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Par Anis WAHABI
Expert-comptable Spécialiste IPSAS, Associé AWT
Les ressources naturelles constituent un champ d'application privilégié des mécanismes de gouvernance. D'ailleurs, nombreuses sont les actions lancées à travers le monde pour défendre une gestion ouverte et responsable des ressources naturelles.
Elles sont portées par des coalitions du secteur privé et des institutions internationales qui œuvrent pour l'amélioration de la transparence dans la gestion des ressources naturelles, notamment minières, et l'amélioration de la performance environnementale et sociale pour les entreprises actives dans les industries extractives.
Ces actions restent toutefois limitées, parce qu'elles portent généralement sur les ressources minières et parce qu'elles restent tributaires de la bonne volonté des gouvernements. Face à ces limites, la généralisation constatée dans l'adoption des normes comptables du secteur public (IPSAS) peut-elle apporter une réponse aux besoins incessants d'instaurer des règles de transparence dans le domaine des ressources naturelles ?
Pour répondre à cette question, nous allons présenter les raisons poussant à une gestion ouverte et responsable des ressources naturelles (1), les pratiques et les initiatives existantes à travers le monde et leurs limites (2) pour arriver à la fin aux possibilités que peut offrir le système comptable IPSAS pour satisfaire les besoins de la gouvernance des ressources naturelles (3).
Nécessité d'une gestion ouverte et transparente des ressources naturelles
Les ressources naturelles comprennent l'eau, l'air, les forêts, les terres, les minéraux, les combustibles fossiles et bien d'autres.
Ces ressources présentent des enjeux de développement économique, social et environnemental, ainsi que des enjeux de sécurité énergétique, de préservation de la biodiversité, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la protection des droits des populations locales et de prévention de conflits autour de l'accès et de la gestion de ces ressources.
Une gestion ouverte et responsable des ressources naturelles constitue un élément nécessaire de gouvernance publique et ce pour plusieurs raisons, notamment : la préservation de l'environnement étant donné que les ressources naturelles sont souvent exploitées de manière intensive, ce qui peut entraîner une dégradation de l'environnement, une perte de biodiversité et une pollution de l'air et de l'eau.
Une gestion responsable des ressources naturelles est donc essentielle pour minimiser l'impact environnemental de leur exploitation. La promotion de la durabilité puisque les ressources naturelles ne sont pas renouvelables et leur exploitation peut entraîner leur épuisement. Une gestion responsable des ressources naturelles vise donc à promouvoir une exploitation durable, qui préserve les ressources pour les générations futures.
Le respecte des droits de l'Homme dans la mesure ou l'exploitation des ressources naturelles peut avoir des impacts importants sur les communautés locales, notamment en termes de déplacement forcé, de perturbation des modes de vie traditionnels et de violation des droits de l'homme. Une gestion responsable des ressources naturelles doit donc prendre en compte ces impacts et respecter les droits des communautés locales. Ceci couplé avec la favorisation du développement économique à travers une gestion responsable des ressources naturelles qui peut donc contribuer à favoriser le développement économique et à réduire la pauvreté.
Toutes ces raisons ont été à l'origine de mise en œuvre de plusieurs pratiques de gouvernance et d'initiatives visant à améliorer la transparence dans la gestion des ressources naturelles. Lesquelles ? et quels sont leurs objectifs ?
Pratiques appliquées à travers le monde
Les pratiques de gouvernance des ressources naturelles varient considérablement dans le monde en fonction des lois, des réglementations et des politiques en vigueur dans chaque pays.
Cela varie entre l'instauration d'une réglementation environnementale d'un côté d'où l'existence dans de nombreux pays de réglementations environnementales strictes qui régissent l'exploitation des ressources naturelles. Ces réglementations peuvent inclure des normes de qualité de l'air et de l'eau, des exigences en matière de gestion des déchets et des règles sur la protection de la faune et de la flore.
D'un autre coté l'établissement d'une gestion communautaire ou les communautés locales ont un rôle important à jouer dans la gestion des ressources naturelles. Les communautés peuvent être impliquées dans des processus de consultation pour déterminer comment les ressources seront utilisées et gérées, et peuvent bénéficier financièrement de l'exploitation des ressources.
A ceci s'ajoute un système de certification pour certains produits, tels que le bois et les produits agricoles, qui peuvent être certifiés pour garantir qu'ils ont été produits de manière durable et responsable sur le plan environnemental et social. Les certifications telles que le label FSC pour le bois ou le label Fairtrade pour les produits agricoles peuvent aider à promouvoir des pratiques de gouvernance des ressources naturelles plus durables.
Nous trouvons aussi le rôle des accords internationaux, les gouvernements peuvent également travailler ensemble pour élaborer des accords internationaux sur la gestion des ressources naturelles. Par exemple, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) réglemente le commerce de certaines espèces menacées pour garantir leur survie à long terme.
