Le Fonds monétaire international vient de publier un travail pionnier consacré à l'évaluation de l'orientation de la politique monétaire dans onze économies émergentes et frontières d'Afrique subsaharienne, parmi lesquelles l'Afrique du Sud, le Ghana, le Nigéria, le Kenya ou encore les unions monétaires de la CEMAC et de l'UEMOA.
L'étude s'appuie sur la notion de taux d'intérêt réel neutre, indicateur de long terme permettant de distinguer si la politique monétaire est expansionniste ou restrictive. Elle complète ce cadre par l'élaboration d'indices de conditions financières, afin de tester la cohérence entre le signal envoyé par les taux directeurs et l'évolution concrète du crédit, des marchés et des taux d'intérêt à long terme.
Le taux neutre, comme nouvelle boussole de la politique monétaire
Les experts du FMI estiment les taux d'intérêt réels neutres à partir de six méthodologies différentes, allant des filtres statistiques aux modèles semi-structurels. Malgré des divergences ponctuelles, les tendances convergent. Trois quarts des pays étudiés ont connu un pic du taux neutre autour de 2007, suivi d'une baisse sensible après la crise financière mondiale, puis d'une nouvelle décrue pendant la pandémie de 2020.
Les auteurs définissent en effet le taux d'intérêt réel neutre (ou r-star) comme le niveau du taux directeur réel compatible avec une économie fonctionnant à son potentiel et une inflation conforme à l'objectif de la banque centrale, une fois dissipés les chocs conjoncturels
Autrement dit, il s'agit d'un ancrage de moyen à long terme qui reflète l'équilibre entre épargne et investissement, indépendamment des fluctuations temporaires.
Un taux réel inférieur au taux neutre traduit une politique expansionniste, tandis qu'un taux réel supérieur correspond à une orientation restrictive. Bien qu'il ne soit pas observable directement, ce taux joue un rôle crucial. De fait, il sert de référence pour éviter qu'une politique monétaire ne soit durablement trop accommodante ou excessivement contraignante.
En 2023, la dispersion reste forte. L'île Maurice affiche un taux neutre négatif (-0,8%), traduisant des conditions structurellement très accommodantes. À l'inverse, le Ghana et le Mozambique présentent des niveaux particulièrement élevés, compris entre 6% et 8%. La majorité des pays se situent entre 1% et 4%, un intervalle supérieur à celui des économies avancées, ce qui traduit à la fois une prime de risque plus marquée et des marchés financiers moins profonds.
Des politiques monétaires contrastées face aux chocs mondiaux
L'analyse des écarts entre taux réels observés et taux neutres (interest rate gaps) met en lumière des divergences frappantes. Durant la crise financière de 2008-2009, sept banques centrales ont opté pour une politique accommodante, tandis que quatre ont maintenu une orientation restrictive. Lors du ralentissement chinois et de la chute des prix des matières premières en 2014-2015, environ la moitié des pays ont resserré leur politique. Pendant la pandémie, en revanche, la quasi-totalité a assoupli sa position afin de soutenir l'activité.
La situation est redevenue hétérogène fin 2023. Le Kenya, le Mozambique, l'Afrique du Sud, la Zambie et l'UEMOA affichaient des positions restrictives, tandis que la CEMAC, le Ghana, Maurice, la Tanzanie et l'Ouganda restaient accommodants. Le Nigéria se situait dans une position jugée neutre.
La cohérence entre taux directeurs et conditions financières
Pour dépasser les limites d'une lecture centrée sur le seul taux directeur, les chercheurs ont construit des indices de conditions financières intégrant des variables de marché (taux bancaires, rendements obligataires, taux de change, crédit, indicateurs de risque global).
Ces indices révèlent que la corrélation avec l'orientation de la politique monétaire n'est significative que dans certains pays, en particulier ceux qui ont adopté ou sont en transition vers un régime de ciblage de l'inflation. Dans ces cas, le coefficient de corrélation atteint 0,6, niveau relativement élevé pour des économies où la transmission monétaire est souvent jugée imparfaite.
Les tests empiriques montrent également que les chocs restrictifs se traduisent par un resserrement financier plus marqué et plus persistant dans les économies dotées de cibles explicites d'inflation (Afrique du Sud, Ghana, Kenya, Maurice, Ouganda).
Dans les unions monétaires à ancrage de change, l'effet est réel mais retardé. En revanche, les pays opérant sous des régimes plus éclectiques (Mozambique, Zambie) connaissent une transmission plus faible et de courte durée.
Implications pour la conduite de la politique monétaire
Le rapport conclut que les banques centrales d'Afrique subsaharienne doivent évaluer leur orientation de politique monétaire à travers un double prisme : celui du taux d'intérêt neutre, mais aussi celui des conditions financières effectives. Cette approche élargie permet de mieux cerner la cohérence entre l'intention affichée et l'impact réel sur l'économie. Les économies qui renforcent leur cadre institutionnel, adoptent des régimes crédibles de ciblage de l'inflation et développent des marchés financiers plus profonds tendent à afficher une transmission plus robuste.
La principale leçon est qu'en contexte de chocs mondiaux fréquents (crise financière, ralentissement chinois, pandémie, flambée des prix liée à la guerre en Ukraine), la diversité des réponses nationales reflète non seulement des contraintes de structure, mais aussi le degré de maturité des cadres monétaires. À long terme, la consolidation de ces cadres sera essentielle pour garantir la stabilité des prix sans compromettre la croissance.
Dr Ange Ponou
Publié le 18/08/25 10:30