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Ramatoulaye Goudiaby, Directrice de l'Africa Financial Summit (AFIS) :
L'avenir du marché financier africain se jouera à l'intersection entre innovation technologique et consolidation institutionnelle.
Alors que le paysage financier africain poursuit sa mutation à un rythme soutenu, l'édition 2024 du Baromètre de l'Industrie Financière Africaine, menée conjointement par AFIS et Deloitte, dresse un état des lieux contrasté. Elle révèle une industrie en pleine transformation, stimulée par la digitalisation, l'essor des fintechs et les ambitions d'intégration régionale, mais encore freinée par de profondes fragilités structurelles. Si l'Afrique innove, elle le fait dans un contexte de pressions inflationnistes persistantes, d'instabilité politique et de maturité réglementaire inégale. Un équilibre difficile, qui questionne la soutenabilité du modèle de croissance actuel.
Dans cet entretien, Ramatoulaye Goudiaby, Directrice de l'Africa Financial Summit (AFIS), revient sur les principaux enseignements de cette édition. Elle décrypte les dynamiques à l'œuvre entre acteurs traditionnels et nouveaux entrants, met en lumière les défis d'inclusion financière, de cybersécurité, de gouvernance ou encore de transformation numérique, et trace les contours d'une trajectoire plus intégrée, plus agile et plus résiliente pour les marchés financiers du continent. Une réflexion lucide, appuyée sur des données solides, à l'intersection entre innovation technologique et consolidation institutionnelle.
Forte de plus de 15 ans d'expérience dans la finance institutionnelle, en France comme en Afrique, Ramatoulaye Goudiaby a occupé des postes d'analyste crédit senior chez AXA, FBN Bank UK, La Banque Postale et Crédit Mutuel, avant de prendre la direction d'AFIS en 2022. À la tête du principal sommet panafricain dédié à la finance, elle orchestre la stratégie, les partenariats et le développement de la plateforme, tout en animant le comité de pilotage.
Quels sont les principaux enseignements de cette 4ᵉ édition du Baromètre de l'Industrie Financière Africaine ?
L'édition 2024 du Baromètre de l'Industrie Financière Africaine, menée par AFIS et Deloitte, met en lumière une transformation rapide du secteur financier en Afrique, stimulée par la digitalisation, une conjoncture macroéconomique complexe et une intégration régionale encore inachevée.
L'essor des fintechs et le développement des infrastructures numériques favorisent la modernisation des services financiers, notamment grâce à l'open banking, à l'intelligence artificielle et au cloud computing. Les paiements instantanés, portés par des initiatives comme le PAPSS*, facilitent les transactions transfrontalières, bien que leur adoption reste modeste. Cette transformation améliore l'accessibilité et l'efficacité des services financiers, mais soulève des défis persistants en matière d'inclusion financière et de cybersécurité.
L'inflation demeure la principale inquiétude des acteurs du secteur (54 % des répondants), devant l'instabilité politique et les cybermenaces.
L'inflation demeure la principale inquiétude des acteurs du secteur (54 % des répondants), devant l'instabilité politique et les cybermenaces. En réponse, 88 % des banques ont ajusté leur allocation d'actifs, tandis que les banques centrales, telles que la BCEAO et la Banque centrale du Nigeria, ont adopté une politique monétaire plus stricte. Cependant, la faible profondeur des marchés financiers africains limite leur capacité à absorber les chocs économiques, ce qui nuit à leur attractivité auprès des investisseurs internationaux.
La finance durable suscite un intérêt croissant, mais seulement 4 % des institutions financières disposent d'un reporting structuré sur leur empreinte carbone, traduisant un retard dans le développement des produits verts. Par ailleurs, l'intégration régionale reste lente, avec un AELP opérationnel à seulement 7 % et un PAPSS utilisé à 20 % de sa capacité. La fragmentation réglementaire et le manque d'infrastructures adéquates continuent de freiner les flux d'investissement intra-africains.
L'industrie financière africaine progresse vers un modèle plus digitalisé, agile et inclusif.
L'industrie financière africaine progresse vers un modèle plus digitalisé, agile et inclusif. Cependant, pour renforcer sa compétitivité à l'échelle mondiale, elle devra améliorer sa résilience face aux chocs macroéconomiques et accélérer le processus d'intégration régionale.
