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Maïmouna Baillet, directrice générale du fonds SINERGI :
En matière d'entrepreneuriat, le premier besoin spécifique aux femmes c'est le coaching ...
La vie professionnelle de Maïmouna Baillet est à l'image d'une danse à deux temps. Premier temps, une carrière sagement menée dans des institutions renommées (BNP PARIBAS, BCEAO) sous les ors de la finance classique. Deuxième temps, l'investissement à impact avec Sinergi. Celle qui dirige aujourd'hui ce fonds d'investissement basé à Niamey au Niger y a trouvé des valeurs à défendre, des investisseurs à former et aussi de belles histoires humaines à raconter. Rencontre avec une femme qui croit fermement à la nécessité pour les entreprises africaines de se structurer pour grandir et jouer pleinement leur rôle social.
Comment définiriez-vous l'investissement à impact et pourquoi vous exercez dans cette branche?
Alors il faut d'abord comprendre ce qu'est un fonds d'investissement. Un fonds d'investissement, c'est une entreprise, une structure qui investit dans une entreprise et qui prend une participation.
L'investissement à impact, c'est similaire, sauf que nous avons une attention particulière sur l'impact que cette entreprise aura dans son écosystème et dans son pays. Si nous avons dans notre portefeuille par exemple, un pressing, nous allons vérifier si les produits que l'entreprise utilise ne sont pas nocifs pour les employés et l'environnement. Donc nous allons prêter attention à l'environnement, aux conditions de vies des salariés, à la gouvernance à savoir si l'entreprise est bien gérée pour que son impact soit pérenne et durable. Nous avons opté pour ce modèle d'investissement parce que ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est d'avoir un impact durable au Niger. Une entreprise peut être rentable pour un fonds d'investissement classique, et c'est très bien, mais chez Sinergi, nous voulons avoir un impact durable.
Une entreprise peut être rentable pour un fonds d'investissement classique, et c'est très bien, mais chez Sinergi, nous voulons avoir un impact durable.
Le Niger a des réalités que nous connaissons tous. Notre idée n'était pas seulement de venir investir dans des entreprises, mais d'avoir aussi ce côté social, humain. En ce sens, nos activités nous permettent aussi de sensibiliser et d'accompagner les entrepreneurs. L'investissement à impact est une forme de sensibilisation accrue à une bonne gouvernance. Sans une bonne gouvernance, l'entreprise ne peut pas être pérenne. Nous faisons de la sensibilisation sur les sujets d'environnement, de santé, de genre … Nous proposons du financement mais renforçons également les compétences des entrepreneurs et de leurs équipes en comptabilité, en marketing et divers autres sujets.
Pouvez-vous nous donner une idée de votre impact sur l'écosystème des PME au Niger au bout de toutes ces années ?
L'activité de Sinergi a des retombées directes et des retombées indirectes. Au niveau des retombées directes, nous sommes à plus d'une trentaine d'entreprises accompagnées avec de la dette, d'une forme ou d'une autre, et avec un accompagnement via du renforcement de capacités.
(...) nous sommes à plus d'une trentaine d'entreprises accompagnées avec de la dette, d'une forme ou d'une autre, et avec un accompagnement via du renforcement de capacités.
Nous intervenons également sur des projets où le but n'est pas de prêter directement à des PME, mais plutôt collaborer avec des banques, des institutions de microfinance et des intermédiaires financiers afin de mettre en place des systèmes pour une meilleure inclusion financière de ces entreprises. Actuellement, par exemple, parmi les projets qu'on est en train de mener, nous intervenons dans le domaine de l'agriculture au Niger avec plus de 800 bénéficiaires de crédit qui ont été accordé dans ce secteur sur les deux dernières années.
Sur ces 17 ans justement, comment décririez-vous l'évolution de Sinergi ?
Notre métier d'investissement a bien évolué. Originellement, nous faisions du capital investissement. C'est tout un métier à part avec des expertises spécifiques en termes de due diligence, des coûts et avec une méthode spécifique. Cette activité s'adresse à des entreprises qui sont à un stade vraiment spécifique de leur développement.
