Côte d’Ivoire : Des effondrements en cascade sur un marché du logement

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folly folly
14/03/2022 13:40:26
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EN COTE D'IVOIRE, C'EST LE MÉDECIN APRES LA MORT... DANS TOUS LES DOMAINES, ON PREND DES DISPOSITIONS QUAND LE PIRE ARRIVE.
  
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14/03/2022 13:40:26
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Abidjan vient de connaître en l'espace de deux semaines l'effondrement de deux immeubles avec à la clé 13 décès. A Treichville, commune populaire au sud de la ville, un bâtiment R+6 en construction s'est effondré en pleine nuit, le 27 février, sur des habitations voisines faisant 7 décès. Et le 7 mars, huit jours plus tard, un autre bâtiment R+4 habité cette fois, s'affaissait également en pleine nuit faisant 6 morts dans la commune d'Angré, dans la partie Est de la ville. 

Ces deux drames viennent rappeler un phénomène récurrent qui décidemment ne cesse de hanter une capitale vitrine de l'essor économique de cette dernière décennie et qui connaît sans doute un boom immobilier sans précédent.    

Plus d'une dizaine de bâtiments effondrés en trois ans 

Abidjan, le 20 mars 2021. La capitale économique ivoirienne était à nouveau secouée par l'écroulement d'un bâtiment. Cette fois, il s'agissait d'un immeuble R+3, dans le quartier huppé de Cocody, qui voit sa façade (balcon) se détacher littéralement avant de s'écraser lourdement sur un parking endommageant les véhicules qui y étaient stationnés.  

Quelques jours auparavant, le 12 mars, 10 personnes perdaient la vie, toujours à Cocody, dans le quartier d'Anono, à la suite de l'effondrement d'un bâtiment R+4. 

La chronologie des écroulements est longue avec plus d'une quinzaine au moins de bâtiments réduits en ruine depuis novembre 2018 selon nos décomptes, soit en à peine plus de trois ans, avec à la clé plus d'une quarantaine de décès et d'importants dégâts matériels. 

Effondrement de la façade d'un bâtiment à Abidjan Cocody en mars 2021

Au nombre des cas les plus dramatiques, l'on note l'effondrement en novembre 2018 d'un immeuble à Attécoubé faisant 8 morts, celui d'un bâtiment R+4 en construction à Yamoussoukro, la capitale politique, qui a occasionné 10 décès. 

Abidjan reste l'épicentre de ces drames et toutes les communes de la ville sont concernées par un phénomène devenu récurrent ces dix dernières années alors que le pays était jusque-là à l'abri de ce genre d'évènements que l'on pouvait apercevoir dans certains pays comme le Nigéria. 

Au-delà de la vive émotion suscitée, ce fait divers devient banal dans une ville en plein boom immobilier qui enregistre néanmoins une flambée des loyers. 

Le fait est que dans la capitale économique ivoirienne, une agglomération de 5 millions d'habitants selon les sources, la question du logement est devenue cruciale. En février 2020, lors des ‘'Universités de l'habitat 2020'' organisées par l'UEMOA, Bruno Koné, le ministre ivoirien en charge de la construction, indiquait que le déficit cumulé de logement pour la seule ville d'Abidjan se chiffrait à " 500 000 unités ", dans une ville qui " accueille chaque année 40 000 ménages, soit 200 000 à 400 000 personnes supplémentaires ". 

Bâtiment effondré à Treichville, au sud d'Abidjan, ce 27 février 2022.

Un gap entre demande et offre de logement qui se creuse donc d'année en année et donne lieu à la multiplication des chantiers sur lesquels l'Etat n'a manifestement aucun contrôle. Une crise du logement qui est perceptible à travers le coût des loyers. Si quelques années en arrière la location d'un studio à plus de 100 mille ou d'un trois pièces à plus de 150 mille était l'apanage des quartiers huppés de la capital, ces coûts sont devenus banals dans des communes populaires comme Yopougon ou encore dans l'agglomération de Songon, zone d'extension de la capitale. 

Une règlementation peu suivie 

Pour les spécialistes, plusieurs facteurs peuvent expliquer ces effondrements en cascade. D'abord la conception d'un habitat en hauteur, à 2, 3, 4, 5 étages, voire plus, nécessite un certain niveau de qualification et une expertise avérée. Une conception qui devrait relever des architectes qui ne sont pas toujours associés à ce type de projets. 

