Amir Ben Yahmed, CEO de l’AFIS : ‘’Le temps est venu pour l’Afrique de bâtir un système financier souverain et intégré’’

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Amir Ben Yahmed, CEO de l'AFIS :

Le temps est venu pour l'Afrique de bâtir un système financier souverain et intégré

Alors que les économies africaines cherchent à réduire leur dépendance extérieure, Amir Ben Yahmed, CEO de Jeune Afrique Media Group et fondateur de l'AFIS, plaide pour une véritable souveraineté financière du continent. À travers ce rendez-vous majeur des décideurs économiques africains, dont l'édition 2025 est prévue les 3 et 4 novembre prochain, il appelle à bâtir un système capable de financer durablement la croissance par des ressources africaines.

L'édition 2024 de l'AFIS a mis en lumière l'ambition de voir l'industrie financière africaine passer à l'échelle, assurer sa domination sur le continent et conquérir les marchés mondiaux. Selon vous, cette vision est-elle aujourd'hui à portée de main, notamment avec la montée en puissance des banques africaines ?

Les banques africaines répondent aujourd'hui à près de 36% des besoins de financement du secteur privé du continent, un chiffre qui témoigne de la solidité et du professionnalisme de leurs standards, comparables à ceux des grands pays émergents.

Cette dynamique s'impose aujourd'hui comme une nécessité stratégique pour le continent africain. En effet, ces dernières années ont été marquées par le retrait progressif des grandes banques internationales, ne laissant subsister que quelques filiales de groupes étrangers, notamment celles de la Société Générale. Ce désengagement met en évidence l'urgence, pour l'Afrique, de renforcer sa propre capacité à financer son développement à travers des institutions locales solides et intégrées.

Dans le même temps, le continent a déjà amorcé un mouvement profond de structuration économique. De nombreuses entreprises africaines se sont transformées en acteurs régionaux majeurs, capables de s'étendre bien au-delà de leurs frontières nationales. Plusieurs groupes bancaires, qu'ils soient marocains, nigérians ou kenyans, se distinguent par leur expansion continentale et la consolidation de réseaux à vocation panafricaine. Parmi eux, figurent notamment Attijariwafa Bank, Access Bank, NSIA Banque, Coris Bank, Equity Bank, KCB ou encore Standard Bank, autant d'institutions qui incarnent la montée en puissance de la finance africaine.

Ce mouvement n'est pas seulement amorcé : il est déjà opérationnel et porteur de résultats concrets. Les banques africaines répondent aujourd'hui à près de 36% des besoins de financement du secteur privé du continent, un chiffre qui témoigne de la solidité et du professionnalisme de leurs standards, comparables à ceux des grands pays émergents. Cette dynamique dépasse désormais les frontières africaines : plusieurs de ces établissements étendent leurs activités à l'international, notamment en Europe et au Moyen-Orient, afin de capter directement les flux financiers mondiaux. Des groupes tels qu'Absa, Equity ou Access traduisent parfaitement cette ouverture stratégique.

Parallèlement, le secteur de la fintech connaît une croissance remarquable. En l'espace de trois ans, le nombre d'acteurs est passé de 400 à plus d'un millier, démontrant l'émergence d'un écosystème numérique dynamique et ambitieux, porteur d'innovations financières à portée continentale.

Face à cette évolution, l'Africa Financial Summit (AFIS), conçu en partenariat avec l'IFC, s'inscrit dans une démarche visant à accompagner, structurer et amplifier ce mouvement. En créant une plateforme de dialogue et de coopération, l'AFIS œuvre à renforcer la compétitivité des institutions africaines et à favoriser la construction d'un système financier autonome, moderne et intégré, au service de la croissance et de la souveraineté économique du continent.

Pourquoi avoir choisi la souveraineté financière africaine comme thème central de l'AFIS 2025, et en quoi ce choix reflète-t-il les enjeux actuels du contexte économique mondial et africain ?

Le contexte international actuel se caractérise par une tendance marquée au repli sur soi de plusieurs grandes puissances économiques. Les États-Unis, l'Union européenne et même la Chine concentrent désormais leurs efforts sur leurs propres priorités de développement. Dans ce nouvel environnement, l'Afrique doit, elle aussi, se recentrer sur son développement endogène.

