativement le risque de défaut et en assurant une intervention en cas de défaillance. C'est un signal fort envoyé aux investisseurs, qui témoigne de la solidité de l'opération et de l'engagement de l'État à promouvoir des instruments de financement modernes et fiables. En intégrant cette garantie, nous avons voulu créer un cadre de confiance propice à l'attractivité du Compartiment, tout en renforçant la crédibilité de la titrisation comme levier de mobilisation de ressources.
Cette opération comporte des tranches Senior et Mezzanine, chacune avec des caractéristiques spécifiques (taux, maturité, notation, liquidité sur le marché secondaire). Comment ces choix ont-ils été établis, et que reflètent-ils sur votre volonté de concilier attractivité pour les investisseurs et stabilité pour le secteur agricole ?
Le choix d'un découpage en tranches Senior et Mezzanine reflète une volonté d'adapter l'offre aux profils variés d'investisseurs. La tranche Senior, notée AAA et rémunérée à 8%, cible les investisseurs recherchant stabilité et prévisibilité. La tranche Mezzanine, notée AA+, propose un rendement supérieur, en contrepartie d'un niveau de risque légèrement plus élevé, lié à sa position subordonnée dans la hiérarchie des paiements.
Ce choix de structuration reflète notre volonté de bâtir un produit financier inclusif, capable de mobiliser des ressources diversifiées tout en garantissant la robustesse du montage. En fin de compte, c'est une manière de concilier performance financière et impact économique réel, en soutenant le financement du secteur agricole dans des conditions maîtrisées et pérennes.
Vous mettez en avant plusieurs attraits de l'opération : robustesse de la structuration, rendement attractif, impact sur la chaîne de valeur agricole, cotation à la BRVM. Si vous deviez convaincre un citoyen lambda, comment lui expliqueriez-vous pourquoi cette opération est non seulement financièrement solide mais aussi socialement utile ?
Cette opération est bien plus qu'un simple produit financier. Elle repose sur une structuration rigoureuse qui garantit la sécurité des investissements, tout en offrant un rendement compétitif. Mais ce qui la rend particulièrement intéressante pour un citoyen lambda, c'est son impact concret sur l'économie réelle. En mobilisant des ressources à travers la titrisation, nous finançons directement des activités agricoles, soutenons les producteurs locaux, et renforçons toute la chaîne de valeur, de la terre à l'assiette.
La cotation à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) permet d'assurer la liquidité des titres et permet aussi à tout investisseur, même individuel, de participer à cette dynamique d'animation du marché secondaire a l'issue de la période de souscription. C'est donc une opération qui allie performance financière et utilité sociale : elle sécurise l'épargne tout en contribuant au développement du secteur agricole, pilier de notre économie.
Le compartiment ‘'FCTC Croissance Atlantique'' a précédé celui-ci. Quel bilan dressez-vous de cette première expérience ? Quelles leçons ou bonnes pratiques en avez-vous tirées, et en quoi elles ont servi à mieux concevoir le compartiment agricole ?
(…) nos Fonds sous gestion jouent un rôle de laboratoire technique, nous permettant de faire mûrir notre vision, de consolider notre expertise, et de nous positionner comme force de proposition, tant auprès des établissements initiateurs de projets de titrisation que de nos parties prenantes clés.
Effectivement, cette opération initiée avec la LBA s'inscrit dans la continuité d'une initiative lancée en 2024 avec une transaction menée en collaboration avec d'autres acteurs de la zone UEMOA, les filiales du Groupe Banque Atlantique. En juillet 2024, nous avons lancé le Compartiment FCTC Croissance Atlantique, qui constitue une innovation majeure en étant le premier compartiment multi-cédants de l'histoire de la titrisation sur notre marché. Cette opération nous a permis de mobiliser 91 milliards FCFA, marquant une étape décisive dans notre stratégie de structuration d'opérations de titrisation intégrant à la fois des acteurs publics et privés.