Aujourd'hui, notre modèle a évolué, parce qu'on s'est rendu de plus en plus compte des problématiques que les PME de l'écosystème nigérien avaient (taux d'alphabétisation faible, manque de culture financière). Souvent, on se retrouvait avec des PME qui pouvaient être matures mais qui n'avaient pas forcément les capacités techniques. Elles peinaient à comprendre ce qu'est un capital-investisseur et il y avait des réticences à s'engager à moyen terme avec ce modèle de financement.
Nous proposons un réel continuum de financement en intervenant au tout début de la croissance d'une PME avec des financements d'amorçage et des assistances techniques, vers un stade où elles sont matures pour le capital-investissement ...
Nous avons eu une phase où nous faisions beaucoup d'études sur le terrain avec des bailleurs de fonds pour comprendre les freins, les obstacles et la spécificité du Niger. Nous nous sommes tournés vers des projets qui nous permettaient d'adresser aussi des entreprises à un stade de développement un peu plus précoce, donc avant qu'elles ne soient matures pour le capital investissement : c'est ce qui nous a conduit à nous investir dans ce volet amorçage sur lequel aujourd'hui Sinergi commence à avoir une expertise.
Nous proposons un réel continuum de financement en intervenant au tout début de la croissance d'une PME avec des financements d'amorçage et des assistances techniques, vers un stade où elles sont matures pour le capital-investissement, les crédits bancaires ou les autres types de financement.
Vous parliez tantôt des spécificités de l'écosystème nigérien, quelles sont les difficultés qui caractérisent cet environnement et comment vous les surmontez?
Le Niger a un taux d'analphabétisme vraiment très élevé avec 10 à 15% d'alphabétisation au total. Il y a aussi l'insécurité dans certaines zones du pays qui affecte les activités économiques. Ce sont vraiment des problématiques qui jouent directement sur l'écosystème des PME. L'accès limité à l'information pour se formaliser et accéder au financement sont des freins considérables.
Il y a aussi la difficulté du passage de l'informel au formel. Certains de ces problèmes dépendent de la volonté politique et de beaucoup de choses qui sont hors de notre portée au niveau du secteur privé. Quand ces dernières vont dans des banques ou dans des institutions de microfinance, elles reçoivent souvent des demandes en termes de garanties, d'historique, ou de prévisions. Or ce sont des sujets sur lesquels nos PME ne sont pas forcément à l'aise, et cette situation les empêche de franchir un cap, de vraiment poser des questions et se faire accompagner. Tout l'accompagnement non-financier que Sinergi offre aussi n'est pas fourni par des acteurs classiques comme les banques, les institutions de microfinance ou même les incubateurs. Nous sommes dans une démarche de moyen à long terme, nous consacrons beaucoup de temps à cet accompagnement et cette formation-là.
Quel est le contenu financier de votre offre pour ces PME?
Notre cible sont les entreprises qui sont en phase de croissance. Notre ticket d'amorçage se situe entre 30 et 60 millions FCFA, et entre 100 et 170 millions FCFA pour le capital investissement. Une fois qu'une entreprise a besoin de 300 millions FCFA ou 500 millions FCFA, ce n'est plus une PME.
D'où peuvent venir les réticences des entreprises à faire le saut vers une collaboration avec un investisseurs et comment essayez-vous de les rassurer?
Souvent les entreprises ont des réticences parce qu'elles ne comprennent pas vraiment notre métier. Il faut se battre pour démystifier notre activité et expliquer que quand on rentre au capital d'une entreprise, on est sur une prise de participation minoritaire; le but ce n'est pas du tout de prendre le contrôle de l'entreprise et de décider à la place du promoteur l'orientation ou les factures à prioriser. Nous ne sommes pas dans l'opérationnel, notre champ d'intervention est vraiment au niveau macro, dans la stratégie et la gouvernance pour essayer de définir une feuille de route ensemble. Dès qu'on entre au capital, on réfléchit déjà à notre sortie. Tout est décidé à l'avance de sorte qu'il n'y ait pas de surprise pour l'entrepreneur. Il est important d'avoir cette compréhension et ces informations-là, parce que c'est ça qui peut faire le déclic pour l'entrepreneur.
Quelles relations entretenez-vous avec les banques à ce niveau?