Vous mentionnez un léger recul de l'optimisme par rapport à 2023, quelles sont les principales raisons de cette prudence chez les acteurs financiers ?
L'édition 2024 du Baromètre de l'Industrie Financière Africaine révèle une dichotomie marquée dans la perception des perspectives économiques : les fintechs affichent un optimisme record (9,25/10), tandis que les marchés des capitaux adoptent une posture plus réservée (6,67/10).
Cette divergence traduit deux réalités distinctes du secteur financier africain.
Les fintechs sont les grands gagnants de la transformation numérique du continent. Elles bénéficient de plusieurs facteurs favorables :
- Un marché en pleine expansion : avec une population jeune et largement sous-bancarisée, les solutions de paiement mobile et de crédit digital connaissent une adoption massive.
- Une réglementation plus souple : contrairement aux banques, les fintechs évoluent dans un cadre moins contraignant, leur permettant d'innover rapidement.
- L'attractivité pour les investisseurs : bien que les levées de fonds aient chuté de 47 % en 2023, les fintechs restent les startups les plus financées en Afrique, grâce à des modèles d'affaires scalables et un potentiel de croissance élevé.
À l'inverse, les marchés des capitaux restent beaucoup plus prudents, freinés par des difficultés structurelles :
- Un manque de profondeur des bourses africaines, avec une liquidité limitée et un faible volume d'échanges.
- Une attractivité en baisse : 42 % des investisseurs estiment que l'Afrique est moins attractive qu'il y a trois ans, en raison des risques politiques et monétaires.
- Une interconnexion régionale encore faible : le projet African Exchanges Linkage Project (AELP), censé favoriser l'intégration des bourses africaines, n'est opérationnel qu'à 7 %, limitant ainsi les opportunités d'investissement transfrontalières.
L'édition 2024 du Baromètre de l'Industrie Financière Africaine révèle une dichotomie marquée dans la perception des perspectives économiques entre les fintechs et les marchés des capitaux.
Cette divergence de perception crée un décalage structurel entre innovation et consolidation institutionnelle. Trois tendances clés pourraient redéfinir le marché financier africain dans les prochaines années :
- Les fintechs continueront à révolutionner les services financiers, notamment en facilitant l'accès au crédit et aux paiements pour les PME et les particuliers.
- Les marchés financiers devront évoluer en développant de nouveaux instruments (obligations vertes, titrisation) et en renforçant la connectivité entre bourses africaines pour attirer davantage d'investisseurs.
- Les régulateurs devront trouver un équilibre entre innovation et stabilité, notamment face aux risques liés aux crypto-actifs et aux fintechs non bancarisées, qui échappent encore en partie aux cadres réglementaires traditionnels.
L'avenir du marché financier africain se jouera donc à l'intersection entre innovation technologique et consolidation institutionnelle.
Si l'Afrique veut capitaliser sur la dynamique portée par les fintechs tout en renforçant la robustesse de ses marchés financiers, elle devra accélérer l'harmonisation des régulations, le développement d'infrastructures financières plus intégrées et la diversification des outils d'investissement. L'avenir du marché financier africain se jouera donc à l'intersection entre innovation technologique et consolidation institutionnelle.
L'inclusion financière et la digitalisation sont identifiées comme des moteurs de croissance. Quels défis spécifiques doivent encore être surmontés pour accélérer cette transformation ?
L'inclusion financière et la digitalisation progressent rapidement en Afrique, mais plusieurs défis freinent encore cette dynamique. L'accès limité aux infrastructures numériques reste un obstacle majeur, surtout en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, où le taux de pénétration d'Internet atteignait respectivement 39 % et 16 % en 2022, bien en deçà de la moyenne mondiale de 66 %. À l'inverse, en Afrique de l'Est, le Kenya se distingue avec 66,4 millions d'abonnements mobiles actifs en 2023 pour une population de 50,6 millions, reflétant une adoption massive des services mobiles.
L'accès limité aux infrastructures numériques reste un obstacle majeur à l'inclusion financière et la digitalisation, surtout en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale.
Le coût des services financiers constitue un autre frein majeur. En Afrique subsaharienne, le coût moyen d'un transfert intra-africain est de 8 %, l'un des plus élevés au monde. Pourtant, des solutions comme M-Pesa au Kenya, lancée en 2007, ont permis de contourner cette barrière. En mars 2024, la plateforme comptait 66,2 millions d'utilisateurs actifs, montrant le potentiel des solutions numériques malgré des coûts encore élevés.
