Arnaud FLORIS/Bpifrance : ‘’Notre ambition, le co-investissement entre entreprises africaines et françaises’’

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Arnaud FLORIS, directeur Afrique de l'Ouest et du Centre de Bpifrance: 

Notre ambition est de démultiplier le co-investissement entre entreprises africaines et françaises

Fin connaisseur du continent, le Directeur Afrique de l'Ouest et du Centre de Bpifrance, Arnaud Floris, a un lien fort avec l'Afrique puisqu'il y a passé toute sa scolarité, de Kinshasa à Dakar, en passant par Ouagadougou et Abidjan. Le diplôme du baccalauréat en poche, obtenu dans le pays de la Teranga, il poursuit ses études en France et se spécialise en économie.

En janvier 2011, après une première expérience entrepreneuriale, il intègre la Banque Africaine de Développement (BAD), où il va évoluer pendant neuf ans, dont six au sein du département du Développement du secteur financier où il était chargé des sujets d'investissements institutionnels, en lien avec les fonds souverains, Caisses de Dépôts et fonds de pension africains.

En 2019, il cofonde depuis Abidjan l'Institut AFRI Convergences, un laboratoire d'idées consacré au renouveau des relations Afrique-Europe.

En avril 2020, Arnaud Floris rejoint Bpifrance pour développer les activités multi-métiers à l'échelle de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique Centrale. M. Floris revient dans cette Interview exclusive sur l'ambition de Bpifrance sur le continent, les solutions proposées aux entreprises françaises pour y réussir leur développement, et livre sa vision sur le climat des affaires en Afrique de l'Ouest. Interview.

 

Nous connaissons la mission de Bpifrance, qui œuvre principalement dans l'écosystème entrepreneurial en France. Aujourd'hui quels sont les enjeux et les ambitions de Bpifrance en Afrique ?

La grande priorité est d'encourager et d'accompagner l'internationalisation des startups, TPE, PME et ETI françaises, en particulier en Afrique. Comme vous pouvez le constater, depuis 2 ans, le chapitre africain de Bpifrance est de plus en plus important, en écho au désir de rapprochement et d'ambitions partagées entre entrepreneurs africains et français. Notre force est notamment de pouvoir capitaliser sur un réseau de 50 directions régionales aux quatre coins de la France, en proximité des entrepreneurs. C'est une grande valeur ajoutée à l'international, car cela nous permet, aux côtés de l'ensemble des acteurs de la Team France Export[1], d'être l'interface avec l'économie française, au plus près des territoires et en ligne directe avec nos exportateurs.

Et notre ambition est, en quelque sorte, de créer du désir autour des atouts économiques du continent africain. Comment ? En dé risquant la lecture du continent africain, afin de permettre de mieux appréhender les nouvelles réalités économiques du continent.

Les deux années qui viennent de s'écouler ont particulièrement encouragé, dans de nombreux pays, une véritable prise de conscience politique de la nécessité d'accélérer la diversification du tissu économique. De cette diversification, il en est question depuis longtemps, mais il semble que la pandémie et plus récemment encore, le conflit en Ukraine ait considérablement accentué la dynamique. Partout, cette volonté politique s'accompagne d'une capacité d'exécution solide, guidée par des gouvernements de plus en plus orientés vers le secteur privé, avec des équipes qui en sont-elles même issues, qui ont à cœur de faire évoluer les choses. Je pense qu'il s'agit là d'une véritable évolution. Mieux encore, un nombre croissant d'États font le choix d'encourager davantage l'entreprenariat, notamment des jeunes et des femmes, ce qui libère de plus en plus les énergies et le potentiel d'innovation, comme c'est par exemple le cas au Sénégal, au Ghana et en Côte d'Ivoire.

C'est désormais ça la nouvelle réalité. Une réalité où il est question d'encourager la transformation des matières premières, des richesses agricoles (coton, cacao, café, anacardes, noix de cajou…) et de développer l'agro-industrie. Une réalité qui s'inscrit dans une dynamique plus globale alliant volonté d'industrialisation par le commerce, diversification du tissu productif, et amélioration de l'environnement des affaires afin d'accroitre la fluidité et l'attractivité des économies. Une réalité porteuse d'opportunités prometteuses pour les entreprises françaises, désireuses d'inscrire leur action dans le temps long. Tout cela, c'est une dynamique dont on mesure l'énergie et que nous accompagnons pleinement, en écho au travail accompli sur le territoire national depuis bientôt dix ans.

