L'UE déploie la diplomatie du blé au Cameroun, sur fond de dépendance aux importations de céréales

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À travers une campagne intitulée " Le blé européen, un choix de bon goût ", l'interprofession française des céréales, Intercéréales France, en partenariat avec l'Union européenne (UE), tente de consolider sa présence sur les marchés africains, notamment au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Sénégal. L'annonce a été faite le 8 octobre 2025 dans un communiqué parvenu à notre rédaction. L'initiative vise à promouvoir les atouts du blé européen, réputé pour offrir une " mie aérée " et une " croûte dorée ", en s'adaptant aux préférences locales de consommation.

Intercéréales et l'UE affirment que cette opération s'inscrit " dans une perspective de soutien aux objectifs de souveraineté alimentaire " des pays ciblés, tout en garantissant, selon eux, " une sécurité alimentaire durable grâce à la disponibilité d'un blé de qualité et au partage des savoir-faire ". Concrètement, la campagne repose sur des actions de formation destinées aux meuniers africains. Des sessions de perfectionnement technique se tiennent du 29 septembre au 11 octobre 2025 au profit des professionnels du Cameroun, de la Côte d'Ivoire et du Sénégal. L'objectif affiché est de renforcer les compétences locales et encourager la création d'opportunités durables dans la filière boulangère.

Pour Philippe Heusèle, président des relations internationales d'Intercéréales France, cité dans le communiqué, cette campagne ne se limite pas à une opération commerciale. " Nous sommes fiers de collaborer avec les meuniers africains. En mettant en valeur les atouts de notre blé, nous voulons fournir aux professionnels locaux les moyens de se différencier et de fidéliser une clientèle de plus en plus exigeante en matière de goût ", explique-t-il. Intercéréales ambitionne de contribuer à la production, au Cameroun, d'une " baguette d'excellence " à partir de blé européen, adaptée à la demande croissante pour un pain " savoureux et de qualité constante ".

Pour les boulangers locaux, la tension est constante entre la nécessité de maintenir la qualité du pain et la contrainte d'un blé importé de la France, de Russie et même des États-Unis, toujours plus cher. Les autorités camerounaises affichent une stratégie alternative fondée sur l'intégration de farines locales — notamment de manioc, maïs ou patate douce — dans la production de pain. Des expérimentations menées sous l'égide du ministère de l'Agriculture montrent qu'une incorporation jusqu'à 15 % est possible sans altérer la texture ni le goût. Cette politique s'inscrit dans la Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND30), qui met l'accent sur la souveraineté alimentaire et la substitution aux importations.

Les importations de blé en forte hausse

Pourtant, les chiffres les plus récents témoignent d'un paradoxe. Selon le rapport 2024 de l'Institut national de la statistique (INS) sur le commerce extérieur, le Cameroun a dépensé 543,6 milliards FCFA pour importer 2,11 millions de tonnes de céréales, contre 387,6 milliards FCFA et 1,55 million de tonnes en 2023, soit une hausse de 36,3 % en volume et 40,2 % en valeur. Les céréales représentent désormais 10,9 % des dépenses d'importation totales du pays.

Dans le détail, le riz absorbe la plus grande part de la facture (318,6 milliards FCFA, +58,6 % sur un an), tandis que le blé atteint 214,1 milliards FCFA, soit 4,3 % des importations totales et une progression de 20,1 % par rapport à 2023. Ces données confirment la dépendance structurelle du Cameroun aux marchés extérieurs pour ses denrées de base, malgré la volonté politique de réduire les importations alimentaires.

Interrogé récemment par Défis Actuels, le ministre de l'Économie, Alamine Ousmane Mey, estime que cette situation justifie la mise en œuvre d'une politique plus intégrée. Il rappelle que le gouvernement a adopté en 2024 un Plan intégré d'import-substitution agropastoral et halieutique (PIISAH), couvrant la période 2024-2026. L'objectif est double réduire le déficit de la balance commerciale et renforcer la souveraineté alimentaire.

Ce plan repose sur la sécurisation et l'aménagement des périmètres hydroagricoles, la modernisation de la production et de la transformation, le renforcement de l'accès à la recherche et au financement.

Dans ce contexte, la campagne d'Intercéréales France s'inscrit dans une dynamique que certains économistes qualifient de diplomatie du blé, une forme de soft power agricole consistant à consolider les parts de marché du blé européen tout en renforçant les liens économiques avec les pays africains importateurs.

Perton Biyiha

La Rédaction

Publié le 10/10/25 16:15

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