Cette orientation s'explique par un contexte où l'Afrique affirme de plus en plus sa volonté de revendiquer sa souveraineté économique. Historiquement intégrée dans des chaînes de valeur mondiales souvent dépendantes des intérêts fluctuants des acteurs internationaux, le continent cherche désormais à développer ses propres leviers d'indépendance et de résilience. Cette dynamique s'inscrit dans une démarche stratégique visant à renforcer la capacité du continent à définir et à maîtriser ses priorités économiques.

L'Afrique dispose aujourd'hui des atouts nécessaires pour concrétiser cette ambition. Ses entreprises se développent, ses fonds de pension et ses compagnies d'assurance accumulent des ressources significatives, et les capitaux africains gagnent en importance sur la scène régionale et mondiale. Ces éléments constituent des fondations solides pour asseoir une souveraineté financière et économique durable, fondée sur la mobilisation des ressources internes et la valorisation des compétences locales.

C'est dans cette perspective que cette édition a été placée sous le signe du passage à l'action concertée. L'objectif est de favoriser une coordination accrue entre les différents régulateurs — qu'il s'agisse du secteur bancaire, de l'assurance ou des marchés de capitaux — afin de créer les conditions propices à un développement harmonisé et autonome du système financier africain. Cette approche collaborative vise, à terme, à consolider les acquis, à renforcer la confiance entre acteurs publics et privés, et à faire de la souveraineté économique africaine une réalité concrète et partagée.

Le contexte international actuel se caractérise par une tendance marquée au repli sur soi de plusieurs grandes puissances économiques. Les États-Unis, l'Union européenne et même la Chine concentrent désormais leurs efforts sur leurs propres priorités de développement. Dans ce nouvel environnement, l'Afrique doit, elle aussi, se recentrer sur son développement endogène. Cela implique de faire émerger des acteurs économiques africains capables de porter cette ambition, tout en mobilisant le capital du continent afin qu'il soit orienté vers ses forces productives, en particulier les entreprises qui constituent le moteur de sa croissance.

A cet effet, des initiatives telles que l'AELP, qui promeut l'interconnexion des grandes bourses africaines, ou le PAPSS, facilitant les transactions intra-continentales, ont été lancées. Mais leur déploiement à grande échelle reste lent. Que peut-on attendre de l'AFIS sur ces sujets essentiels ?

L'enjeu de la rencontre à venir sera précisément de dresser un état des lieux rigoureux afin de comprendre les facteurs qui freinent encore l'usage massif de ces outils. L'objectif consistera à identifier les obstacles opérationnels, techniques ou réglementaires, et à proposer des mesures concrètes pour en accélérer l'adoption et renforcer leur impact au service de l'intégration financière du continent.

Il s'agit avant tout d'établir un diagnostic approfondi, non pas sur le rythme de déploiement des initiatives, mais sur leur niveau d'utilisation effective, qui demeure relativement limité.

En réalité, le déploiement progresse de manière significative. À titre d'exemple, le système PAPS compte déjà l'adhésion d'environ dix-sept banques centrales et la participation de plus d'une centaine d'établissements bancaires commerciaux. Ce niveau d'engagement traduit une adhésion réelle et croissante des acteurs du secteur financier au projet.

De même, concernant l'AELP, dix places financières majeures du continent se sont déjà inscrites dans cette initiative, témoignant d'une volonté collective d'intégration et de modernisation des marchés de capitaux africains. L'ambition est donc bien présente, tout comme la mobilisation institutionnelle.

L'enjeu de la rencontre à venir sera précisément de dresser un état des lieux rigoureux afin de comprendre les facteurs qui freinent encore l'usage massif de ces outils. L'objectif consistera à identifier les obstacles opérationnels, techniques ou réglementaires, et à proposer des mesures concrètes pour en accélérer l'adoption et renforcer leur impact au service de l'intégration financière du continent.

La question des défis réglementaires revient régulièrement, ayant été évoquée lors de la dernière édition et le sera à nouveau cette année. Avez-vous le sentiment que des progrès concrets sont réalisés, ou du moins qu'une volonté plus affirmée des régulateurs de converger vers des pratiques harmonisées émerge ? Quelle sera la place d'une question aussi centrale lors de ce forum ?

