Eric Bierry , CEO Sopra Banking Software, " Les banques africaines ont souvent fait des sauts de plusieurs échelons en une fois "

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Dans l'optique de se rapprocher davantage de sa clientèle dans la zone UEMOA, l'entreprise Sopra Banking Software, société de services numériques et de développement de logiciels du secteur financier, a initié, le jeudi 16 mars à Abidjan, une rencontre avec ses partenaires. A cette occasion Eric Bierry, CEO de la société s'est confié à SIKA Finance sur les raisons de cette initiative.

 

Quel est l'objectif de cet évènement " Connect " que vous organisez aujourd'hui ?

L'objectif principal, c'est d'avoir un moment d'échange avec nos clients. Une journée dédiée, à la fois pour créer du network entre eux et nous, leur présenter nos dernières nouveautés, leur donner de la visibilité sur ce que nous sommes en train de préparer pour l'avenir, et en profiter pour avoir leurs feedbacks et la façon dont ils sont en train d'appréhender les années qui viennent, en termes d'investissements, de leur côté. Nous, ça nous sert, au-delà de la proximité avec eux, d'ajuster la façon dont nous anticipons nos investissements dans les années à venir.

Aujourd'hui, il y a des spécificités locales, en termes de règlementations. C'est quoi l'enjeu de la présence de Sopra en Afrique ? Vous avez cité 112 clients dans la région et 300 en Afrique. Quels sont les éléments qui vous ont permis de vous ancrer sur le continent ?

Il y a plusieurs choses. La première, c'est qu'on est toujours parti du principe qu'il faut faire de l'Afrique avec l'Afrique. Nous, on part du principe que si on envoie des français tout le temps ou qu'on travaille à distance, on a conscience qu'on ne sera jamais un partenaire à long terme sur le développement de nos clients.

Notre point de départ, c'est dire que c'est l'Afrique pour l'Afrique, et la nécessité de former progressivement et avoir des équipes suffisamment expertes pour accompagner au quotidien, sur place, nos clients. Ça, c'est quelque chose que nous avons démarré, il y a très longtemps puisque cela fait bientôt 40 ans qu'on travaille pour l'Afrique.

Nous avons commencé plus tôt par le Maghreb avant d'accélérer notre présence en particulier, en Afrique de l'Ouest et Centrale. Mais, nous avons toujours considéré que si on n'avait pas de bureau de cinquante, soixante ou soixante-dix personnes, sur chaque grand pôle économique, capables d'accompagner nos clients, on ne percerait pas, et on n'aurait pas une longévité et ce niveau de confiance avec nos clients. Ça, c'est le driver principal.

La deuxième chose, c'est qu'on a toujours cherché, et on va continuer à rester d'abord là où on est fort et à délivrer ce qu'on sait bien faire. Et quand on sait bien délivrer quelque chose, à ce moment-là, on peut commencer à mêler nos autres services. On peut commencer à parler d'Open Banking, de digital, de paiements. On sait qu'on peut amener nos autres services, seulement si on est vraiment bien ancré, si on a atteint un niveau de confiance, et si on a des personnes qui sont formées sur place pour accompagner.

Donc ce sont vraiment les deux grands drivers de notre présence aujourd'hui, mais surtout pour demain. Quand un client choisit un Open Banking avec nous, à priori, il part pour plusieurs années, donc on ne peut pas raisonner en disant qu'on vient de loin, on installe, on repart, et puis c'est fini. Aujourd'hui, notre modèle vise à avoir des services de plus en plus courts en termes de delivery, et un accompagnement de plus en plus fort. Et ce qui arrivera demain, et qui arrive déjà dans d'autres pays sur le continent, c'est que nos clients vont souvent prendre un bout de nos solutions, et puis vont consommer, à l'usage, de plus en plus de service. Donc nous passons d'un modèle de vente traditionnelle, à un modèle de customer success à gérer sur la durée. Et le Customer Success, ça ne se fait qu'avec des gens qui sont sur place.

Comment estimez-vous, aujourd'hui, la prise de conscience et l'investissement de ces opérateurs avec lesquels vous travailler sur le digital, l'Open Banking et sur les sujets de cybersécurité ? Avez-vous des gens qui sont conscients de l'importance de ces sujets ? Les choses se font-elles très rapidement ou elles ont un peu de retard en Afrique, par rapport à d'autres régions ?

Moi, je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de retard, mais il y a une difficulté de mettre les moyens sur beaucoup de sujets en même temps. Quand on a des problématiques de reporting réglementaires, parce que le régulateur demande beaucoup de choses, et qu'en parallèle, il y a une population de plus en plus exigeante, en termes d'accès aux services financiers, d'accès dans le digital, et que cette même population commence à avoir une offre qui, parfois, ne vient pas d'établissements bancaires, la banque doit résister et être offensive par rapport à ses clients.

Et puis, il y a la cyber sécurité, elle arrive comme un cataclysme, en plus des deux premières choses qui sont déjà très consommatrices en termes d'investissements, de temps, d'implications des directions et des clients, et ça, pour le coup, c'est vraiment très nouveau. Mais c'est nouveau pour tout le monde, qu'on soit en Europe, en Asie ou aux Etats-Unis. Personne n'est vraiment bien préparé les risques de cybersécurité.

Est-ce que la prise de conscience a été lente ? Peut-être dans certaines régions, mais aujourd'hui, il n'y a pas un DG qui ne se lève pas les matins sans se poser des questions sur son exposition aux risques cyber. C'est devenu normal, et le côté normal n'est presque pas un bon signe, parce qu'il faut trouver les moyens de prévenir.

