Côte d'Ivoire - La noix de cajou, pilier économique du Tchologo

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Introduite en Côte d'Ivoire comme alternative à la déforestation, la culture de l'anacarde s'est imposée ces dernières années comme un levier économique de premier plan, en particulier dans les régions du nord. La région de Ferkessédougou, située à la frontière du Mali et du Burkina Faso, illustre à elle seule le rôle stratégique joué par cette filière.

D'après les chiffres du ministère de l'Agriculture, la production nationale de noix de cajou est passée de 19 000 tonnes en 1990 à environ 45 000 tonnes en 2012. Ces volumes ont permis de générer quelque 170 milliards de francs CFA de recettes d'exportation. Plus de 200 000 producteurs vivent directement de cette culture, tandis que plus de deux millions de personnes en tirent des revenus indirects.

Mais comment la filière anacarde s'est-elle réellement métamorphosée dans le Tchologo depuis la réforme de 2013 ? Quel est l'impact réel sur les producteurs et sur le tissu économique local ? Et surtout, quelles perspectives se dessinent dans un contexte mondial chahuté ?

Une réforme structurante en 2013

Avant cette réforme, la commercialisation de l'anacarde dans le Tchologo était encore marginale. Les premières ventes dans les années 1990 se faisaient à prix bord champ très fluctuants, sans encadrement véritable. Face à cette instabilité, le gouvernement a adopté en février 2013 une réforme ambitieuse de la filière, avec pour objectif de stimuler la production, améliorer la qualité et assurer la durabilité de la culture.

Les effets n'ont pas tardé. Selon Eboua Jacques N'vodjo, directeur régional de l'Agriculture, les départements de Ferkessédougou, Kong et Ouangolodougou ont vu leur production croître rapidement entre 2014 et 2021, atteignant une moyenne annuelle de 30 000 tonnes. Cette progression s'est faite malgré une fuite partielle des récoltes vers le Burkina Faso, notamment à partir de la zone frontalière de Ouangolodougou.

Sur le terrain, les retombées ont été significatives pour les producteurs. Ouattara Mamadou et Coulibaly Jeremy, membres de la coopérative Denon de Togoniéré à Ferké, témoignent avoir connu de très bonnes campagnes entre 2015 et 2018. Ils évoquent une amélioration tangible de leurs conditions de vie : construction de logements en dur, scolarisation facilitée des enfants, acquisition de biens essentiels. Le constat est similaire dans la zone de Nambonkaha, le long de l'axe A4, où les réformes ont produit un impact identique sur les exploitants locaux.

À Kong, la création de la coopérative SOCADO-K en 2019 a permis de fédérer de nombreux producteurs autour d'une structure plus organisée. Dans toute la région, les anciens logements en banco ont peu à peu laissé place à des habitations modernes. Le Conseil du coton et de l'anacarde (CCA) a profité de cette dynamique pour lancer des programmes sociaux : installation de pompes villageoises, construction d'écoles, centres de santé, et réhabilitation d'infrastructures comme la cantine du lycée moderne de Ferkessédougou en 2021.

Un moteur économique local désormais incontournable

Jadis dominée par le coton, la mangue ou les cultures maraîchères, l'économie agricole du Tchologo a vu l'anacarde prendre progressivement la première place parmi les cultures de rente. Cette évolution a généré des retombées économiques majeures. À Ferkessédougou, de nombreux magasins spécialisés dans le bâtiment se sont implantés, tandis que les boutiques de produits phytosanitaires se sont multipliées à un rythme soutenu. Au grand marché de la ville, des commerçants comme Ousmane Bah, spécialisé dans la vente de motos, se félicitent de la croissance du chiffre d'affaires enregistrée entre 2015 et 2020.

À chaque ouverture de campagne, c'est tout un écosystème qui se met en mouvement. Les producteurs, les commerçants, les coopératives, les transporteurs et les usiniers s'activent dans un même élan. Dans la région, une formule revient souvent : " l'argent a circulé ", signe que la filière a réellement porté l'économie locale.

Une embellie menacée par la conjoncture mondiale

Mais depuis peu, cet élan s'essouffle. La pandémie de COVID-19, la baisse de la demande en provenance d'acheteurs clés comme l'Inde ou le Vietnam, et la contraction économique dans certains pays européens ont fragilisé la filière. Le prix bord champ, qui approchait les 800 FCFA à son apogée, a chuté à 275 FCFA en 2024.

Dans la zone de Tiépké, sur l'axe Ferké-Korhogo, le producteur Sekongo Ali alerte sur l'épuisement moral et financier des exploitants. Il estime que l'État doit intervenir pour protéger la filière, sous peine de voir de nombreux agriculteurs abandonner l'anacarde au profit de cultures maraîchères, aujourd'hui jugées plus rentables.

Interrogés sur leurs attentes, les producteurs expriment deux souhaits majeurs : un prix plancher bord champ comparable à celui du café-cacao, et l'installation d'unités de transformation industrielle dans la région afin de mieux valoriser la production locale.

Des engagements politiques pour relancer la filière

Le président du conseil d'administration du CCA, Ouattara Alain Blidia Hyacinthe, fils de la région, s'est voulu rassurant. Lors d'une cérémonie de remise de kits scolaires aux enfants de producteurs, le 20 octobre 2024, il a reconnu que la production du Tchologo avait baissé de 30 000 tonnes en 2023 à 20 000 tonnes en 2024. Mais il a affirmé que le Conseil continuerait d'accompagner les agriculteurs pour relever les défis structurels.

De son côté, le ministre d'État Kobenan Kouassi Adjoumani, en charge de l'Agriculture, a dévoilé le 23 septembre 2024 à Abidjan, à l'occasion d'un forum sur l'investissement dans la filière anacarde, un vaste programme de soutien qui s'étendra jusqu'en 2030.

Une filière qui résiste et qui inspire

Malgré les secousses conjoncturelles, l'anacarde demeure la culture de rente phare du Tchologo. Elle a remodelé le paysage économique, transformé des vies et permis à toute une région de rêver plus grand.

Aujourd'hui plus que jamais, le maintien de cette dynamique dépendra de la capacité des pouvoirs publics à consolider les acquis, à sécuriser les revenus des producteurs, et à valoriser la production par une industrialisation locale forte. Car derrière chaque noix récoltée, il y a un espoir à préserver.

Cet article a été rédigé dans le cadre de notre hors-série ''CÔTE D'IVOIRE 2010-2030 : D'une Décennie à une autre'' publié en février 2025 et disponible en version numérique via le lien.

La Rédaction

Publié le 26/05/25 17:29

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