Côte d'Ivoire: Quelles réformes fiscales pour renforcer et entretenir la dynamique économique ?

BRVMC0000000 - BRVMC
La BRVM Ouvre dans 13h48min

Par Dominique TATY, conseil Juridique et Fiscal

L'état des lieux de l'environnement fiscal est assez encourageant dans l'ensemble mais demeure contrasté au regard des tensions visibles entre les entreprises et l'administration fiscale. Ceci, dans un contexte où la perception de la pression fiscale n'est pas la même pour les uns et pour les autres.

Les entreprises continuent de se plaindre d'une trop grande pression fiscale, caractérisée disent-elles, par des charges fiscales élevées. Par ailleurs, les contrôles fiscaux ont été renforcés tant au niveau des grandes entreprises qu'à celui des moyennes, voire petites entreprises.

C'est lors de contrôles fiscaux que les relations se dégradent entre les entreprises et l'administration fiscale. Le droit de contrôle est une prérogative légale de l'administration fiscale et se présente comme la contrepartie de l'obligation déclarative.

Les contribuables, en effet, déterminent eux-mêmes leurs impôts et les déclarent. Il appartient donc à l'autorité fiscale d'effectuer des contrôles a posteriori pour s'assurer de l'exhaustivité et de la régularité de l'assiette ainsi que des montants d'impôts déclarés. Des plaintes récurrentes de multiples contrôles ou de rappels de droits disproportionnés sont dénoncés par les entreprises, donnant lieu à des contentieux qui se soldent souvent par des fermetures ou menaces de fermetures d'entreprises.

Pourtant, des progrès significatifs ont été relevés depuis une dizaine d'années dans les obligations déclaratives des entreprises. On peut en témoigner à travers le constat depuis une dizaine d'années de l'augmentation des recettes fiscales qui sont passées de 2 954 milliards FCFA en 2015 à 6 507 milliards de F CFA en 2023, soit une hausse de 120%. Cela prouve que la culture fiscale des entreprises, en général, et la constance des obligations fiscales déclaratives ont progressé en maturité et en spontanéité. L'administration fiscale s'est également mieux organisée depuis plus de deux décennies avec la création de directions et services fiscaux structurés, voire, décentralisés sur l'étendue du territoire.

A cela, il convient de rajouter les cadres de réformes fiscales qui ont été initiés à travers le dialogue Etat/ secteur privé, dont le premier et le plus important est la Commission de réforme fiscale (COMREF) créée par arrêté du 23 juin 2014. Cette commission paritaire était composée des administrations publiques et d'une multitude d'acteurs du secteur privé avec pour chef de fil le Patronat ivoirien (CGECI). Les réformes proposées par la COMREF ont été mises en œuvre grâce au cadre mis en place par le Comité de suivi des réformes fiscales (COSREF) né de l'Arrêté n°211/PM/CAB du 17 avril 2018 portant nomination des membres du Comité de suivi des réformes fiscales.

Ces cadres de réformes fiscales ont montré la volonté de l'Etat et du secteur privé de réformer en profondeur le système fiscal. Cependant, la pression des recettes fiscales sur les entreprises est venue bouleverser les relations entre l'administration fiscale et les entreprises du secteur privé.

En effet, les contraintes de financement du développement de l'Etat ont entraîné une augmentation du budget de l'Etat au fil des ans. Pour l'année 2024, ce budget était de 13 720 704 581 985 FCFA, permettant de fixer des objectifs de recouvrement de recettes fiscales aux régies fiscales et douanières. Il ne peut en être autrement si l'Etat veut financer ses ambitions de développement, étant noté que les ressources fiscales propres sont les premières qui viennent alimenter le budget de l'Etat. 

Dans un tel contexte, différents enjeux autour de la fiscalité s'invitent, désormais, dans les discussions entre l'Etat et le secteur privé, voire dans les échanges de plus en plus réguliers avec les bailleurs de fonds internationaux et les institutions financières de développement.

  1. Les enjeux fiscaux de l'environnement des affaires

La problématique du taux de pression fiscale

Le taux de pression fiscale de la Côte d'Ivoire a toujours été considéré tant par les Bailleurs de fonds internationaux que par l'Etat, lui-même, comme l'un des plus bas comparé à celui d'autres Etats d'Afrique ayant le même potentiel de développement. En 2023, ce taux était de 13,6% contre 14,4% en 2024. Cet indicateur macroéconomique détermine la capacité d'un pays à générer ses recettes fiscales par rapport à son produit intérieur brut.