Aujourd'hui, comment les nouvelles technologies sont en train de changer le paysage bancaire en Afrique et comment les banques africaines pourraient en profiter, selon vous ?

Premier élément, les banques africaines ont souvent fait des sauts de plusieurs échelons en une fois. Quand on regarde l'évolution des systèmes bancaires en Europe, on est parti de gros systèmes très coûteux, qui sont devenus des legacy assez complexes. La transformation de ces systèmes d'information a mis des durées très longues pour des établissements européens. On voit que finalement pour mettre en place un mobile banking pour une banque européenne, ils ont passé parfois deux, trois, voire quatre ans à cause la complexité des systèmes. Aujourd'hui dans les pays d'Afrique de l'Ouest, finalement le passage au mobile se fait sur des durées plus courtes, parce qu'ils n'ont pas eu à embarquer un niveau de complexité comme certaines banques en Europe avec une histoire assez longue, et ils sont face à un niveau d'usage des populations qui, en termes de maturité, est beaucoup plus élevé.

Aujourd'hui, pour les populations de l'UEMOA, le fait de payer avec un mobile, c'est juste normal. La maturité d'un client d'une banque et son âge moyen en Afrique n'a aucun rapport avec l'âge moyen d'un client d'une banque en Europe. Et je crois que cela met une exigence supplémentaire aux banques en Afrique, mais ça a mis aussi des vitesses d'usage beaucoup plus importantes. Donc aujourd'hui, moi je ne ressens pas un retard, je ressens à chaque fois des sauts qui sont beaucoup plus importants.

Votre stratégie, c'est d'avoir un ancrage local. En termes de ressources, avec l'ouverture des bureaux localement, est-ce que vous recrutez localement ? Quelle approche a adopté Sopra pour trouver les bons profils, les bons éléments et les cadres pour accompagner cette croissance et être plus proche de ses clients ?

Notre stratégie de développement a beaucoup évolué. On avait un ancien bureau à Abidjan depuis longtemps, et à la fois, il fallait qu'on soit très attractif parce que le marché de l'IT et le marché financier sont très dynamiques.

Nous avons deux axes sur lesquels nous avons axé notre stratégie de recrutement. Le premier, c'est plutôt des personnes qui connaissent la banque, pas des personnes qui connaissent l'IT pour l'IT. Nous avons donc, dans notre équipe une bonne moitié de nos recrutés qui sont des gens qui ont passé 10 ans, 15 ans dans différents rôles et métiers, pas IT, au sein d'institutions financières.

On s'est rendu compte que pour bien accompagner nos clients en Afrique de l'Ouest, il fallait d'abord être capable de parler leur métier. Et c'est l'accompagnement dans leur métier, qui fait aujourd'hui la différence dans notre relation.

Le deuxième axe, c'est le digital et la capacité à interagir avec l'écosystème. Pour exemple, on a plusieurs startups sur Abidjan qui travaillent sur l'agrégation de compte, sur le type de sujet dont nous avons besoin, pour amener un service complet au niveau de nos clients.

Nous n'avons aucun intérêt à investir sur de l'agrégation de compte en Côte d'Ivoire, s'il y a un acteur local qui l'a déjà fait, nous préférons travailler avec lui, l'intégrer dans notre offre complète d'Open Banking. Il nous faut donc des acteurs ici capables de parler avec ces acteurs dans les fintechs. C'est l'autre partie de notre recrutement.

Nous arrivons finalement à attirer des talents de ce côté-là, comparés aux fintechs, parce qu'on leur ouvre une exposition à minima sur toute l'Afrique qui est plus importante. Notre présence en Afrique permet de leur redonner une projection, un plan de carrière, qui va leur permettre de travailler sur différents pays, que ce soit à l'ouest ou central. Mais on en a quelques-uns qui sont partis au Kenya, au Maroc, et c'est cette exposition-là finalement qui donne, pour leur carrière et leur expérience, quelque chose que beaucoup d'acteurs ici ne peuvent pas leur donner.

Quels sont vos ambitions en terme de recrutements, de nouveaux clients à accompagner dans la région UEMOA d'ici deux ans ?

Dans la zone UEMOA, sur les trois années à venir nous ambitionnons de doubler notre effectif. Nous sommes 60 sur Douala, plus de 40 en Côte d'Ivoire et quelques personnes à Dakar, on devrait être à 200 sur toute la région à l'horizon 2025-2026.

Aujourd'hui sur cette zone, on a exactement 112 clients et il y a environ 225 établissements financiers. Donc on a 50% de part de marché sur les établissements financiers, mais ce nombre évolue vite. Pas parce qu'il y a beaucoup de nouvelles banques, mais il y a énormément d'établissements dans le cadre de la microfinance qui s'établissent régulièrement.

Le véritable enjeu pour nous sera dans la consolidation des acteurs sur la microfinance. Et dans cette consolidation, le tout petit acteur de microfinance va nous voir comme un monstre mais, dès qu'il y aura un peu plus de consolidation de ces acteurs, on voit que notre taille et notre proposition de valeur va être beaucoup plus alignée. Donc on essaie de bien identifier ceux qui vont consolider, et on essaie d'être présent avec eux, parce qu'ils auront les moyens de travailler avec nos équipes.

 

Propos recueillis par Jean-Marc Gogbeu

Jean-Marc Gogbeu

Publié le 21/03/23 11:40

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