Le secteur agro-industriel constitue un pilier fondamental de l'économie ivoirienne, contribuant à environ 20 à 25% du produit intérieur brut (PIB) et employant près de 70% de la main-d'œuvre nationale. Parmi les filières agricoles, celle du café occupe une place stratégique, bien que moins dominante que le cacao, en tant que source vitale de revenus pour des milliers de petits producteurs.
En 2023, la Côte d'Ivoire, 13e producteur mondial, a enregistré une production d'environ 1,95 million de sacs de 60 kg de café, majoritairement du Robusta, représentant environ 7% des recettes agricoles à l'export. Pourtant, cette performance s'inscrit dans un contexte de forte instabilité économique mondiale. La guerre en Ukraine, les tensions géopolitiques et les perturbations des chaînes logistiques ont engendré une inflation globale, dont les répercussions n'épargnent pas la filière café.
Un héritage agricole sous tension
Introduit au XIXe siècle par les missionnaires français, le café a propulsé la Côte d'Ivoire au rang de troisième producteur mondial dans les années 1970-1980. Bien que cette position ait depuis reculé, du fait de la concurrence vietnamienne et de crises politiques internes, la filière demeure un levier socio-économique majeur. En 2023, elle mobilisait encore 40% de la main-d'œuvre agricole, notamment dans des zones telles que Man et Divo, et contribuait positivement à la balance commerciale à travers des exportations dirigées vers des marchés clés comme les Pays-Bas (11,8%) et les États-Unis (7,9%).
Inflation : un choc exogène pour la production
Si l'inflation reste modérée au niveau national (4,4% en 2023, avec une prévision de 3% en 2024), elle est largement alimentée par des facteurs extérieurs. Le conflit entre Kiev et Moscou, en particulier, a entraîné une hausse marquée des coûts des intrants agricoles, entre 2022 et 2024. À cela se sont ajoutées des conditions climatiques défavorables, notamment la sécheresse de 2023-2024, impactant sévèrement les rendements.
Les producteurs ivoiriens ont vu le coût des engrais chimiques et du carburant augmenter de 20 à 30%, ce qui a contraint beaucoup d'entre eux à réduire l'utilisation d'intrants. Résultat, des rendements en baisse, sur fond d'une production mondiale de café estimée à 169,8 millions de sacs en 2023-2024, tandis que la Côte d'Ivoire enregistrait un léger repli annuel de 0,1%.
Par ailleurs, l'inflation affecte la consommation locale. Le pouvoir d'achat des ménages en berne limite la demande pour les produits transformés localement, qui restent marginalisés (à peine 1 000 tonnes par an). Sur le marché international, les producteurs ne profitent qu'imparfaitement de la flambée des prix du Robusta (+70% en 2024), du fait du système de prix bord champ fixé par les autorités, passé de 900 à 1 500 FCFA/kg entre 2023 et 2025. Une hausse salutaire, mais insuffisante face à la volatilité des charges de production.
Les coûts logistiques en hausse, notamment ceux liés au transport maritime, compliquent davantage l'accès aux marchés extérieurs. Les conditions climatiques, quant à elles, fragilisent davantage les exploitations. À Man, localité montagneuse de l'ouest ivoirien, les sécheresses prolongées ont suscité la colère de plus de 500 producteurs regroupés dans l'Association des producteurs du Mont Ouest, qui dénoncent des prix bord champ encore trop faibles, menaçant de recourir à la grève.
Des stratégies de résilience qui se structurent
Face à ces défis, les caféiculteurs multiplient les solutions alternatives. Le recours à l'agro-écologie (compost organique, agroforesterie, reforestation) se répand, réduisant la dépendance aux intrants importés. Le Centre national de recherche agronomique (CNRA) appuie également la filière avec des variétés plus résistantes au stress climatique.
La transformation locale reste toutefois embryonnaire. Le gouvernement mise sur la valorisation en aval de la chaîne, via la promotion du café soluble, des mélanges torréfiés, et à travers des événements comme la , qui vise notamment à valoriser la production, la transformation et la consommation du café.