En Afrique subsaharienne, le coût moyen d'un transfert intra-africain est de 8 %, l'un des plus élevés au monde.
L'interopérabilité reste également limitée. Le programme PAPSS, lancé pour faciliter les paiements transfrontaliers en monnaie locale, fonctionne à seulement 20 % de son potentiel en 2024 selon le Baromètre. La méfiance envers les services numériques complique aussi l'adoption. Plus de 30 % des Marocains déclaraient en 2023 ne pas utiliser de services financiers numériques par crainte de la fraude. Des fintechs comme Inwi Money au Maroc et Paga au Nigeria renforcent pourtant la sécurité des transactions grâce à l'authentification biométrique et la surveillance des activités suspectes.
L'Afrique a déjà montré une forte capacité d'innovation, notamment grâce à la montée en puissance des fintechs et des opérateurs télécoms. Si ces défis sont surmontés, l'inclusion financière pourrait devenir un levier clé de croissance et de développement économique pour le continent.
La transformation numérique est en cours, avec 84 % des institutions qui privilégient les partenariats technologiques, mais seulement 2 % des compétences digitales jugées matures. Comment l'industrie peut-elle combler cet écart ?
La transformation digitale s'accélère, avec une adoption massive du cloud computing et des plateformes numériques. Cependant, l'intégration de l'intelligence artificielle (IA) reste limitée : seulement 2 % des institutions financières ont déployé un projet d'IA à ce jour.
Quatre freins majeurs expliquent cette adoption limitée :
- Pénurie de compétences spécialisées – L'IA repose sur des technologies avancées (machine learning, analyse de données) qui nécessitent des experts en data science. Or, ces profils sont encore rares sur le continent.
- Coût élevé de mise en œuvre – L'IA nécessite des investissements lourds en infrastructures, formation et modernisation des systèmes. Les institutions financières privilégient souvent des projets à retour sur investissement rapide.
- Fragmentation des données et des réglementations – L'accès à des données de qualité est limité par une réglementation incomplète et une standardisation insuffisante.
- Culture du risque prudente – L'automatisation des décisions par l'IA soulève des enjeux de conformité et de transparence, incitant les institutions à adopter une approche prudente.
(…) seulement 2 % des institutions financières ont déployé un projet d'IA à ce jour
Comment lever ces freins ?
- Former et attirer les talents – Investir dans la formation en IA, nouer des partenariats avec des universités et des fintechs.
- Cibler des cas d'usage stratégiques – Commencer par des applications à forte valeur ajoutée, comme l'évaluation du risque de crédit ou la détection de fraude. Un bon exemple est ThisIsMe en Afrique du Sud, qui utilise l'IA pour vérifier rapidement l'identité des clients et lutter contre la fraude.
- Améliorer la gouvernance des données – Centraliser et structurer les données pour garantir une exploitation efficace.
- Créer un cadre réglementaire adapté – Instaurer des "bacs à sable" réglementaires pour tester des solutions IA dans un environnement sécurisé.
Je conclurai en disant que même si l'IA est encore à un stade précoce en Afrique, avec une approche ciblée et une meilleure gouvernance des données, elle pourrait devenir un levier puissant pour améliorer la performance des institutions financières et renforcer l'inclusion financière sur le continent.
Le rapport souligne que les fintechs et les télécoms jouent un rôle clé, tandis que les GAFA et BigTechs restent perçus comme disruptifs. Comment voyez-vous l'évolution de ces interactions entre ces différents acteurs à l'avenir ?
L'évolution des interactions entre fintechs, Telcos et BigTechs en Afrique est en train de redéfinir le paysage financier du continent. Selon le Baromètre de l'Industrie Financière Africaine 2024, 95 % des acteurs perçoivent les fintechs et les Telcos comme des moteurs clés de l'innovation et de l'inclusion financière, tandis que les GAFA et les BigTechs sont encore considérés comme des perturbateurs potentiels.
Les fintechs, en particulier dans le domaine des paiements, du crédit et de l'inclusion financière, continuent de transformer le marché. M-Pesa au Kenya, lancé en 2007, comptait plus de 66,2 millions d'utilisateurs actifs en mars 2024, jouant un rôle essentiel dans la démocratisation des services financiers. De même, Paga au Nigeria traite plus de 2 milliards de dollars de transactions par an, principalement via le mobile money.