Parmi les différentes ressources naturelles, les ressources minérales ont suscité le plus d'importance et ont fait l'objet de plusieurs initiatives de gestion ouverte et responsable, qui ont pour objectif de promouvoir une exploitation durable et responsable et de prévenir les conflits liés à l'exploitation. Les initiatives les plus importantes dans ce domaine sont les suivantes :
- L'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) : L'ITIE est une coalition internationale de gouvernements, d'entreprises et de groupes de la société civile qui vise à promouvoir la transparence dans la gestion des ressources naturelles, notamment des ressources minérales. Les pays qui adhèrent à l'ITIE doivent publier des informations sur les revenus provenant de l'exploitation des ressources naturelles, et sur la manière dont ces revenus sont utilisés.
- Les Principes de l'Initiative pour une exploitation minière responsable (IMR) : L'IMR est une initiative internationale qui vise à promouvoir une exploitation minière responsable, respectueuse de l'environnement, des communautés locales et des droits de l'homme. Les Principes de l'IMR fournissent un cadre de référence pour les entreprises minières qui souhaitent améliorer leur performance sociale et environnementale.
- Les Normes de performance de la Société financière internationale (SFI) : La SFI, une filiale de la Banque mondiale, a élaboré des normes de performance environnementale et sociale pour les entreprises actives dans les industries extractives, y compris l'exploitation minière. Les normes de la SFI sont largement reconnues comme une référence en matière de pratiques responsables dans ces secteurs.
- Le Cadre de développement durable dans le secteur minier (CDDSM) : Le CDDSM est un ensemble de principes et de normes qui visent à promouvoir le développement durable dans l'industrie minière. Il a été développé par le Conseil international des mines et métaux (ICMM), une organisation qui regroupe les principales entreprises minières au niveau mondial.
- Le Guide de l'OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d'approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque : L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a élaboré un guide qui fournit des lignes directrices pour les entreprises qui achètent des minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. Le guide vise à aider les entreprises à prévenir les violations des droits de l'homme et à réduire le risque de financer des conflits armés.
Malgré tous les efforts déployés, les pratiques actuelles présentent plusieurs limites qui varient entre les limites géographiques puisque qu'elles se basent sur le volontariat et sont donc limitée à la participation des pays qui décident de s'engager. Ainsi, de nombreux pays riches en ressources naturelles ne participent pas à une initiative comme l'ITIE, limitant ainsi son efficacité. Ces limites géographiques sont conjuguées au manque d'adhésion car l'engagement est souvent de façade. Même dans les pays participants, les initiatives ne sont pas toujours mises en œuvre de manière efficace, et certaines parties prenantes, telles que les entreprises extractives, peuvent ne pas coopérer pleinement avec l'initiative.
Les limites des efforts déployés à aussi pour raison la faible portée des audits dans la mesure ou les audits réalisés dans le cadre de l'ITIE ne couvrent généralement qu'un nombre limité d'entreprises extractives, ce qui peut limiter l'efficacité de l'initiative en termes de transparence et de responsabilisation. Pour la transparence, les contrats signés entre les gouvernements et les entreprises extractives ne sont souvent pas divulgués. Quant à la responsabilisation il concerne le manque de sanctions pour les pays non conformes parce qu'il n'y a pas de mécanisme clair de sanction pour les pays qui ne respectent pas les normes de transparence dans le domaine de ressources naturelles.
Des systèmes comptables publics peuvent-ils apporter des réponses face à ces limites ?
Apport de la comptabilité publique dans la gestion ouverte et transparente des ressources naturelles
Les IPSAS (International Public Sector Accounting Standards) sont des normes comptables internationales spécifiques au secteur public. Elles ont pour but de promouvoir la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources publiques en fournissant un cadre comptable uniforme pour les gouvernements et les entités du secteur public.
L'adoption et l'application des IPSAS permettent une présentation plus claire, plus fiable et plus comparable des états financiers des entités du secteur public. Cela facilite la compréhension et l'évaluation des performances financières et des résultats des entités publiques par les parties prenantes telles que les citoyens, les investisseurs, les créanciers et les régulateurs.
Les IPSAS fournissent également des lignes directrices sur la gestion financière efficace et la reddition de comptes, en mettant l'accent sur la mesure de la performance et l'analyse des coûts pour aider les gouvernements à améliorer leur gestion des finances publiques. Ceci peut concerner les axes suivants :
- Amélioration de la transparence : Les IPSAS fournissent des normes claires et uniformes pour la présentation des états financiers des entités publiques, ce qui permet de garantir la transparence dans la gestion des finances publiques et de faciliter la comparaison des performances financières entre les entités du secteur public.