Avec le FCTC Sonatel et ces deux compartiments qui ont mobilisé 75 milliards FCFA, ces deux opérations nous ont offert l'opportunité de tester, en conditions réelles, la solidité de notre approche, la réceptivité du marché, ainsi que la coordination entre les différents acteurs impliqués.
Le bilan est globalement positif : nous avons pu mobiliser des ressources significatives tout en assurant performance satisfaisante des actifs titrisés. Ces premières expériences nous ont également permis d'identifier des leviers d'optimisation, notamment en matière de mécanismes de couverture, de communication avec les investisseurs et de gestion opérationnelle. Ces enseignements ont été précieux pour concevoir le Compartiment FCTC Croissance Agricole avec une structuration encore plus solide, mieux adaptée aux spécificités du secteur, et capable de répondre aux exigences de sécurité, de rendement et d'impact.
En somme, nos Fonds sous gestion jouent un rôle de laboratoire technique, nous permettant de faire mûrir notre vision, de consolider notre expertise, et de nous positionner comme force de proposition, tant auprès des établissements initiateurs de projets de titrisation que de nos parties prenantes clés.
Pensez-vous que ce type de montage peut s'étendre à d'autres secteurs stratégiques (énergie, infrastructures, PME, logement) ? Quels enseignements tirez-vous de cette opération pour l'avenir du financement par titrisation dans l'UEMOA ?
D'abord, nous avons pu confirmer la solidité du cadre réglementaire dans l'UEMOA, qui permet aujourd'hui de structurer des montages complexes en toute sécurité. Ensuite, nous avons observé un réel appétit du marché, à condition que les actifs soient bien structurés et que les risques soient maîtrisés. La qualité de la structuration est donc essentielle : elle doit être adaptée aux spécificités de chaque secteur pour garantir la sécurité, le rendement et l'impact.
Absolument ! Nous sommes convaincus que la titrisation, en tant qu'outil de financement structuré, possède une flexibilité qui lui permet de s'adapter à une large gamme de secteurs stratégiques.
Le secteur de l'énergie, notamment les projets renouvelables, génère des flux réguliers et prévisibles, ce qui en fait une cible idéale. Les infrastructures, qu'il s'agisse de routes, de ports ou d'aéroports, peuvent également bénéficier de ce type de montage à travers la titrisation des revenus futurs.
Pour les PME, la titrisation de portefeuilles de créances commerciales ou de prêts représente une opportunité majeure pour mobiliser des ressources et soutenir leur développement, notamment à travers les banques ou les fonds d'investissement spécialisés.
Enfin, le logement, en particulier social, offre un potentiel considérable via la titrisation de prêts hypothécaires ou de loyers.
Plusieurs enseignements clés se dégagent. D'abord, nous avons pu confirmer la solidité du cadre réglementaire dans l'UEMOA, qui permet aujourd'hui de structurer des montages complexes en toute sécurité. Ensuite, nous avons observé un réel appétit du marché, à condition que les actifs soient bien structurés et que les risques soient maîtrisés. La qualité de la structuration est donc essentielle : elle doit être adaptée aux spécificités de chaque secteur pour garantir la sécurité, le rendement et l'impact.
Un autre point important concerne la connaissance de l'outil. La titrisation gagnerait à être mieux comprise et maîtrisée par les acteurs traditionnels du financement, banques, juristes, experts-comptables, cabinets d'audit, qui interviennent dans la mise en place et la gestion des fonds. Il est donc nécessaire de mener des actions de vulgarisation pour que les porteurs de projets, les investisseurs et les partenaires puissent s'approprier cet instrument innovant, dans un cadre intégré et sécurisé.
Pour l'avenir, nous poursuivons notre plaidoyer pour l'élargissement du périmètre des actifs titrisables et l'adoption d'un système comptable adapté. Ce sont des conditions essentielles pour faire de la titrisation un levier puissant de financement de l'économie réelle dans l'UEMOA.
Dr Ange Ponou
Publié le 25/09/25 00:58