La crise de la Covid-19 a bien mis a nu l'un des revers d'une mondialisation qui a poussé les économies à rechercher l'efficacité, à laisser le soin aux autres de produire les biens pour lesquels elles n'avaient pas un avantage comparatif certain.
Mais la crise sanitaire et la guerre en Ukraine sont venues rappeler brutalement à tous les limites de cette approche avec le bouleversement des chaînes d'approvisionnement, alors que les grands centres de production avaient tendance à se replier sur eux-mêmes, privilégiant la couverture de leurs propres besoins. L'ouverture au monde, la libération des échanges a ainsi fait réapparaître les logiques de souveraineté économique comme levier pour faire face aux chocs externes.
La question a été au cœur de la 4ème édition du Choiseul Business Africa qui a tenu pour la deuxième années consécutives ses assises à Casablanca, au Maroc. Une rencontre qui a réuni environ 800 dirigeants d'entreprises venus d'une trentaine de pays pour nourrir la réflexion mais aussi explorer de nouveaux partenariats d'affaires.
Pour une région comme l'Afrique fortement extravertie, la sanction immédiate de la Covid-19 et de la crise en Ukraine est une inflation galopante qui reste persistante du fait des difficultés d'approvisionnement en biens, mais plus, le continent a pu se rendre de sa grande vulnérabilité aux crises internationales.
" De par son potentiel, le continent est peut-être le plus à même de construire une économie véritablement résiliente et dont les approvisionnements principaux ne puissent être menacés par des chocs exogènes ", a souligné dans son discours d'ouverture Pascal Lorot, président de l'Institut Choiseul.
" L'Afrique, a-t-il vivement exhorté, se doit aujourd'hui de définir une stratégie de résilience qui lui permettra de faire à face aux chocs exogènes quels qu'ils soient, et il y en aura dans le monde en permanence ".
La souveraineté économique recherchée doit se construire à plusieurs niveaux : alimentaire, sanitaire, financier, technologique, logistique, etc. L'Afrique ne produit pas suffisamment ni pour se nourrir, ni pour se soigner, dépend fortement de l'extérieur pour se financer, à la fois pour les Etats et les investissements productifs, ne développe pas les technologies dont elle a besoin pour accélérer son développement, et au final, reste le maillon faible d'une économie mondiale qui continue de prospérer.
" Avec 17% de la population mondiale, l'Afrique attire moins de 1% des capitaux au niveau mondial " ; et " l'Inde attire 8 à 10 fois plus d'investissements dans la technologie que l'Afrique ", a entre autres relevé Fatouma Ba fondatrice de Janngo Capital pour présenter le tableau du continent, lors du panel d'ouverture.
" Dans une région qui concentre les deux tiers des terres arables, nous en sommes à une facture d'importation alimentaires de 35 milliards de dollars chaque année " a pour sa part décrit Mehdi Tazi, Vice-Président de la CGEM, le patronat marocain.
L'Afrique doit intégrer les chaînes de valeur mondiales
L'une des voies qui a émergé pour construire cette souveraineté économique tant recherchée est de parvenir à ‘'une meilleure intégration dans les chaînes de valeur mondiales ", ce qui impose une ‘'meilleure structuration'' des économies, fait valoir Shegun BAKARI, Ministre des Affaires Étrangères ministre du Bénin. " Le Maroc est un exemple en termes de parcours d'intégration dans les chaînes de valeur automobile dans le monde. Il y a 15 ans, le secteur automobile marocain était balbutiant, naisant ; aujourd'hui, le Maroc est devenu l'une des destinations pour le secteur automobile mondiale, répondant au besoin des marchés en Occident et en Afrique''.
Cette approche peut servir de modèle au développement d'autres secteurs économiques avec pour finalité de ‘'créer de la valeur'' sur le continent. Un objectif qui ne peut se soustraire à la grande nécessité de ‘'la mise en œuvre de la ZLECAF, qui permet d'exploiter véritablement le potentiel du continent et qui donne son sens à la souveraineté économique ; a estimé le ministre béninois.
" Il ne faudra plus que l'on se retrouve dans une situation où la noix de cajou de Côte d'Ivoire soit exportée brute vers le Vietnam qui la transforme et la revend au prix fort au Maroc ", a souligné, sous les acclamations d'approbation de l'assemblée, Chakib ALJ, président de CGEM.
Si l'intégration aux chaînes de valeur mondiale est à promouvoir, la création de chaînes de valeur panafricaines est surtout un grand vœu exprimé qui aura aussi à instaurer un cercle vertueux de création de richesse sur le continent. L'intégration économique et donc la ZLECAF, mais aussi soutenir l'émergence de champions nationaux et régionaux, de grands acteurs capables d'accompagner les économies et de porter la voie du continent à l'échelle mondiale. Le cas du groupe Ecobank ou du marocain Bank Of Africain ont été présentés comme des exemples qui doivent fleurir dans la région, et dans ce cas-là, apporter les financements dans les économies ont tant besoin.
" Il faut encourager l'émergence de marchés de dette, avoir des acteurs bancaires capables d'aider et de financer l'économie. C'est absolument majeur. Sans cela, tous les efforts qui peuvent être déployés ne mèneront à rien puisqu'ils ne pourront se matérialiser " a renchéri Anne-Laure Kiechel, fondatrice et présidente de Global Sovereign Advisory, un cabinet de conseil qui accompagne des Etats.
Le Maroc, un exemple qui peut inspirer l'Afrique
Le choix du Maroc pour ces assises peut bien se comprendre relativement à la thématique pour une économie qui a su opérer une transformation remarquable et qui fait office d'exemple à suivre. Le royaume, qui est sortie de la logique rentière a développé un secteur industriel tournée vers l'exportation et qui approvisionne les marchés mondiaux et africains. Une région dont il est aujourd'hui ‘'le deuxième investisseur étranger'' avec des volumes d'investissements passés de 100 millions de dollars en 2014 à 800 millions de dollars en 2022, a rappelé Chakib ALJ.
Avec ses grands groupes qui investissent massivement sur le continent, ‘'le Maroc est résolument tourné vers la coopération sud-sud'', a-t-il laissé entendre. Un cas concret de la réussite du royaume : alors que l'Afrique importe 70 à 80% de ses médicaments, le Maroc parvient à couvrir localement 80% de ses besoins.
Envoyé spécial à Casablanca, Maroc
Jean Mermoz Konandi
Publié le 23/11/23 11:47


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