Orpaillage illégal : L’État ivoirien réinvente sa stratégie pour transformer le fléau en levier de développement

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Après avoir concentré ses efforts dans le District des Savanes (Boundiali, Korhogo, Kong) en 2024, le gouvernement ivoirien déploie désormais la deuxième étape de sa campagne nationale de lutte contre l'orpaillage illégal dans le cœur du pays. Ce 10 juillet 2025, le ministre des Mines, du Pétrole et de l'Énergie, Mamadou Sangafowa Coulibaly, a entamé une tournée de trois jours à Daoukro, Bongouanou et dans plusieurs localités du District Autonome des Lacs — Dimbokro, Toumodi, Yamoussoukro — pour délivrer un message sans équivoque : stopper l'hémorragie économique, sociale et environnementale provoquée par l'exploitation aurifère clandestine.

Longtemps perçu comme une activité marginale, l'orpaillage illégal s'est transformé en une véritable économie souterraine, adossée à des réseaux de trafiquants transnationaux. Ce phénomène déstructure le tissu économique et social des communautés locales, tout en sapant les fondements fiscaux et environnementaux de l'État.

" Je suis venu chercher un partenariat avec vous "

" Je suis venu chercher un partenariat avec vous ", a lancé le ministre à Daoukro, aux populations venues nombreuses, accompagnées des élus et cadres, dans une salle des fêtes devenue trop exiguë. Derrière cette formule, une stratégie en trois axes : impliquer les communautés locales, structurer davantage d'alternatives légales et maintenir la pression sécuritaire pour endiguer le phénomène.

La nouveauté de cette croisade ne réside pas seulement dans le renforcement du dispositif répressif, mais dans la transformation de l'approche. Le gouvernement entend désormais faire des populations rurales les fers de lance d'une lutte longtemps portée par le seul État.

Le ministre n'a pas eu besoin de longs discours pour convaincre les populations de Daoukro qu'il est " venu écouter ". Visiblement soulagées par cette approche participative, manifestement très attendue, elles ont exprimé sans détour leur détresse dans la salle débordante, qui a refusé du monde. Elles ont dénoncé la pollution des cours d'eau, la raréfaction de la main-d'œuvre agricole, la perte d'autorité des chefs traditionnels et l'insécurité grandissante.

" Nos enfants déscolarisés, nos forêts sacrées profanées, … ", s'est indigné un habitant.
" Il n'est plus possible de dormir à la belle étoile comme auparavant ", a résumé un chef coutumier, faisant référence à la grande insécurité qui a émergé, même dans les hameaux reculés.

Une économie mafieuse… et ruineuse pour l'État comme pour les villages

Le fait le plus saisissant pour les populations reste sans doute l'asymétrie du “deal” imposé par les orpailleurs illégaux. Présentant des liasses de billets pour convaincre les détenteurs de terres villageoises, les trafiquants promettent une prospérité illusoire. La réalité est tout autre : selon les données du ministère, les villages ne perçoivent que 7 % de la valeur de l'or extrait, contre 80 % qui s'évaporent dans des circuits mafieux transfrontaliers.

" Pour 100 000 FCFA d'or extrait, seulement 7 000 FCFA restent au village ", a détaillé le directeur général des Mines et de la Géologie, Seydou Coulibaly. À ce déséquilibre économique s'ajoute une catastrophe écologique laissée en héritage une fois les sites abandonnés : sols stérilisés, mercure infiltré dans les nappes phréatiques, terres agricoles détruites.

" Après des années d'orpaillage illégal dans notre localité, force est de reconnaître qu'aucun village n'a évolué dans le sens du développement. Bien au contraire, ce sont la pauvreté et la misère qui se sont répandues ", ont reconnu nombre de participants à l'événement.

À l'échelle nationale, les conséquences sont vertigineuses : 100 tonnes d'or sortiraient chaque année du pays via des circuits illégaux, pour une perte fiscale estimée à 700 milliards FCFA et une valeur globale évaporée de plus de 4 000 milliards FCFA.

Répression renforcée, législation durcie et coopération élargie

Face à cette saignée, le gouvernement ne reste pas inactif. Depuis la création du Groupement Spécial de Lutte contre l'Orpaillage Illégal (GS-LOI) en 2021, plus de 1 760 sites illégaux ont été démantelés et 713 personnes traduites en justice en 2024. Une montée en puissance amorcée dès 2018 avec la Brigade de Répression des Infractions au Code Minier (BRICM), placée sous l'égide du Conseil National de Sécurité.

Mais la seule répression ne suffit plus. D'où la volonté de mobiliser les communautés rurales dans un partenariat inédit, amorcé dès 2023 avec une rencontre entre le ministre et la Chambre des Rois et Chefs traditionnels.

Un nouveau cap : l'orpaillage légal comme levier de développement

Pour Mamadou Sangafowa Coulibaly, il est temps que les populations prennent conscience du jeu de dupes que représente l'orpaillage illégal. Il ne profite ni aux communautés villageoises, qui n'en perçoivent que des miettes, ni à l'État, et ne fait qu'enrichir des filières étrangères — parfois liées à des circuits criminels.

Mais au-delà du constat, une alternative s'impose : celle d'une exploitation minière légale, encadrée et soutenue par les pouvoirs publics. Le ministre exhorte les communautés villageoises à s'organiser en coopératives pour exploiter leurs ressources dans un cadre formel, sécurisé et durable. Un choix qui leur permettrait de tirer des bénéfices concrets de leurs terres, tout en assurant à l'État une fiscalité plus juste et, au pays, un développement mieux réparti.

Parallèlement, l'État intensifie ses efforts pour attirer les investissements privés dans l'exploration industrielle, avec des mécanismes de redistribution des revenus vers les collectivités locales. Deux piliers — artisanat légal et exploitation industrielle encadrée — qui doivent consolider un modèle hybride, fondé sur une souveraineté partagée.

Mission aux préfets : porter la lutte au plus près des réalités locales

Cette nouvelle phase de la lutte repose sur une logique de territorialisation. Chaque préfet est désormais mandaté pour sillonner hameaux et sous-préfectures, afin de sensibiliser et convaincre les populations. Objectif : construire une conscience collective autour des enjeux et responsabilités liés à l'orpaillage clandestin, et offrir une voie alternative, légale et inclusive.

C'est un nouveau départ pour une filière aurifère en mutation. Le " partenariat " entre l'État et les communautés villageoises pourrait bien réussir là où les campagnes antérieures ont échoué. En Côte d'Ivoire, l'or ne doit plus rimer avec conflit, mais devenir moteur de prospérité partagée.

Envoyé Spécial à Daoukro, 

Jean Mermoz Konandi

Publié le 10/07/25 22:54

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