Ces nouvelles réalités constituent les bases de ce New Deal des Entrepreneurs que nous portons partout sur le continent, par un dispositif déployé localement au travers de nos 4 bureaux régionaux, dans le réseau de directions régionales en France et au siège à Paris. En pratique, notre action s'inscrit dans une logique de connexions des acteurs et de financement des courants d'affaires entre entreprises françaises et leurs partenaires, en collaboration et en complémentarité avec l'ensemble des opérateurs institutionnels et privés français et européens présents. Nous œuvrons également pour partager l'expérience et l'expertise acquise en France en matière de financement, d'investissement, de garantie, d'accompagnement et de soutien à l'innovation ; ce qui permet d'encourager la création d'outils d'intervention dédiés aux start-ups, TPE et PME africaines. Nous travaillons ainsi étroitement avec plusieurs banques publiques ou privées et accompagnons les pouvoirs publics dans plusieurs pays.

C'est d'ailleurs en support à ce New Deal que s'est déroulée à Abidjan, en juin 2021, la première édition d'Inspire & Connect Africa, premier événement d'envergure organisé par Bpifrance à l'international, contribuant précisément à la mise en œuvre d'un nouveau récit entrepreneurial de part et d'autre de la méditerranée. Cela aux côtés d'autres initiatives récemment lancées par Bpifrance, à l'instar du podcast " Afrique Résonance ", qui donne la parole chaque mois à des personnalités inspirantes, permettant de toucher un public large : près de 180 000 personnes sur l'année écoulée.

Notre volonté demeure inchangée : contribuer davantage au développement du co-entrepreneuriat entre l'Afrique, la France et l'Europe, permettre la co-industrialisation, faciliter le co-investissement, le co-financement, la co-innovation et les partenariats.

En 2022, Bpifrance accélère. Notre volonté demeure inchangée : contribuer davantage au développement du co-entrepreneuriat entre l'Afrique, la France et l'Europe, permettre la co-industrialisation, faciliter le co-investissement, le co-financement, la co-innovation et les partenariats ; et ainsi contribuer, aux côtés de toute l'équipe de France, à l'effort de diplomatie économique dans ce continent d'avenir.

 

Vous mentionnez l'équipe de France, concrètement, comment collaborez-vous avec Business France, l'agence nationale chargée du développement international des entreprises françaises ?

Notre action est pleinement complémentaire. Partout, nous travaillons en étroite collaboration, ce qui permet de développer une double culture de l'accompagnement et du financement au sein de l'écosystème public de soutien à l'internationalisation de l'économie française. Le déploiement récent de nos collaborateurs en Afrique s'est effectué en miroir de celui des équipes de Business France en France au sein de nos directions régionales. Nous venons d'ailleurs de renouveler la Convention triennale qui nous lie, confirmant la volonté de renforcer plus encore ce partenariat vieux de 10 ans déjà.  

Notre réussite commune repose effectivement sur cette forte complémentarité, qui, pour schématiser, s'appuie respectivement sur une expertise accompagnement chez Business France, permettant à nos exportateurs de mieux prospecter leurs marchés, et une expertise financement et garantie chez Bpifrance permettant à ces derniers de sécuriser les marchés. Cela avec l'ambition partagée d'offrir un continuum de solutions d'exception au service de l'internationalisation de nos TPE/PME.  

Sur le continent, avec l'ensemble de la Team France Export, nous avons aujourd'hui la possibilité unique de co-construire un récit moderne du commerce international français.

Sur le continent, avec l'ensemble de la Team France Export, nous avons aujourd'hui la possibilité unique de co-construire un récit moderne du commerce international français. Cela se joue notamment en activant davantage la marque France, et en contribuant à l'amélioration de la reconnaissance sociale des entreprises françaises à l'international, dans une logique de connexion des acteurs et de financement des courants d'affaires, en étroite collaboration avec l'ensemble des opérateurs institutionnels et privés français et européens présents.

 

Avec quelles solutions financières et non-financières accompagnez-vous cette stratégie ?

S'agissant du financement du commerce extérieur, nous disposons de plusieurs outils pour permettre aux entreprises françaises de se projeter et de réussir sur le continent ; et au travers elles, tous leurs partenaires. Ces outils complètent des dispositifs bien établis tels que ceux pilotés par Proparco, avec qui nous articulons davantage notre action, tout comme avec le groupe AFD.

Notre gamme de solutions est composée de garantie à l'export, dont l'assurance prospection[2], des outils de Prêt Croissance International[3], de Garantie de Projets Stratégiques[4] et de Garantie de Projet International[5], qui favorisent le co-développement de projets en Afrique entre secteurs privés français et africains, en complément de l'activité de crédit-export, sur laquelle je voudrais m'attarder.