Si d'un point de vue macroéconomique, la faiblesse du taux de pression fiscale peut s'expliquer par la non-performance du système fiscal, elle ne signifie pas que l'ensemble des acteurs économiques sont sous-imposés. Cela ne veut pas dire non plus que le système fiscal est compétitif pour les entreprises. Le rapport Doing Business-Paying taxes de l'année 2020 (sur la base des données de 2018) a révélé, malgré la faiblesse du taux de pression fiscale, que le taux de charge fiscale globale pour une entreprise de moyenne taille était de 50,1%. Cet indicateur signifie que l'entreprise type identifiée par ledit rapport acquitte des charges fiscales représentant 50,1% de son bénéfice brut d'exploitation (EBE).

Par ailleurs, une étude récente du secteur privé montre que le taux de charge fiscale des entreprises du secteur formel est très élevé et dépasse de loin la norme UEMOA sur le taux de pression fiscale, si l'on fait abstraction du secteur informel. La logique générale consistant à supposer que les entreprises sont sous-imposées n'est donc pas exacte. Si le taux de pression fiscale est considéré comme faible, il convient de rechercher l'explication à travers les nombreux défis auxquels notre environnement fiscal fait face. La fraude et le secteur informel constituent quelques-uns de ces défis.

La fraude et le secteur informel

La fraude et le secteur informel sont deux notions qui sont souvent mises ensemble mais elles correspondent, de fait, à des réalités complètement différentes.

La fraude fiscale exprime une volonté manifeste de se soustraire à ses obligations fiscales et peut concerner toutes sortes d'entreprises, grandes, moyennes ou petites. Le secteur informel, lui, peut s'exprimer en dehors de la fraude et correspond davantage au choix d'exercer ses activités sans se faire connaître des administrations publiques et, notamment, fiscales.

Les raisons de l'informalité sont complexes et nombreuses. Elles sont plusieurs, les entreprises PME, notamment, qui par peur de supporter des charges fiscales disproportionnées par rapport au niveau de leurs activités préfèrent fonctionner dans l'informalité. D'autres exercent leurs activités pour juste vivre ou survivre au jour le jour. Si la fraude fiscale doit être combattue pour accroître les recettes fiscales, le secteur informel, doit être encouragé à se formaliser pour contribuer ne serait-ce que modestement aux recettes fiscales.

Le secteur informel peut renfermer des activités importantes à travers des ramifications diverses. L'appréhension de la chaîne complète de ces entreprises informelles reste effectivement un défi, compte tenu de l'extrême mobilité et la souplesse des acteurs.

Pourtant, le jeu en vaut la chandelle, car si la fraude et le secteur informel alimentent les recettes fiscales, celles-ci peuvent s'accroître de manière conséquente et contribuer à relever le taux de pression fiscale.

Les enjeux de compétitivité du système fiscal et de l'environnement fiscal des affaires

La compétitivité est un enjeu important pour le développement du secteur privé. Un système fiscal non compétitif dissuade l'investissement et freine le développement des entreprises.

C'est pourquoi, les efforts doivent s'orienter d'abord vers la compétitivité.

Une économie doit offrir un cadre de compétitivité à ses entreprises et leur permettre de générer des richesses. C'est cette richesse qui a vocation à être partagée avec l'Etat qui recouvre sa quote-part sous forme d'impôts.

En l'absence de cette richesse, la pression exercée sur les entreprises en difficulté pour qu'elles s'acquittent de charges fiscales plus élevées nuit à leur trésorerie, les contraignant ainsi à réduire leurs activités et leurs investissements.

Chaque entreprise visant sa propre réalité financière, chacune évalue sa propre fragilité face à ses charges fiscales. Les grandes entreprises, même présentant une capacité financière plus grande, ont aussi des défis de financement plus grands. Elles doivent être à même de s'auto-financer ou de recourir à l'aide des sociétés mères. Une fiscalité qui taxe fortement et pénalise les entreprises qui se font refinancer par leurs maison-mères dissuade l'investissement étranger et la venue de devises étrangères.

Les PME, quant à elles, n'ont pas toujours accès à des financements bancaires pour disposer d'une trésorerie indispensable au fonds de roulement de leurs activités.

Dans un cas comme dans l'autre, toutes les entreprises doivent néanmoins intégrer aujourd'hui dans leurs stratégies financières, les rubriques nécessaires au paiement de certaines charges fiscales minimales, notamment, celles qui sont dues et recouvrables.