Depuis sa première édition, qui avait réuni près de 400 participants, la manifestation connaît une progression remarquable, avec plus de 1 200 participants attendus cette année. Cette évolution témoigne de l'adhésion croissante des acteurs aux objectifs fixés par l'initiative. Les régulateurs y occupent une place de plus en plus importante, comme en atteste la participation attendue d'une quinzaine de banques centrales, ainsi que la mobilisation accrue des autorités de supervision des marchés de capitaux et du secteur des assurances.

L'Africa Financial Summit (AFIS), désormais à sa quatrième édition, s'affirme comme une plateforme de référence dédiée au dialogue entre les régulateurs et les acteurs du secteur des services financiers sur le continent. Conçu conjointement avec la Société financière internationale (IFC), cet événement vise à renforcer la concertation entre les parties prenantes afin de favoriser la stabilité, l'inclusion et la compétitivité du secteur financier africain. L'édition actuelle marque une étape significative de cette dynamique, traduisant la montée en puissance et l'élargissement constant de la communauté AFIS.

Depuis sa première édition, qui avait réuni près de 400 participants, la manifestation connaît une progression remarquable, avec plus de 1 200 participants attendus cette année. Cette évolution témoigne de l'adhésion croissante des acteurs aux objectifs fixés par l'initiative. Les régulateurs y occupent une place de plus en plus importante, comme en atteste la participation attendue d'une quinzaine de banques centrales, ainsi que la mobilisation accrue des autorités de supervision des marchés de capitaux et du secteur des assurances. Cette implication renforcée illustre la volonté partagée de consolider les acquis et de promouvoir une approche concertée du développement financier en Afrique.

L'AFIS connaît ainsi une trajectoire comparable à celle de l'Africa CEO Forum, aujourd'hui reconnu comme la principale conférence économique du secteur privé africain. De la même manière que ce dernier, l'AFIS s'inscrit dans un mouvement de croissance soutenue, où les échanges évoluent progressivement vers des discussions plus concrètes et opérationnelles à mesure que la plateforme s'installe durablement dans le paysage institutionnel.

Dans cette perspective, la création récente du Supervisory Council de l'Africa Financial  Summit constitue une avancée majeure. Composé d'une quinzaine de dirigeants éminents issus du secteur bancaire, de l'assurance et des instances de régulation, ce conseil a pour mission de contribuer à l'élaboration du programme du sommet et, plus largement, à la définition d'une feuille de route commune pour l'écosystème financier africain. Par cette démarche, l'AFIS ambitionne de renforcer la cohérence des initiatives régionales et d'accompagner la transformation structurelle du secteur à l'échelle continentale.

Quelles seront les grandes articulations de cette édition et les innovations qui seront apportées ?

L'édition de cette année de l'Africa Financial Summit (AFIS) mettra un accent particulier sur plusieurs thématiques stratégiques pour le développement du secteur financier africain. L'objectif est d'identifier les leviers permettant de mieux mobiliser les ressources disponibles sur le continent et d'accélérer leur déploiement vers des projets à fort impact économique et social.

L'édition de cette année de l'Africa Financial Summit (AFIS) mettra un accent particulier sur plusieurs thématiques stratégiques pour le développement du secteur financier africain. L'objectif est d'identifier les leviers permettant de mieux mobiliser les ressources disponibles sur le continent et d'accélérer leur déploiement vers des projets à fort impact économique et social.

Le premier axe de réflexion portera sur la libération du capital institutionnel africain, notamment celui détenu par les compagnies d'assurance et les fonds de pension. Il s'agit de favoriser une utilisation plus efficiente de ces capitaux afin qu'ils puissent être investis de manière fluide et rapide dans le financement du secteur privé. Cette démarche vise à renforcer la contribution des investisseurs institutionnels au développement des économies africaines en orientant l'épargne domestique vers des projets structurants et productifs.