Avec cette solution de crédit et ses deux formules que sont le crédit acheteur ou le rachat de crédit fournisseur, nous rendons possible un crédit à une entreprise africaine qui souhaiterait se développer en s'équipant auprès de fournisseurs français, pour des tickets allant de 1 à 25M€, ou de les co-financer pour les tickets allant de 25M€ à 100M€. Nous intervenons en complémentarité du marché tant auprès de donneurs d'ordre privés que publics.

Ce métier du financement export a connu en Afrique une croissance significative depuis son lancement en 2015, porté par une forte demande, car il ouvre par exemple la possibilité à une entreprise africaine d'acquérir une chaîne de production industrielle, financée à des taux équivalents aux taux d'accès en Europe et modulée par une garantie publique, une assurance-crédit que nous gérons pour le compte de l'État français dans une filiale dédiée Bpifrance Assurance Export, et cela au titre du transfert des garanties publiques de Coface à Bpifrance.

Sur le segment des PME-ETI, l'Afrique est effectivement le continent privilégié de conclusion des marchés à l'export français. Nous nous attachons particulièrement à ce que chacune des opérations financées contribuent à l'industrialisation du continent et soient porteur de sens et d'impact. Nous développons d'ailleurs depuis peu une activité de financement de projets sans recours, ce qui ouvre la voie à de belles perspectives de croissance, tant les besoins en la matière sont grands.

Par ailleurs, nous encourageons l'internationalisation des entrepreneurs français sur le continent via l'organisation de missions internationales, qui facilitent le développement commercial par de la mise en relation, de la formation, des conseils en lien opérationnel avec la Team France Export, et notamment Business France.

Nous renforçons plus encore ce volet chez Bpifrance, avec la création d'un programme d'accélération de PME et ETI à grand succès dédié au continent : l'accélérateur Afrique. Nous développons également un label reliant les deux continents à travers ses diasporas : le PASS Africa, déployé en étroite collaboration avec le Conseil Présidentiel pour l'Afrique (CPA) pour soutenir et mettre en valeur les entrepreneurs issus notamment de la diaspora africaine en France.

Enfin, pour conclure, Bpifrance soutient un développement économique durable en s'appuyant sur le capital investissement notamment via son fonds Averroès Africa co-détenu avec Proparco et dédié aux PME africaines, la mise en place d'un partenariat de co-investissement sur le continent avec Mubadala, l'un des fonds souverains Emirati, et la souscription à des Fonds Franco-Africains (d'investissement dans des entreprises françaises ayant un projet de développement en Afrique), ou via du co-investissement aux côtés de PME ou ETI françaises. Nous avons déjà investi près de 150 millions d'euros dans des fonds d'investissements panafricains (notamment avec AfricInvest et le fonds Averroés) qui ont permis avec l'effet de levier de nourrir plus de 1,5 milliard d'euros de financements en fonds propres, dans plus de 150 PME et ETI africaine.

 

Quel a été le moteur à l'origine de la création d'Inspire & Connect Africa, dont vous avez organisé la première édition à Abidjan le 2 juin 2021 ?

Toute l'ambition est de proposer de nouvelles clefs de lecture du continent africain, région par région, afin de permettre de mieux appréhender la réalité des entrepreneurs et les enjeux du continent. Pour cela, il était capital pour nous de concevoir un événement régionalisé qui donne la parole à celles et ceux qui font l'actualité économique et financière africaine. C'est toute la philosophie d'Inspire & Connect, qui se retrouve dans le nom, avec l'association de deux verbes forts. Inspirer d'une part, puis connecter avec les savoir-faire de part et d'autre. Il s'agit d'un moment unique où des entrepreneurs s'inspirent des interventions des uns et des autres, à travers des débats, sur un plateau télévisé, dans le corner de l'innovation ou en écoutant les keynotes et les panels proposés, dans la matinée. Cette première édition, dédiée à l'Afrique de l'Ouest, a été l'occasion de mettre en valeur les entrepreneurs et chefs d'entreprises de l'industrie, de la tech, des industries culturelles et créatives, de la ville durable et du sport, de part et d'autre de la Méditerranée. Un premier événement très concluant, avec plus de 600 participants, 130 entreprises ouest-africaines, et 110 TPE/PME/ETI françaises. Au total, l'évènement a permis plus de 3000 connexions business sur les différents espaces, autour de 75 speakers et d'une forte couverture médiatique.

Toute l'ambition est de proposer de nouvelles clefs de lecture du continent africain, région par région, afin de permettre de mieux appréhender la réalité des entrepreneurs et les enjeux du continent.