L'amélioration de l'environnement du contrôle fiscal n'est pas en reste. Un climat dans lequel le contentieux fiscal est soucieux de préserver à la fois les droits de l'Etat mais également ceux des contribuables participe à l'assainissement de l'environnement des affaires. La dégradation de l'environnement du contrôle fiscal est souvent décriée par les entreprises qui l'attribuent à la pression des objectifs de recettes fiscales qui pèse sur les régies financières.

L'autorité fiscale, dans son rôle, criant à la fraude fiscale et les entreprises dans le leur, dénonçant un harcèlement fiscal, il convient que les parties retrouvent une certaine objectivité dans leur relation. Il n'en reste pas moins qu'un environnement de contrôle fiscal considéré comme trop austère et sans recours pour les entreprises ne promeut pas l'attractivité d'une destination.

  1. Les avancées notables en matière de réforme fiscale et les défis à venir

Des réformes majeures déjà entreprises

Des réformes majeures ont été entreprises depuis la COMREF et sous la houlette du COSREF. L'une des plus importantes est la digitalisation des obligations fiscales déclaratives. Elle consiste à déclarer et régler ses impôts en ligne. La digitalisation a été mise en œuvre progressivement pour les grandes entreprises, les moyennes entreprises et même pour les PME avec une assistance, si celles-ci le souhaitent. La création de la plateforme SIGICI a tourné la page aux déclarations fiscales manuelles, fastidieuses que de nombreuses entreprises ont connu pendant des décennies. Cette plateforme nécessite des améliorations, bien entendu, mais reste un outil important pour une destination comme la Côte d'Ivoire qui aspire au rang des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Cette réforme a amélioré certains indices de l'environnement des affaires.

La mise en place d'un mécanisme efficace de remboursement des crédits de TVA est, également, sans doute l'une des plus importantes réformes fiscales bien qu'elle ait été initiée antérieurement à la COMREF. La création d'une Régie de remboursement des crédits de TVA et d'un Comité de suivi et de remboursement des crédits de TVA a fait ses preuves pendant une décennie mettant fin à une longue période antérieure où les crédits de TVA s'accumulaient d'année en année pour les entreprises. L'Etat et le secteur privé continuent de travailler à améliorer le remboursement des crédits de TVA dans les délais légaux, malgré les situations de crises conjoncturelles qui ralentissent parfois le rythme des remboursements. La mise en place de la Régie de remboursement des crédits de TVA a permis, notamment, de régler les problèmes de crédits de TVA des gros exportateurs, l'agro-industrie à vocation exportatrice notamment.

Des régimes de franchise de TVA par des attestations de TVA pour les entreprises minières et pétrolières ont été mises en place pour soutenir ces secteurs.

La fiscalité foncière a connu quelques aménagements positifs avec la réduction des droits d'enregistrement sur les cessions d'immeubles qui sont passés de 10% à 4%. 

L'instauration d'une amnistie fiscale pour les PME a été recommandée par la COMREF, elle a été mise en œuvre deux fois, avec les annexes fiscales 2016 et 2020.

La suppression de l'IGR et la réforme de la fiscalité des salaires pour simplifier celle-ci étaient attendues par le secteur privé. L'IGR a été suspendu. Quant à la réforme des impôts sur les salaires, un nouveau dispositif simplifié a été adopté et est applicable depuis je 1er janvier 2024.

La réforme du régime fiscal des PME, fortement recommandée, par la COMREF a été amorcée avec la mise en place de nouveaux régimes et de nouveaux seuils d'imposition. Cette réforme fait annuellement l'objet d'ajustements en vue de son amélioration. Il n'en reste pas moins que la problématique fiscale des PME doit être réévaluée en permanence et suivie pour tenir compte de la complexité et de la fragilité de cette frange de contribuables.

La poursuite du cadre des réformes fiscales : fiscalité performante mais compétitive

L'amélioration permanente de l'environnement et du dispositif fiscal est un exercice qui doit se poursuivre. Malgré les avancées notables réalisées, les défis à venir restent encore nombreux, pour la simple raison qu'un Etat qui se développe a besoin d'un système fiscal à la hauteur de ses ambitions. Nous examinons ci-dessous des actions et réformes indispensables à poursuivre.

Retrouvez la suite de l'article et d'autres sur les réalisations de la Côte d'Ivoire depuis 2011 et les perspectives qui se dégagent sur les prochaines années dans notre numéro hors série à télécharger via ce lien ou par simple clic sur l'image ci-dessous.

 

La Rédaction

Publié le 15/05/25 14:21

SOYEZ LE PREMIER A REAGIR A CET ARTICLE

Pour poster un commentaire, merci de vous identifier.

dL3JUnGNCxIOi9iRaj6-UXr6kVwYfknxRaN1dlRY43A False