L'Afrique se trouve à l'orée d'une décennie charnière. Au moment où les besoins en infrastructures atteignent des niveaux sans précédent et où les marges de manœuvre financières se réduisent comme peau de chagrin, une évidence s'impose à la lecture du rapport Dynamiques du développement en Afrique 2025, réalisé par l'Union africaine. Le continent ne pourra transformer ses économies, ni absorber sa croissance démographique, ni s'insérer durablement dans les chaînes de valeur mondiales sans un bond historique dans la qualité, la quantité et la gouvernance de ses infrastructures. Plus encore, l'infrastructure devient le cœur stratégique de la politique économique africaine, son principal multiplicateur de productivité et, à terme, son levier de souveraineté.
Le diagnostic posé par le rapport est sans concession. Les besoins annuels d'investissement atteignent 155 milliards de dollars par an jusqu'en 2040, soit 5,6% du PIB (produit intérieur brut) du continent. C'est plus du double de l'effort demandé à l'Amérique latine et 5 fois celui estimé pour l'Asie. Malgré cette urgence, l'investissement réel plafonne à 83 milliards de dollars, révélant un déficit structurel qui handicape l'industrialisation, limite la compétitivité logistique et freine la transition numérique.
Le paradoxe est d'autant plus frappant que les infrastructures constituent l'un des domaines où chaque dollar investi génère les impacts les plus massifs. Les simulations produites montrent qu'un effort aligné sur les besoins pourrait faire doubler le PIB continental d'ici 2040, soit 2 830 milliards de dollars additionnels. Routes, chemins de fer, solaire et fibres optiques arrivent en tête des catégories les plus transformatrices, particulièrement lorsque ces projets s'inscrivent dans des corridors régionaux capables de fluidifier les échanges et de réduire les coûts logistiques. Le corridor de Lobito ou l'axe Abidjan-Lagos en sont des illustrations concrètes : les gains d'exportations y dépassent 11% et les effets d'entraînement sur les chaînes de valeur régionales sont immédiats.
Mais la trajectoire actuelle n'est pas soutenable. Les budgets nationaux suffoquent sous la charge de la dette. Le temps nécessaire pour rembourser les engagements publics est passé de 2,8 années au début de la décennie précédente à près de 5 années sur la période récente. Cette contrainte absorbe des ressources colossales. Les États africains dépensent aujourd'hui 7 fois plus pour le service de la dette que pour les infrastructures, un déséquilibre qui réduit la capacité d'investissement et fragilise la soutenabilité budgétaire.
Dans ce contexte, le coût du capital devient l'un des grands handicaps du continent. Le coût moyen pondéré du capital dépasse 13%, contre 10% en Asie et 8% dans l'OCDE. Les emprunts commerciaux atteignent même des taux de 18%, un fardeau qui renchérit chaque projet d'infrastructure et limite la bancabilité de centaines d'initiatives porteuses. Cet environnement financier, déjà restrictif, se durcit encore avec la contraction de l'aide publique au développement (APD). L'APD destinée à l'Afrique pourrait se réduire de 16 à 28% d'ici fin 2025, au moment même où les besoins explosent.
Ces obstacles n'annulent pas pour autant la possibilité d'un sursaut stratégique. Le rapport démontre qu'une meilleure gouvernance aurait un impact aussi important que l'augmentation des budgets. Jusqu'à 53% des ressources investies sont aujourd'hui perdues dans des inefficiences de planification, de coordination ou de maintenance. Des initiatives comme le PIDA Quality Label, la professionnalisation des unités PPP et la systématisation d'études de faisabilité rigoureuses peuvent permettre de transformer le paysage sans même augmenter la dépense publique. L'enjeu n'est donc pas uniquement financier. Il est aussi institutionnel et opérationnel.
La menace climatique ajoute une dimension supplémentaire. L'Afrique est la région où les infrastructures sont les plus exposées aux risques climatiques. Les pertes pour l'économie pourraient atteindre entre 10 et 11 milliards de dollars chaque année. Intégrer la résilience, les solutions fondées sur la nature et l'assurance climatique devient impératif pour éviter que les routes, les ports ou les réseaux électriques ne se dégradent plus vite qu'ils ne se construisent.
L'analyse ouvre néanmoins une perspective encourageante. Si les gouvernements renforcent leur gouvernance, diversifient les sources de financement, attirent davantage d'investissements privés et coordonnent les stratégies régionales, l'Afrique peut non seulement combler son déficit d'infrastructure mais surtout convertir cet effort en transformation structurelle durable. Le continent dispose d'une jeunesse abondante, d'une urbanisation rapide et d'un potentiel énergétique sans équivalent. Ce capital ne pourra produire ses effets que s'il repose sur une base solide.
Dr Ange Ponou
Publié le 25/11/25 19:27


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