Le Kenya pris au piège d’un endettement devenu structurel

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William Ruto, président du Kenya

Le rêve du Kenya de parvenir à l'équilibre budgétaire d'ici 2027 s'effondre face à une réalité implacable : des recettes insuffisantes, une pression sociale croissante et une dette extérieure difficile à refinancer. Un dilemme qui illustre une forme contemporaine de quadrature du cercle budgétaire.

Paradoxale trajectoire d'un pays en quête de stabilité

Lorsque le président William Ruto annonce en 2023 sa volonté d'équilibrer le budget d'ici la fin de son mandat, l'ambition semblait salutaire : redonner au pays une trajectoire soutenable après des années d'endettement accéléré. Mais cet objectif, aujourd'hui abandonné, s'est heurté à une mécanique budgétaire grippée, fruit de plus d'une décennie d'accumulation de dettes, d'optimisme fiscal excessif et de chocs successifs – climatiques, sanitaires, géopolitiques.

La réalité est désormais assumée par le nouveau secrétaire au Trésor, John Mbadi, nommé en 2023 dans un contexte de contestation populaire massive contre les hausses d'impôts. Il l'affirme sans détour :‘'Nous sommes dans une situation inextricable.''

Des recettes qui peinent à suivre le rythme des dépenses

L'idée initiale du gouvernement était ambitieuse : réduire de moitié le déficit budgétaire à 3,3% du PIB en augmentant les recettes fiscales. Mais l'objectif s'est vite révélé hors de portée. L'opinion publique, déjà éprouvée par une inflation élevée et un chômage massif, a rejeté en bloc les hausses d'impôts proposées. Face aux protestations et aux violences, l'exécutif a dû reculer.

Résultat : le déficit budgétaire s'est établi à 4,9% du PIB en 2023, et ne devrait se réduire que marginalement à 4,3% lors de l'exercice budgétaire 2024-2025. À ce rythme, l'équilibre budgétaire avant 2027 devient un mirage.

Un cercle vicieux : dette, service, refinancement

L'un des nœuds du problème est l'endettement. Le Kenya a fortement sollicité les marchés internationaux au cours de la dernière décennie, notamment via des euro-obligations et des prêts syndiqués à des conditions coûteuses. La concentration de ces échéances entre 2024 et 2034 complique la gestion de la trésorerie publique. Comme le résume Mbadi : ‘'La prochaine décennie sera la plus turbulente de notre histoire en termes de service de la dette extérieure.''

Pour alléger les pressions immédiates, le pays a allongé la maturité de certaines dettes, notamment par l'émission récente d'un eurobond de 1,5 milliard de dollars sur 11 ans. Mais cette stratégie de ‘'roulement de dette'' a un coût : elle augmente la dépendance aux marchés financiers, sans résoudre le problème de fond.

Quand l'austérité devient un risque politique

L'autre grande difficulté tient à l'équilibre social. Réduire les dépenses publiques dans un pays où l'accès aux services reste très inégal, c'est s'exposer à une perte de légitimité. John Mbadi l'explique crûment : ‘'si vous équilibrez votre budget maintenant, vous n'offrirez plus de services. Personne n'acceptera de payer des impôts s'il ne bénéficie pas de services publics.''

Ce dilemme freine toute stratégie d'austérité à court terme. Et rend quasi impossible une sortie ‘'classique'' de la crise budgétaire.

Autre alerte : le Kenya n'a pas validé l'examen final de son programme avec le Fonds monétaire international (FMI), ce qui lui fait perdre 850 millions de dollars de financement. Une conséquence directe des difficultés à respecter les engagements de rigueur budgétaire. Le pays tente désormais de diversifier ses sources de financement, notamment vers les pays du Golfe, dans l'espoir de desserrer l'étau.

Vers une nouvelle approche ?

L'équation kenyane résume les contradictions auxquelles font face de nombreux pays africains : une pression sociale forte, des attentes de croissance rapide, une dépendance aux financements extérieurs, et des marges de manœuvre budgétaires de plus en plus réduites. Le tout dans un contexte mondial où l'accès au crédit devient plus sélectif et coûteux.

Pour s'en sortir, le Kenya devra inventer une voie nouvelle, faite par exemple de réalisme fiscal, de transparence dans la gestion des ressources, de meilleure mobilisation des recettes internes – mais aussi de patience. Car redresser une trajectoire budgétaire sans casser la dynamique sociale relève d'un exercice d'équilibrisme quasi impossible à court terme.

Dr Ange Ponou

Publié le 04/04/25 11:19

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