Le ministre camerounais des Finances, Louis Paul Motaze
Depuis deux ans, la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) défend son champ de compétence et rejette la perspective d'une supervision par la Commission bancaire d'Afrique centrale (COBAC). Mais une correspondance datée du 6 août 2025, adressée à son directeur général, Richard Evina Obam, par le ministre camerounais des Finances, Louis Paul Motaze, bouleverse l'équilibre. Par un ton mesuré mais explicite, le ministre tranche plusieurs points de désaccord, réduit les marges de manœuvre de l'institution et valide implicitement les arguments de la COBAC et des instances communautaires.
Voir aussi - La Caisse des dépôts du Cameroun continue de s'opposer à une supervision de la COBAC
Dès ses premiers pas opérationnels, l'encadrement réglementaire de la CDEC, un organisme sous tutelle du ministère des Finances, a suscité des divergences. La COBAC, organe de supervision bancaire de la CEMAC, a rapidement affirmé que la CDEC devait être soumise à ses contrôles, au même titre que toute entité collectant des fonds du public et gérant des placements financiers. La direction de la CDEC a contesté cette assimilation, se référant à la directive communautaire de décembre 2011 relative à la comptabilité publique. Elle s'est présentée comme un comptable public, simple exécutant des décisions de l'État, et non comme un opérateur bancaire ou financier.
Gestion des avoirs en déshérence
La tension a culminé lors de la réunion du 15 avril 2025 organisée à Yaoundé par la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC), dans le cadre du groupe de travail chargé d'harmoniser le régime juridique des caisses de dépôts dans la zone CEMAC. À l'issue de la rencontre, la CDEC a publié un communiqué virulent dénonçant un " passage en force ", et exigeant le retrait du projet de texte communautaire. C'est dans ce contexte qu'intervient la lettre du ministre des Finances. Le document répond point par point aux arguments de la CDEC. Loin de conforter sa lecture restrictive, il en reprend les principales critiques et les relativise.
Sur la question de la supervision, Louis Paul Motaze écrit : " Il semble quand même surprenant que, dans la logique de soustraire la CDC du Cameroun à la supervision de la COBAC, vous n'ayez fait mention que d'une zone dans laquelle la supervision n'est pas effective (UEMOA), omettant subrepticement de citer le cas de la France, mère des CDC où la supervision est exercée par l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ; Idem pour la Caisse des Dépôts et de Gestion du Maroc, supervisée par la Banque Centrale marocaine Al Maghrib.
" Quand bien même il n'y aurait pas une réglementation sur l'activité des CDC, argument que vous excipez pour denier toute intervention des organes communautaires, il me revient, en ma qualité d'autorité monétaire, reprenant en cela les prescriptions fortes des Chefs d'Etat, du FMI, du GAFI, Etc…, la responsabilité de rappeler l'impérieuse nécessité pour les organes compétents, au niveau communautaire, d'agir afin de prévenir tout risque qui pèserait sur la stabilité du système financier. C'est précisément ce qui s'est passé avec l'activité de crypto monnaie (LYEPLIMAL) dont les dérapages ont amené les autorités de la sous-région à prendre rapidement des mesures salutaires ayant permis de réguler cette activité. La supervision ne devrait donc gêner personne, si toute l'activité est gérée convenablement ", a écrit le ministre.
Avoirs criminels et cautions de garantie
Un autre sujet sensible portait sur la gestion des cautions exigées dans le cadre du partenariat public-privé (PPP) entre l'État camerounais et la société d'électricité ENEO. La CDEC revendiquait la gestion de ces flux, arguant qu'ils entraient dans la catégorie des consignations. Le ministre a écarté cette prétention de manière catégorique. " Il n'apparaît nulle part, de façon explicite, dans le PPP liant l'État du Cameroun à ENEO, une quelconque dette susceptible d'être transférée à la CDEC ", a-t-il rappelé.
La CDEC avait également élargi son interprétation aux cautions versées par les contribuables lors des recours fiscaux. Ici encore, la lettre du ministre est précise. " Les frais acquittés par les contribuables, au moment où ils initient des recours devant les juridictions fiscales, ne sauraient être assimilés aux cautionnements au sens de la loi régissant les dépôts et consignations. ". Ce passage met fin à une controverse juridique. Pour la CDEC, ces sommes pouvaient entrer dans son champ d'action en tant que dépôts de garantie. Pour le ministère des Finances, elles relèvent des procédures fiscales et ne constituent pas des consignations au sens strict.
La CDEC ambitionnait également de gérer les avoirs criminels confisqués par les tribunaux. Ces ressources, potentiellement substantielles, sont sensibles sur le plan politique et symbolique. Le ministre tranche là aussi, en rappelant la pratique officielle. " Ces fonds sont logés auprès de la Société de recouvrement des créances (SRC), qui a, entre janvier 2022 et juin 2025, recouvré 16,8 milliards de FCFA sur un volume nominal de 208,9 milliards. "
Perton Biyiha
La Rédaction
Publié le 08/09/25 17:35