Nous avons des partenaires bancaires qui nous envoient des entreprises parce qu'ils estiment qu'ils ne peuvent pas financer ces dites PME. Elles ont atteint un certain stade de croissance où le financement n'est plus le besoin essentiel, mais c'est plutôt l'accompagnement, le renforcement de capacités et le conseil stratégique.
Chez Sinergi, vous misez beaucoup sur les femmes entrepreneurs. Quels sont les besoins spécifiques qu'elles rencontrent?
Le premier besoin spécifique aux femmes c'est le coaching car, malheureusement, les femmes ont moins confiance en elles. Là où un homme entrepreneur va foncer parce qu'il sait qu'il a une idée qui est géniale et qui pourra marcher, la femme a besoin d'être plus rassurée. Elle sait qu'elle a un produit qui est bien, de qualité, elle sait qu'elle a un marché mais elle a besoin de se rassurer davantage.
En matière d'entrepreneuriat, le premier besoin spécifique aux femmes c'est le coaching ...
Il y a des études qui montrent qu'un homme postulera à un emploi même s'il n'a que 2 des 10 critères qui sont demandés, alors qu'une femme s'assurera d'abord de remplir 15 critères sur les 10 demandés. C'est un peu caricatural, mais c'est vrai. Pour l'entrepreneuriat c'est pareil : souvent la femme sera beaucoup plus prudente, la plupart du temps elle aura déjà un travail à côté, elle sera très très hésitante à prendre un prêt et elle va s'assurer d'abord plusieurs fois qu'elle a les capacités d'honorer ses remboursements avant de s'engager. Et elle même va se mettre des barrières à aller chercher des financements.
Des études ont bien montré qu'une femme a besoin de plus de coaching et de plus d'accompagnement non financier. Il y a beaucoup de modèles de fonds d'investissement exclusivement féminins qui ont créé des académies ou des centres de formation à côté, parce que l'un ne peut pas aller sans l'autre. L'accompagnement financier pour les femmes peut difficilement aller sans le renforcement de capacités et l'accompagnement non financier. Dans un écosystème comme le nôtre, il y a le poids de la culture qui fait que pour faire beaucoup de choses, la femme aura besoin de l'assentiment d'un ascendant et d'une validation masculine, ce qui engendre plus d'obstacles, comparé à un homme qui pourra prendre des décisions sur le champ.
Ces deux aspects là font que la femme aura vraiment plus besoin d'un accompagnement sur le long terme et aussi besoin de toutes ces méthodes de coaching et de mentoring qui sont vraiment importantes pour cette aventure entrepreneuriale.
L'accompagnement financier pour les femmes peut difficilement aller sans le renforcement de capacités et l'accompagnement non financier ...
Mais la bonne nouvelle, c'est que les études ont aussi montré qu'une fois qu'elles ont accès au financement, elles sont des créancières qui sont beaucoup plus régulières, il y a beaucoup moins de cas d'échecs sur les entreprises féminines. Et bien évidemment, les retombées au niveau de la société, au niveau de la communauté, au niveau des emplois, et/ou au niveau de l'environnement sont beaucoup plus importantes que quand il s'agit d'une entreprise masculine.
(...) il y a beaucoup moins de cas d'échecs sur les entreprises féminines.
Quelle est votre vision, vos perspectives pour les années à venir ?
Sinergi existe depuis dix-sept années, depuis 2006. Aujourd'hui, nous avons 3 objectifs : le premier est de renouer pleinement avec cette activité d'investissement. Nous avons réalisé beaucoup de projets de développement en amorçage pendant ces dernières années parce que nous nous sommes rendus compte qu'il fallait accompagner les entreprises à être prêtes pour l'investissement en capital. Et cette étape est désormais bien franchie.
Le second objectif est de reprendre notre place au sein de l'écosystème des PME. Aujourd'hui avec l'expérience et l'expertise que nous avons, nous pensons que nous avons un rôle à jouer en thème d'animation et d'aiguillage des PME. Nous avons des partenariats avec des banques, des incubateurs, des structures étatiques, des structures d'appui et d'accompagnement qui peuvent, elles, satisfaire leurs besoins.
Notre troisième objectif, c'est le genre. Les femmes nigériennes, qui ont le courage d'entreprendre, sont nombreuses, et elles ont besoin de soutien et d'accompagnement.
La Rédaction
Publié le 08/03/23 17:10
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