- Renforcement de la responsabilité : Les IPSAS exigent des gouvernements et des entités du secteur public qu'ils fournissent des informations financières fiables. Cela permet aux parties prenantes, telles que les citoyens, les investisseurs et les régulateurs, de comprendre comment les ressources publiques sont utilisées et de tenir les gouvernements responsables de leur gestion.
- Promotion de la gestion financière efficace : Les IPSAS fournissent des lignes directrices sur la manière de gérer efficacement les finances publiques, notamment en matière de budgétisation, de comptabilité et de gestion des deniers publics. Cela permet aux gouvernements de prendre des décisions éclairées en matière de dépenses et de garantir que les ressources publiques sont utilisées de manière efficace et efficiente.
L'adoption de la comptabilité à base engagement, dite aussi comptabilité d'exercice ou comptabilité de droit constaté, ne cesse de s'élargir à travers le monde. Selon l'index de la comptabilité financière du secteur public publié en 2021 par l'IFAC et CIPFA, 70% des pays, parmi 165, déclarent appliquer, partiellement ou totalement, une comptabilité d'exercice en 2020.
La généralisation de l'application des normes IPSAS constitue une opportunité pour améliorer la communication financière dans le secteur public et un outil de bonne gouvernance. C'est ce qui a emmené l'IPSASB (Conseil des normes comptables du secteur public international) à s'activer pour reconnaître l'importance des ressources naturelles et la nécessité de les comptabiliser dans les états financiers des entités du secteur public.
Le Conseil travaille à l'élaboration d'une orientation sur la comptabilité des ressources naturelles, en mettant l'accent sur les industries extractives. En septembre 2020, il a publié un projet d'exposition intitulé "Ressources naturelles" qui proposait des modifications à IPSAS 6 "États financiers consolidés et séparés" et à IPSAS 32 "Accords de concession de services : concédant". Les modifications proposées visent à fournir des orientations sur la comptabilisation de l'acquisition, de l'exploration et de l'évaluation des ressources minérales et sur la reconnaissance des actifs et des passifs associés.
Le projet d'exposition comprend également des orientations sur la comptabilisation des accords de concession de services qui impliquent l'utilisation de ressources naturelles, telles que les concessions minières ou forestières. Les modifications proposées aideront les entités du secteur public à comptabiliser les coûts et les avantages de ces accords et à les rapporter de manière transparente dans leurs états financiers.
Plus en détail, le projet expose pour discussion ce qui suit :
- Définition des ressources naturelles : Le document propose une définition des ressources naturelles pour les besoins de la comptabilité, qui inclut les ressources minérales, les hydrocarbures, les forêts, les terres agricoles, les zones de pêche, les eaux intérieures et les ressources en eau douce.
- Comptabilisation des ressources naturelles : Le document propose des lignes directrices pour la comptabilisation des ressources naturelles, en fonction de leur type. Il recommande notamment de les enregistrer à leur coût d'acquisition ou de production, de les amortir sur leur durée d'utilisation prévue, et de procéder à des réévaluations périodiques pour refléter leur valeur actuelle.
- Évaluation des impacts environnementaux : Le document recommande que les entités du secteur public évaluent les impacts environnementaux de leur exploitation des ressources naturelles et les incluent dans leurs états financiers.
- Transparence et divulgation : Le document préconise une plus grande transparence et une divulgation accrue des informations financières liées aux ressources naturelles dans les états financiers, afin d'améliorer la compréhension de l'impact financier des activités liées aux ressources naturelles sur les finances publiques.
- Responsabilité sociale : Le document souligne également l'importance pour les entités du secteur public de prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de leur exploitation des ressources naturelles, et de veiller à ce que ces activités soient menées de manière responsable et durable.
La prise en compte des questions liées aux ressources naturelles dans la comptabilité publique permettra d'améliorer la transparence à travers une information normalisée et détaillée concernant les ressources disponibles et la performance de leur gestion.
Ces informations financières sont soumises à des audits systématiques de la part des corps de contrôle public, notamment la Cour des comptes ou son équivalent, ce qui contribuera à leur fiabilité.
Cette réforme va par conséquent continuer à améliorer la qualité de l'information quant à son continu et sa fiabilité. Mais l'importance de la réforme n'est pas seulement technique mais aussi parce que la communication sur les ressources naturelles va être systématique à chaque fois qu'un pays adoptera la comptabilité publique selon les IPSAS, avec toutes ses conséquences sur le processus de reddition des comptes.
Le collectif de la profession comptable essaye de se positionner dans un secteur important. Il veut contribuer à travers son outil normatif à améliorer la gouvernance publique. Toutefois, la réforme est à sa phase de consultation, son aboutissement est tributaire de plusieurs facteurs dont notamment la volonté politique.
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