Pour limiter la dépendance aux marchés traditionnels, la Côte d'Ivoire explore de nouveaux débouchés en Asie et au Moyen-Orient. En parallèle, les coopératives s'emploient à renforcer les circuits courts pour dynamiser la consommation locale.
Soutien public, technologie et partenariat
Le rôle du Conseil café-cacao (CCC) s'avère crucial. Outre la stabilisation du prix bord champ à 1 500 FCFA/kg pour la campagne 2024-2025, des efforts budgétaires ont été consentis par l'État, avec 17 milliards FCFA débloqués en 2022 pour amortir les effets de la Covid-19 et de l'inflation. Ces appuis s'accompagnent de partenariats public-privé visant à moderniser les infrastructures agricoles et logistiques.
Le numérique devient également un allié. Des applications mobiles permettent aux producteurs de suivre les prix en temps réel et de mieux planifier leurs ventes. La FAO soutient de son côté des formations à l'agriculture climato-résiliente, comme l'irrigation goutte-à-goutte, pour améliorer la productivité.
Entre défis structurels et opportunités nouvelles
À court terme, le renforcement des subventions sur les intrants et l'amélioration des infrastructures logistiques s'imposent pour alléger les pressions sur les producteurs.
À plus long terme, la recherche et développement doit permettre de produire des variétés plus résilientes, tout en renforçant la capacité nationale de transformation pour capter davantage de valeur ajoutée.
La Côte d'Ivoire devra également intensifier sa collaboration avec des institutions comme la FAO et l'Organisation internationale du café (OIC), pour bénéficier de financements destinés à l'adaptation climatique. La promotion des certifications durables (par exemple, le Rainforest Alliance) pourrait ouvrir l'accès à des marchés plus rémunérateurs.
Enfin, l'intégration des Objectifs de développement durable (ODD), notamment en matière de déforestation, d'inclusion des jeunes et des femmes, est essentielle à la durabilité de la filière.
Au total, malgré les pressions inflationnistes et les défis environnementaux, la filière café en Côte d'Ivoire montre une capacité d'adaptation notable. Soutenue par des politiques publiques volontaristes, des initiatives paysannes et des innovations technologiques, elle peut devenir un modèle de résilience économique et climatique en Afrique de l'Ouest.
On observe également l'émergence d'initiatives privées prometteuses visant à dynamiser la filière café en Côte d'Ivoire. Parmi elles, Ivory Blue, première marque ivoirienne d'expresso, se distingue par le lancement de capsules ‘'Espresso Pure Origine'', élaborées à partir de robusta soigneusement sélectionné. L'ambition affichée est de valoriser une identité caféière nationale sur les marchés locaux comme internationaux.
Dans cette même dynamique, l'entreprise Ivoire Torréfaction Café JAG, implantée à Vridi, œuvre à la transformation du café de brousse en un produit haut de gamme. Elle propose un café moulu de qualité supérieure, destiné à un réseau croissant de revendeurs aussi bien en Côte d'Ivoire qu'à l'échelle régionale, notamment au Sénégal.
Parallèlement, l'usine NESCAFÉ, qui transforme le café vert ivoirien en café soluble, approvisionne l'ensemble du marché ouest-africain. Derrière cette implantation d'un géant multinational se dessine un rôle bien plus large : structurer la filière, créer des débouchés et stimuler la concurrence. Elle vient ainsi compléter le dynamisme des entrepreneurs ivoiriens et s'impose comme un maillon essentiel de l'écosystème du café.
L'avenir de ce secteur dépendra d'une mobilisation concertée des acteurs (producteurs, État, chercheurs, partenaires techniques et privés). La Côte d'Ivoire a l'opportunité de faire de sa filière café un symbole de transformation agricole réussie.
Dr Ange Ponou
Publié le 13/08/25 17:12