Les Telcos jouent également un rôle clé en fournissant l'infrastructure nécessaire à cette expansion. En Afrique de l'Ouest, des opérateurs comme Orange Money et MTN Mobile Money comptent respectivement 30 millions et 60 millions de comptes actifs en 2024. Cette infrastructure permet aux fintechs d'étendre rapidement leurs services, en particulier dans les zones rurales mal desservies par le réseau bancaire classique.
(…) l'entrée progressive des BigTechs comme Google Pay et Apple Pay dans le secteur financier africain pourrait bouleverser le modèle économique actuel.
En revanche, l'entrée progressive des BigTechs comme Google Pay et Apple Pay dans le secteur financier africain pourrait bouleverser le modèle économique actuel. Google a récemment annoncé le lancement d'un partenariat avec Flutterwave pour intégrer Google Pay à leur plateforme, facilitant les paiements numériques dans plus de 30 pays africains. Amazon explore également des solutions de paiement direct en Afrique via ses services AWS. Cette incursion des BigTechs pourrait menacer la relation directe entre les banques et leurs clients, notamment en matière de gestion des données et d'expérience utilisateur.
Le développement de l'interopérabilité entre ces différents acteurs sera clé dans les prochaines années. La plateforme PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), lancée pour faciliter les paiements transfrontaliers en monnaie locale, fonctionne actuellement à seulement 20 % de son potentiel selon le Baromètre, mais joue néanmoins un rôle stratégique dans l'harmonisation des échanges financiers en Afrique.
À l'avenir, les banques africaines devront repenser leur positionnement face à cette double concurrence des fintechs et des BigTechs. La stratégie la plus probable sera une approche de "coopétition" : s'associer aux fintechs et aux Telcos pour bénéficier de leur agilité et de leur infrastructure, tout en protégeant leur rôle central dans la chaîne de valeur financière. Les régulateurs auront également un rôle clé à jouer pour instaurer un cadre équilibré, garantissant une concurrence loyale et protégeant la souveraineté des données financières africaines.
Si l'écosystème financier parvient à renforcer la coopération entre les banques traditionnelles, les fintechs et les Telcos, tout en encadrant l'entrée des BigTechs, le continent pourrait accélérer significativement son inclusion financière et sa digitalisation au cours des cinq prochaines années.
La réglementation financière en Afrique est souvent citée comme un frein au développement du secteur. Quels sont les leviers prioritaires pour harmoniser les régulations à l'échelle des régions ou au niveau panafricain et renforcer la stabilité du secteur ?
La réglementation financière en Afrique reste un frein majeur au développement du secteur. Selon le Baromètre de l'Industrie Financière Africaine 2024, 66 % des acteurs estiment que le cadre réglementaire actuel est mal adapté à l'innovation, en particulier dans le domaine des fintechs et des nouveaux modèles bancaires. Cette fragmentation réglementaire limite la profondeur des marchés, complique les transactions transfrontalières et freine le développement de nouveaux produits financiers.
Selon le Baromètre, 66 % des acteurs estiment que le cadre réglementaire actuel est mal adapté à l'innovation, en particulier dans le domaine des fintechs et des nouveaux modèles bancaires.
L'un des leviers prioritaires est l'harmonisation régionale des règles bancaires. Aujourd'hui, seulement 49 % des institutions financières considèrent que la cohérence des réglementations est satisfaisante. Les différentes zones économiques africaines (UEMOA, CEMAC, COMESA) appliquent des cadres réglementaires distincts, créant des distorsions de concurrence et ralentissant l'intégration des marchés financiers. Une harmonisation des règles via la ZLECAf permettrait de simplifier les transactions transfrontalières, de renforcer la liquidité des marchés et de stimuler la mobilisation de capitaux.
Un deuxième levier clé est le renforcement de la coordination entre superviseurs. Le manque de cohésion entre les banques centrales et les régulateurs des marchés complique la gestion des risques systémiques. 59 % des acteurs estiment que cette absence de coordination freine la stabilité du secteur. La création d'un organe régional de supervision, à l'image de la Banque Centrale Européenne (BCE), permettrait de renforcer la transparence, d'améliorer la surveillance des institutions financières et de mieux gérer les crises systémiques.