Le second axe concernera le financement des projets d'envergure continentale, encore entravé par divers obstacles réglementaires et structurels. Parmi les défis majeurs figurent la fragmentation des marchés et le manque d'harmonisation des cadres réglementaires, qui freinent la libre circulation des capitaux. L'un des objectifs sera donc de créer les conditions permettant, par exemple, à un fonds de pension ghanéen d'investir aisément dans d'autres pays africains où les opportunités de rendement et d'impact sont plus élevées, ou à un groupe d'assurance d'Afrique de l'Ouest de mobiliser ses ressources en Afrique centrale. Une telle fluidité des investissements renforcerait la rentabilité des fonds, stimulerait l'attractivité du continent et encouragerait l'afflux de nouveaux capitaux.

Dans cette dynamique, la mobilisation de l'épargne des diasporas et des ménages africains représente également un enjeu majeur. Les fintechs et assurtechs peuvent jouer un rôle déterminant dans la collecte et la canalisation de ces ressources, en facilitant l'accès aux produits financiers et en renforçant la confiance dans les circuits formels. Parallèlement, la consolidation des marchés d'assurance demeure essentielle pour accroître la résilience et la profondeur du secteur.

Ces priorités s'inscrivent dans la continuité du projet de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), lancé en 2019, dont l'ambition est de bâtir un marché commun africain intégré et compétitif. En choisissant le secteur financier comme point d'ancrage de cette dynamique, l'AFIS entend contribuer à la construction du premier véritable marché financier africain commun, capable de soutenir durablement la croissance, la stabilité et l'intégration économique du continent.

Une fois les portes de l'AFIS refermées, comment maintenez-vous le dialogue entre les parties prenantes pour faire avancer l'agenda issu des grandes conclusions des réflexions ?

L'un des objectifs essentiels de l'Africa Financial Summit (AFIS) consiste à en faire non pas un simple événement annuel, mais une véritable plateforme de dialogue permanente entre les acteurs du secteur financier africain. Cette vocation s'inscrit dans une démarche visant à maintenir une dynamique de concertation continue tout au long de l'année, afin d'assurer un suivi cohérent des priorités identifiées et de favoriser la mise en œuvre effective des recommandations issues des échanges.

L'un des objectifs essentiels de l'Africa Financial Summit (AFIS) consiste à en faire non pas un simple événement annuel, mais une véritable plateforme de dialogue permanente entre les acteurs du secteur financier africain. Cette vocation s'inscrit dans une démarche visant à maintenir une dynamique de concertation continue tout au long de l'année, afin d'assurer un suivi cohérent des priorités identifiées et de favoriser la mise en œuvre effective des recommandations issues des échanges.

Dans cette perspective, un Supervisory Council se réunit régulièrement afin d'examiner la feuille de route stratégique de l'AFIS et d'en assurer la mise à jour. À cet organe s'ajoute une instance de gouvernance élargie regroupant entre 100 et 150 acteurs du secteur financier — représentants d'institutions, d'entreprises, de régulateurs et d'organisations partenaires — dont la mission est d'alimenter la réflexion et de proposer les thématiques prioritaires que le Supervisory Council intègre ensuite dans les travaux de l'AFIS.

Parallèlement, l'AFIS s'appuie sur le réseau et les publications du Groupe Jeune Afrique, afin de suivre de manière régulière l'évolution des thématiques structurantes du secteur. À travers des analyses, tribunes et études, cette activité de monitoring continu permet d'évaluer les progrès réalisés, d'identifier les freins éventuels et de documenter les transformations en cours dans l'écosystème financier africain. Les publications abordent notamment la consolidation des marchés de l'assurance, l'expansion régionale des grands groupes bancaires, l'essor des fintechs, l'action des banques centrales en faveur de l'harmonisation réglementaire, ou encore les initiatives des marchés de capitaux pour stimuler l'innovation et la mobilisation du capital.

Enfin, cette démarche de suivi et de diffusion s'appuie également sur une communauté active de plus de 20 000 professionnels du secteur financier africain réunis autour des plateformes numériques de l'AFIS. Grâce à ces canaux, l'organisation contribue à la circulation des idées, des bonnes pratiques et des informations clés, favorisant ainsi la consolidation d'un écosystème financier intégré et résilient au service du développement du continent.

Jean Mermoz Konandi

Publié le 16/10/25 19:41

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