Nous travaillons actuellement, et nous en sommes très heureux, à l'organisation de la deuxième édition, qui aura pour périmètre l'Afrique du Nord et la Méditerranée : Inspire & Connect Méditerranée (ICM). L'événement sera organisé début juillet à Casablanca et permettra de valoriser l'audace et la prise de risque des entrepreneurs afin d'amplifier l'esprit d'entreprendre des deux rives.

 

Quelle est votre vision sur le climat des affaires et les opportunités en Afrique de l'Ouest?

Les lignes bougent partout dans la région. Je peux en témoigner parce que j'y vie depuis toujours et me déplace régulièrement dans l'ensemble des pays.

C'est une région aux multiples opportunités d'affaires, mais également d'une grande richesse humaine et culturelle, de Dakar à Lagos, d'Abuja à Abidjan. Une région singulière, vibrante, riche de ses communautés multiples. Une région avec des économies résilientes, qui ont résisté à la crise bien mieux qu'ailleurs grâce à des fondamentaux solides : une démographie dynamique permettant de bénéficier d'une forte intensité de main d'œuvre, une urbanisation croissante permettant de démultiplier les infrastructures et les services, des marchés intérieurs et une classe moyenne en plein essor, des évolutions numériques et technologiques à haute valeur ajoutée. Si la crise sanitaire a plongé le monde dans une récession économique inédite, plusieurs pays de la région sont parvenus à rester dans le vert, à l'instar de la Côte d'Ivoire, du Bénin et de la Guinée, qui ont fait partie des 10 économies d'Afrique aux taux de croissance les plus élevés en 2020, au plus fort de la pandémie.

La Côte d'Ivoire, en particulier, a été proactive avec, en novembre 2020, la première émission d'eurobond d'Afrique subsaharienne à un taux historiquement bas. Par ailleurs, la crise en Ukraine semble, à ce stade, avoir peu de répercussion sur les économies de la région, bien que l'inflation alimentaire et énergétique soit en nette progression. Ce contexte peut accroitre certaines fragilités, notamment au Ghana et au Burkina Faso, mais les perspectives de croissance sont dans l'ensemble peu affectées, à court comme à moyen terme, avec des économies qui pourraient tirer parti de prix mondiaux plus élevés.

Ce que je constate surtout, c'est qu'au plan sociologique, l'Afrique de l'Ouest est en pleine transition, avec une jeunesse à la créativité débordante et un fort désir d'entreprendre. Celui des milliers d'entrepreneurs, de tout âge, qui, chaque jour construisent l'avenir : Startuppers, dirigeants et citoyens engagés. En Côte d'Ivoire seulement, le nombre d'entreprises annuellement créées est par exemple passé de 2.775 en 2013 à 16.120 en 2020 soit une augmentation de plus de 480% en l'espace de 7 ans !

Plusieurs États de la région ont amorcé une restructuration de leurs économies et présentent de très belles opportunités pour les investisseurs, principalement en raison de leur potentiel de croissance mais aussi et surtout l'amélioration de l'environnement des affaires. Le rapport Doing Business de la Banque Mondiale pointait régulièrement le nombre important de réformes mises en œuvre en Afrique de l'Ouest pour améliorer le climat des affaires. Le Togo et le Nigéria se classaient ainsi régulièrement dans le top 10 des pays les plus réformateurs en ce sens.

L'agro-transformation et l'agro-industrie sont des secteurs d'avenir dans la région, comme précédemment évoqué, mais d'autres secteurs émergent à la faveur de l'essor des classes moyennes et de la révolution numérique : le tourisme, les fin techs, les énergies renouvelables, les industries culturelles et créatives, le commerce de détail… Autant d'opportunités business à portée des PME françaises. 

Tout cela c'est une réalité dont on mesure le dynamisme ; et qui se construit sur l'audace. C'est le moteur de cette nouvelle dynamique dans laquelle nous sommes durablement engagés.

 

[1] La Team France Export est le dispositif public d'accompagnement des entreprises à l'international structuré autour de Business France, des régions, des Chambres de Commerce et d'Industrie et de Bpifrance

[2] Avance de trésorerie pour financer les dépenses de prospection des entreprises

[3] Prêt sans garantie pour les dépenses liées au financement de la croissance des entreprises à l'international

[4] Vise à couvrir les contrats commerciaux ou les contrats de prêts qui contribuent à sécuriser ou développer des secteurs clefs de l'économie française.

[5] Couverture des capitaux propres investis par une entreprise dans sa filiale à l'étranger contre le risque de défaillance économique

Ismail Ben Sassi

La Rédaction

Publié le 30/05/22 12:06

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