L'adaptation des normes prudentielles est également une priorité. Les standards internationaux, comme Bâle III, sont souvent inadaptés au contexte africain, caractérisé par des marchés moins liquides et un risque de crédit plus élevé. 63 % des acteurs soutiennent une révision des normes de fonds propres et de liquidité pour mieux refléter les réalités économiques locales. Une réglementation plus souple permettrait d'encourager le crédit, de renforcer la stabilité des institutions financières et d'attirer des capitaux.
Le cadre réglementaire doit aussi évoluer pour mieux encadrer la finance digitale. En 2023, MTN Mobile Money a enregistré plus de 1 milliard de transactions mensuelles, mais l'absence de régulation spécifique sur la protection des données, la gestion des fraudes et l'interopérabilité des plateformes freine la croissance du secteur. 84 % des acteurs jugent urgent d'adopter une réglementation claire pour les fintechs, en instaurant par exemple des licences spécifiques et une supervision dédiée.
Enfin, la prévention des crises souveraines et des risques de change est essentielle pour renforcer la stabilité du secteur. La volatilité monétaire reste un défi majeur : en 2023, le naira nigérian a perdu 70 % de sa valeur face au dollar, et le cedi ghanéen a chuté de 42 %. 85 % des acteurs estiment qu'un cadre réglementaire renforcé, incluant des mécanismes de couverture contre le risque de change et une surveillance plus stricte de la dette souveraine, est nécessaire pour stabiliser le secteur financier et restaurer la confiance des investisseurs.
L'attractivité de l'industrie financière africaine est perçue comme en stagnation ou en déclin par 67 % des sondés alors que le départ des groupes internationaux est comblé par l'émergence d'acteurs locaux. Qu'est-ce qui explique une telle perception ? Que faut-il pour inverser ce regard et attirer davantage d'investisseurs ?
La perception de stagnation ou de déclin de l'attractivité de l'industrie financière africaine s'explique par plusieurs facteurs structurels. Selon le Baromètre de l'Industrie Financière Africaine 2024, 67 % des acteurs perçoivent l'attractivité du secteur comme stagnante ou en déclin.
L'instabilité géopolitique et économique est un frein majeur. Les tensions politiques au Sahel et la volatilité monétaire compliquent la planification stratégique des institutions financières. En 2023, le naira nigérian a perdu 70 % de sa valeur par rapport au dollar, et le cedi ghanéen a chuté de 42 %. Cette instabilité augmente le coût du capital et limite l'accès au financement.
Le retrait rapide de grands groupes bancaires internationaux aggrave cette situation. Après le départ de Barclays (en 2016) et de BNP Paribas (en 2020), Société Générale a annoncé en 2023 la cession de ses filiales dans quatre pays africains (Tchad, Congo, Guinée équatoriale et Mauritanie). Ce désengagement prive le secteur financier de capitaux étrangers, de services bancaires sophistiqués et de réseaux internationaux. Si des acteurs régionaux comme Attijariwafa Bank ou Ecobank tentent de combler ce manque, leur capacité financière reste inférieure à celle des grandes banques internationales.
Le manque de profondeur des marchés est un autre frein. Seulement 37 % des acteurs sont satisfaits de la liquidité et de la diversité des instruments disponibles. La Bourse de Casablanca, par exemple, n'a enregistré que 18 nouvelles introductions depuis 2017, contre 12 IPOs par an en moyenne à la Bourse de Johannesburg. Cette faible liquidité limite la capacité des marchés à attirer des investisseurs institutionnels.
Enfin, la réglementation freine l'innovation. 66 % des sondés estiment que le cadre réglementaire actuel est mal adapté aux nouveaux produits financiers. Les délais de cotation, le manque d'harmonisation entre régulateurs et les exigences de capital compliquent le développement de nouveaux instruments financiers.
Pour inverser cette tendance, il est essentiel de renforcer la profondeur des marchés financiers en facilitant la cotation des PME et des startups technologiques. La Bourse de Lagos a, par exemple, lancé en 2023 une initiative pour simplifier la cotation des PME, mais le volume reste encore limité. Le développement du marché obligataire en monnaie locale pourrait également améliorer la liquidité et attirer des investisseurs à long terme. Le Kenya a levé 1 milliard de dollars en 2023 via des "infrastructure bonds", montrant le potentiel du marché obligataire.
