Ce que le Mali perd réellement avec les sanctions de la CEDEAO

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La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a imposé des sanctions supplémentaires au gouvernement malien pour manifester son mécontentement face au chronogramme pour l'organisation d'élections démocratiques proposé par la junte au pouvoir dans le pays depuis le coup d'Etat du 18 août 2020.

Cette nouvelle grille de sanctions s'avère particulièrement sévère en raison de la gravité des sanctions économiques et financières qu'elle comporte. Il s'agit notamment de "la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la CEDEAO et le Mali".

Qu'est-ce que cela implique réellement ?

Décryptage des sanctions financières

Au niveau des sanctions financières, la première matérialisation s'est traduite par l'annulation d'une opération de levée de fonds d'un montant de 30 milliards FCFA sur le marché monétaire de l'UEMOA initiée par le gouvernement malien le 12 janvier 2021, soit 3 jours après la mise en œuvre des sanctions de la CEDEAO.

Voir aussi - Le Mali privé d'une levée de 30 milliards FCFA sur le marché de l'UMOA

Il s'agissait d'une émission de bons du trésor destinée à mobiliser la somme de 30 milliards FCFA, un instrument d'emprunt généralement utilisé par les Etats pour financer des dépenses urgentes.

Cette situation donne une idée de l'ampleur des mesures financières imposées au gouvernement malien. En clair, le Mali se voit ainsi priver d'importantes ressources pour le financement de ses dépenses courantes telles que les dépenses de fonctionnement et de personnel.

Le pays devrait également se passer de certaines dépenses d'investissement financées par emprunts sur le marché financier de l'UEMOA ainsi que ceux contractés auprès des institutions de financement de la CEDEAO, en particulier la BIDC et la BOAD.

Un important emprunt de près de 900 milliards FCFA réalisé sur le marché financier local en 2021

A titre d'illustration, le Mali avait emprunté 675 milliards FCFA sur le marché financier de l'UEMOA via l'émission de titres publics en 2020. En 2021, ces emprunts se sont élevés à 897,5 milliards FCFA, dont 150 milliards FCFA mobilisés sur le marché financier de l'Union contre 747,5 milliards FCFA sur le marché monétaire.

Le Mali avait en outre bénéficié d'un don projet de 3,03 milliards FCFA de la BOAD (Banque Ouest-africaine de développement) en 2020, d'après la BCEAO.

Il apparaît ainsi qu'en cas de maintien de ces sanctions, le gouvernement malien dont la dépendance à la mobilisation des ressources locales est avérée, éprouvera d'énormes difficultés pour financer son budget 2022 qui est ressorti à 2 130,72 milliards FCFA au niveau des recettes, contre 2 748,29 milliards FCFA pour les dépenses, selon la loi des finances 2022.

Par ailleurs, le gel des avoirs de la République du Mali dans les comptes des Banques centrales de la CEDEAO, en particulier dans celui de la BCEAO, aura, entre autres conséquences, la limitation de la capacité du pays à importer des biens en dehors de la zone franc.

Ces sanctions financières d'une extrême gravité sont aussi couplées à des sanctions économiques.

Décryptage des sanctions économiques

S'agissant des sanctions économiques, elles ont trait à la cessation de toutes transactions commerciales entre les pays de la CEDEAO et le Mali. L'application stricte de cette mesure privera le Mali de partenaires commerciaux de poids et entraînera indéniablement des conséquences fâcheuses sur l'économie du pays.

En effet, la CEDEAO est la principale région ayant commercé avec le Mali durant les 9 premiers mois de 2021. La valeur des échanges de biens entre le pays et cette zone est ressortie à 956,21 milliards FCFA fin septembre 2021, devant la SADC, la Communauté de développement de l'Afrique australe, avec 862,28 milliards FCFA et l'Union européenne (337,98 milliards FCFA).

Les principales régions ayant commercé avec le Mali à fin septembre 2021

                                                                                         Source : Instat

Dans le détail, le Mali a exporté des biens en direction des pays de la CEDEAO à hauteur de 100,97 milliards FCFA fin septembre 2021, contre une valeur des importations de 855,24 milliards FCFA sur la même période.

Parallèlement, en concentrant 92,46% (884,12 milliards FCFA) des échanges globaux de la CEDEAO avec le Mali sur les 9 premiers de 2021, la zone UEMOA est le véritable catalyseur des échanges avec le Mali en Afrique de l'Ouest.

Le Sénégal et la Côte d'Ivoire, principaux partenaires économiques du Mali au sein de la CEDEAO

Dans cette région, 2 pays se révèlent comme étant les principaux partenaires économiques du Mali. Il s'agit notamment du Sénégal et de la Côte d'Ivoire dont la valeur des échanges avec le pays s'est établie respectivement à 488,44 milliards FCFA et 265,92 milliards FCFA fin septembre 2021.

Le Sénégal, par exemple, est le principal fournisseur du Mali avec une valeur des importations de 464,2 milliards FCFA sur la période, devant la Chine (461,28 milliards FCFA). Il est suivi par la Côte d'Ivoire qui est quant à elle le second plus important fournisseur du Mali en Afrique de l'Ouest avec 265,92 milliards FCFA de produits exportés.

Valeur des échanges des principaux partenaires commerciaux du Mali au sein de la CEDEAO, fin septembre 2021

                                                                                                              Source : Instat

Cependant, toute relation commerciale s'appréhendant sous le prisme de l'interdépendance, le Mali ne serait pas le seul pays à pâtir de cette situation. Le Sénégal, en l'occurrence, dont la balance commerciale est structurellement déficitaire (ses importations étant généralement supérieures à ses exportations) pourrait courir le risque de voir celle-ci se détériorer davantage en cas de cessation de toute transaction commerciale avec le Mali, l'un des rares pays sur lequel il détient un excédent commercial.

L'analyse de la structure des importations du Mali en provenance des autres pays de l'UEMOA révèle une prédominance des produits pétroliers. En 2020, par exemple, les produits pétroliers ont représenté 61,4% de ses importations en provenance des autres pays de l'Union, selon la BCEAO.

Au niveau de la structure des exportations du Mali vers les autres pays de l'Union, on note une prédominance des animaux vivants. Ceux-ci ont d'ailleurs représenté 33,3% des exportations maliennes vers les pays de l'UEMOA en 2020.

Ainsi, en exemptant des sanctions commerciales contre le Mali, les produits de grande consommation, les produits pharmaceutiques, les produits pétroliers et l'électricité, les pays de la CEDEAO n'ont clairement pas voulu se tirer une balle dans les pieds. De fait, les produits exemptés sont ceux là qui sont majoritairement échangés avec le Mali.

En somme, une analyse minutieuse des sanctions économiques et financières prises par les chefs d'Etat de la CEDEAO à l'encontre du Mali pourrait plonger ce pays dans une grande période d'incertitude, avec en ligne de mire un effet beaucoup plus dévastateur du côté des sanctions financières.

La croissance économique du PIB réel de 5,2% projetée en 2022 paraît donc sérieusement comprise, les pouvoirs publics devant désormais revoir les ambitions de développement à la baisse.

Dr Ange Ponou

Publié le 14/01/22 18:40

2 commentaires sur cet article. Participez à la discussion.
princedfinance


15/01/22 01:06
Et le docteur écrivit
DKG


15/01/22 11:23
Très pertinent la CEDEAO ne pouvait vraiment pas commettre l'erreur de se tirer une balle dans le pied

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