Il faut rappeler ici que " la loi portant Code de la Construction et de l'Habitat et le décret portant règlementation du permis de construire imposent le recours à un architecte pour la conception de tout projet de construction et à un bureau de contrôle des travaux de construction, à l'effet de garantir la stabilité des bâtiments au-delà de R+2 ", indiquait le gouvernement ivoirien dans une communication le 24 mars 2021. 

Mais dans les faits, cette disposition n'est pas toujours appliquée, le secteur de la construction étant envahi par l'informel pour notamment des raisons de coûts. 

Autre facteur explicatif, la qualité des matériaux de construction. Du type de logements et de la qualité du sol devant supporter les bâtiments, dépendent le dosage sable/ciment, du béton et des dimensions de fer à béton. Des spécificités techniques dont il est difficile de s'assurer du respect pour les non professionnels et qui sont très certainement responsables en grande partie des effondrements. 

Mais pis, " 80% des constructions dans le District d'Abidjan n'ont pas de permis de construire ", a avoué le ministre Bruno Koné le 22 mars 2021, cité par le quotidien l'Intelligent d'Abidjan, au cours d'une conférence de presse à la suite d'une visite sur les ruines des bâtiments écroulés quelques jours plus tôt à Cocody. C'est dire que c'est en toute illégalité que les chantiers de construction sont engagés sans que les promoteurs ou propriétaires ne soient contraints à une quelconque obligation, ne serait-ce qu'administrative. 

A ce niveau, il faut souligner que la loi fait obligation d'installer un panneau dit de ‘'chantier'' à proximité des projets de construction afin d'afficher clairement au moins le numéro du permis de construire. Une règle basique très peu respectée à Abidjan. 

Le temps de la fermeté ? 

Pour l'Etat, l'enjeu aujourd'hui est de se donner les moyens d'assurer un contrôle plus strict des chantiers et des acteurs intervenant dans la chaîne de la construction immobilière. Une question qui passe par une nécessaire professionnalisation. 

Aussi, le gouvernement a fait pour sa part à faire le choix de la fermeté. Lors du conseil des ministre du 24 mars 2021, il a été décidé de " l'arrêt et la démolition systématique des constructions illégales dès leur initiation ", de " la délivrance préalable du Certificat de Conformité avant tout raccordement aux circuits de distribution de l'eau et de l'électricité " ou encore du " renforcement des procédures d'homologation des cabinets de contrôle et de certification des matériaux de construction ". Une panoplie d'annonces qui n'a eu les effets escomptés. 

Les moyens de la " La brigade de contrôle et d'investigation " du ministère en charge de la construction chargée du contrôle administratif des chantiers ont été renforcés en ressources humaines et matérielles. Des constructions ont pu être démolies à la suite des inspections de cette brigade. 

Démolition d'un bâtiment à risque par le ministère de la Construction le 10 novembre 2011 à Koumassi, à Abidjan

Le ministre de la Construction Bruno KONE qui n'a pas manqué d'exprimer sa ‘'colère'' et sa ‘'révolte'' suite aux évènements de ces derniers jours, en a appelé au sens du civisme des promoteurs immobiliers. Il compte même s'appuyer sur les autorités municipales afin de renforcer les contrôles dans l'espoir que plus aucun chantier ne s'effondre. Mais il faut certainement aller plus loin. 

Il est en effet à craindre que nombre des " 80% " de constructions sans permis, achevées ces dernières années, fassent courir des risques aux populations, surtout les bâtiments en hauteur. Un fait qui doit pousser à aller au-delà du simple contrôle des chantiers en cours, mais se pencher sur ceux construits ces dernières années. 

Au final, il est grand temps de mettre le holà à l'anarchie dans un secteur de l'immobilier qui connaît un développement rapide mais qui n'apporte pas toutes les garanties de sécurité requises. Avec une offre de logement largement déficitaire, des loyers qui flambent dans un contexte où le gouvernement n'a pu tenir, ne serait-ce qu'en partie, son engagement de construire 150 000 logements sociaux entre 2012 et 2020.  Le marché de l'immobilier a un grand potentiel de développement et gagnerait à être mieux organisé.


  
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