L'harmonisation des cadres réglementaires à travers la ZLECAf renforcerait la confiance des investisseurs. La création d'un passeport financier africain permettrait à une société cotée dans un pays d'être automatiquement éligible dans une autre bourse africaine, simplifiant ainsi la levée de capitaux.
Enfin, la montée en puissance des fintechs et des Telcos représente une opportunité clé. En 2023, MTN Mobile Money a enregistré plus de 1 milliard de transactions mensuelles. Encourager la collaboration entre fintechs, banques et plateformes de trading pourrait permettre de développer des produits hybrides innovants, adaptés aux spécificités du marché africain.
Si ces réformes sont mises en œuvre, l'Afrique pourrait renforcer la liquidité de ses marchés, stimuler l'innovation financière et attirer des investisseurs institutionnels à long terme.
Le rapport met en avant l'importance des initiatives d'intégration financière comme le PAPSS, la ZLECAf et l'AELP, mais souligne leur progression inégale. Quels sont les freins à leur mise en œuvre et comment les accélérer ?
Les initiatives d'intégration financière comme le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), la ZLECAf (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) et l'AELP (African Exchanges Linkage Project) représentent des leviers clés pour la transformation économique du continent. Toutefois, leur mise en œuvre reste freinée par plusieurs obstacles structurels.
PAPSS considéré comme un " game changer " parmi les initiatives d'intégrations régionales, affiche le niveau d'opérationnalité le plus élevé avec 20 %, tandis que la ZLECAf et l'AELP sont encore en phase de déploiement, avec seulement 8 % et 7 % d'opérationnalité effective respectivement.
L'un des principaux freins est la fragmentation réglementaire. L'absence d'un cadre harmonisé entre les banques centrales complique l'adoption des solutions de paiement transfrontalier. Certaines devises africaines ne sont pas encore acceptées au sein du PAPSS, limitant ainsi son efficacité. La diversité des cadres réglementaires freine également l'intégration des bourses et la fluidité des transactions transfrontalières.
Le manque d'infrastructure technologique constitue un autre obstacle majeur. Les plateformes de trading régionales restent limitées en capacité et en connectivité, rendant difficile la mise en œuvre complète de l'AELP. Le déficit d'infrastructures de compensation et de règlement en temps réel limite la circulation des capitaux entre les bourses africaines, réduisant ainsi le volume des échanges.
Pour accélérer la mise en œuvre de ces initiatives, plusieurs actions concrètes sont nécessaires. L'harmonisation du cadre réglementaire est une priorité. La création d'un cadre bancaire commun à travers la ZLECAf faciliterait les paiements transfrontaliers et la levée de capitaux. Une standardisation des règles de cotation, de liquidité et de supervision bancaire permettrait de renforcer la confiance des investisseurs et d'attirer davantage de capitaux.
Il est également crucial d'améliorer la connectivité entre les bourses africaines. L'AELP pourrait bénéficier d'une augmentation des échanges de données en temps réel entre les bourses participantes. La création d'une infrastructure de compensation commune permettrait d'accélérer le règlement des transactions, d'augmenter le volume des échanges et d'améliorer la liquidité des marchés.
Le renforcement de la capacité opérationnelle du PAPSS est aussi essentiel. En élargissant le nombre de devises prises en charge et en facilitant l'accès aux banques locales, le système pourrait atteindre une masse critique d'utilisation. Cela permettrait de réduire la dépendance aux devises étrangères dans les transactions intra-africaines et de fluidifier les échanges commerciaux.
Enfin, l'implication des fintechs et des Telcos pourrait jouer un rôle clé dans l'intégration financière du continent. Les opérateurs mobiles, déjà bien implantés dans le domaine des paiements numériques, pourraient accélérer la pénétration des paiements transfrontaliers mobiles en intégrant leurs solutions au sein du PAPSS. Cette interopérabilité permettrait de simplifier les paiements en monnaie locale et de renforcer l'inclusion financière.
Si ces mesures sont mises en œuvre de manière coordonnée, l'Afrique pourrait créer un marché financier véritablement intégré, capable d'attirer des investisseurs internationaux, de fluidifier les échanges commerciaux et de renforcer la compétitivité du secteur financier à l'échelle mondiale.
La cybersécurité et la pénurie de talents sont identifiées comme des risques majeurs pour le secteur financier africain. Quelles stratégies recommandez-vous pour sécuriser les infrastructures financières tout en renforçant les compétences locales ?
La cybersécurité n'est plus un sujet secondaire, c'est aujourd'hui une priorité stratégique pour la stabilité du secteur financier africain. En combinant technologies avancées, formation, collaboration régionale et réglementation adaptée, les institutions financières peuvent mieux protéger leurs clients et renforcer la confiance dans l'écosystème numérique. Cette nécessité est d'autant plus pressante dans un contexte où les banques, les compagnies d'assurance et les fintechs sont de plus en plus connectées. L'adoption du cloud computing, des paiements instantanés et de l'open banking a certes amélioré l'efficacité des services, mais elle a également élargi la surface d'attaque pour les cybercriminels. Les fraudes, les ransomwares et les vols de données sensibles sont en forte hausse, exposant le système financier à des risques systémiques. Alors, quelles stratégies peuvent être mises en place pour renforcer la cybersécurité ? J'en vois cinq majeures :
- Renforcer la résilience des infrastructures numériques
Les institutions financières doivent moderniser leurs systèmes informatiques, en adoptant des solutions de sécurité avancées comme le chiffrement des données, l'authentification multifactorielle et l'intelligence artificielle pour détecter les anomalies.
Par exemple, certaines banques africaines commencent à utiliser l'IA pour surveiller les transactions en temps réel et identifier des comportements suspects avant qu'une fraude ne se produise.
- Former les employés et sensibiliser les clients
70 % des attaques informatiques exploitent des erreurs humaines, comme des mots de passe faibles ou des clics sur des liens frauduleux. Il est donc essentiel de former en continu les employés des institutions financières pour qu'ils sachent identifier et prévenir les menaces.
De plus, les banques doivent éduquer leurs clients sur les bonnes pratiques en matière de cybersécurité, notamment sur les fraudes par phishing et l'importance de l'authentification forte.
- Développer une collaboration régionale contre la cybercriminalité
Les cyberattaques ne connaissent pas de frontières. Il est crucial que les institutions financières, les régulateurs et les gouvernements africains travaillent ensemble pour mettre en place des centres de veille et de partage d'informations sur les menaces cybernétiques.
À cet égard, le Centre Africain de Cybersécurité basé en Côte d'Ivoire est un bon exemple d'initiative visant à renforcer la coopération entre les acteurs du secteur.
- Adopter des régulations adaptées et exigeantes
Il est essentiel d'avoir des réglementations solides qui imposent aux institutions financières de respecter des standards élevés en matière de cybersécurité. Des pays comme le Nigeria et le Kenya ont déjà adopté des lois spécifiques sur la protection des données et la lutte contre la cybercriminalité.
Cependant, la fragmentation réglementaire entre les différents pays africains complique encore la mise en place d'une stratégie harmonisée à l'échelle du continent.
- Investir dans la cyberassurance
Les cyberattaques peuvent causer des pertes financières massives. Pour se protéger, de plus en plus d'institutions financières souscrivent à des polices de cyberassurance, qui couvrent les coûts liés aux incidents de cybersécurité.
Actuellement, moins de 10 % des banques africaines disposent d'une couverture cyberrisque, ce qui montre l'énorme potentiel de ce marché en pleine croissance.
Enfin, quelles actions concrètes AFIS envisage-t-il de mener pour accompagner la transformation de l'industrie financière africaine dans les prochaines années ?
AFIS entend jouer un rôle de catalyseur dans la transformation de l'industrie financière africaine en facilitant le dialogue stratégique entre les régulateurs, les institutions financières et les investisseurs. Cette concertation est essentielle pour créer un cadre réglementaire harmonisé, renforcer la stabilité des marchés et stimuler la coopération transfrontalière.
AFIS prévoit également de lancer une série de Masterclass digitales spécialisées pour renforcer les compétences techniques des acteurs du secteur, en couvrant des sujets clés comme la titrisation, l'assurance-crédit, la finance islamique ou bien la gouvernance. Ces sessions permettront aux institutions financières africaines de mieux s'adapter aux transformations en cours.
Enfin, AFIS jouera un rôle de veille stratégique en publiant régulièrement des analyses approfondies sur l'évolution du secteur. Le Baromètre de l'Industrie Financière Africaine restera un outil clé pour évaluer la performance du marché, identifier les tendances émergentes et orienter les décisions stratégiques.
Jean Mermoz Konandi
Publié le 04/04/25 16:07
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