Dans une interview diffusée sur la chaîne publique Gabon 24, la ministre de la Planification et de la Prospective, Louise Pierrette Mvono, a annoncé que le Gabon s'est engagé dans le rebasage de ses comptes nationaux afin de recalculer son produit intérieur brut et d'obtenir une image plus fidèle de son économie. Elle a précisé que cette opération ne se limite pas à une simple actualisation statistique puisqu'elle s'accompagne d'une démarche innovante qui consiste à établir des comptes satellites destinés à mesurer le capital naturel du pays.
" Conscients du potentiel exceptionnel dont dispose le Gabon, nous avons initié le calcul de notre capital naturel grâce à ce que nous appelons des comptes satellites. Ces travaux visent à mesurer avec précision la valeur réelle de nos forêts, de nos ressources hydriques et maritimes — l'économie bleue —, ainsi que celle de nos mines et de notre pétrole. Cette valorisation chiffrée de notre patrimoine naturel nous offrira une base solide pour mieux le défendre et l'exploiter dans nos échanges sur les marchés financiers ", a expliqué la ministre.
Cette orientation est en phase avec les constats de la Banque mondiale dans son rapport pays sur le Gabon publié début août 2025. L'institution souligne que l'immense richesse forestière du pays constitue le socle écologique et économique de sa stratégie de développement, mais qu'elle reste chroniquement sous-évaluée dans la planification budgétaire et dans les comptes nationaux.
Selon ce rapport, le Gabon dispose de 23,6 millions d'hectares de forêts, soit plus de 90 % de son territoire, ce qui en fait un point d'ancrage essentiel du flanc ouest du bassin du Congo, un bastion mondial pour la séquestration du carbone, la protection de la biodiversité et la régulation hydrologique.
Voir aussi - Grâce au soutien de la BAD, le Congo veut réviser son PIB pour refléter sa véritable richesse
Grâce à ces vastes forêts préservées, le pays figure parmi les rares puits de carbone nets au monde, absorbant plus de dioxyde de carbone que le volume total de ses propres émissions. Toujours selon la Banque mondiale, ces forêts stockent des milliards de tonnes de carbone, contribuent à stabiliser les régimes pluviométriques et soutiennent la subsistance ainsi que les revenus des populations rurales, tout en fournissant un habitat crucial à des espèces menacées au niveau mondial.
Le rapport publié début août 2025 indique également que le produit intérieur brut et les autres indicateurs conventionnels ne tiennent pas compte de la contribution économique de cette richesse écologique, ce qui accroît les risques de surexploitation, de sous-investissement dans la conservation et de distorsion dans la planification du développement à long terme.
Les données présentées par la Banque mondiale montrent que la valeur totale des services fournis par les écosystèmes forestiers au Gabon a presque doublé entre 2000 et 2020, passant de 22,6 mille milliards de FCFA (39,4 milliards de dollars) à 43,2 mille milliards de FCFA (75,1 milliards de dollars). Plus de 99 % de cette valeur est liée à la rétention du carbone, estimée à 74,7 milliards de dollars en 2020. À titre de comparaison, le rapport précise que le PIB réel du Gabon s'élevait à 15 milliards de dollars en 2020, ce qui illustre l'ampleur de l'écart entre les indicateurs classiques et la valeur réelle du capital naturel.
La Banque mondiale observe que certaines activités comme l'exploitation du bois, de la faune ou le tourisme sont déjà intégrées au PIB, mais les méthodes de calcul diffèrent. Ainsi, le rapport note que l'extraction de bois a été évaluée en 2020 par les comptes des écosystèmes forestiers à 134 millions de dollars, soit 0,9 % du PIB, alors que les comptes nationaux l'estimaient à 214 millions de dollars, soit 1,4 % du PIB. L'institution précise que l'exploitation forestière informelle et les différences méthodologiques expliquent ces écarts.
Le rapport souligne également que certains services forestiers comme la rétention des sédiments et du carbone influencent indirectement le PIB en tant qu'intrants à la production agricole et énergétique. Par exemple, les services de rétention des sédiments sont essentiels pour la production d'hydroélectricité, tandis que la régulation climatique par les forêts contribue à la productivité agricole. La valeur de ces services pour l'économie nationale a été estimée à 89 millions de dollars en 2020, mais le rapport rappelle que cette somme reste minime par rapport à la valeur globale créée pour le reste du monde.
Selon la Banque mondiale, le coût social des services de rétention du carbone fournis par les forêts gabonaises atteignait 57 milliards de dollars en 2020, un montant considérablement supérieur à la valeur marchande réelle du carbone, limitée par la faible demande, les problèmes de vérification et l'absence d'un marché international structuré.
Voir aussi - Après 2018, le Burkina Faso envisage recalculer son PIB pour mieux valoriser son capital naturel
Dans le même rapport, l'institution rappelle que malgré des progrès notables et la reconnaissance internationale du Gabon en matière de politiques climatiques, le pays ne pourra pas tirer pleinement parti de la valeur de ses forêts sans un mécanisme mondial de compensation. Le texte mentionne notamment l'article 6 de l'Accord de Paris et l'initiative REDD+ comme cadres de coopération possibles, tout en soulignant que le sous-développement des marchés du carbone, le manque d'engagements fermes des acheteurs et les difficultés liées à la mesure et à la vérification des crédits carbone freinent toute perspective d'évolution significative à court terme.
La Banque mondiale conclut que, sans réformes substantielles au niveau international et sans une coopération renforcée, le Gabon ainsi que d'autres pays du bassin du Congo continueront à fournir gratuitement au reste du monde des services essentiels de rétention du carbone. Pour l'institution, l'ajustement des indicateurs macroéconomiques afin d'intégrer l'évolution de la richesse issue du capital naturel, de son épuisement ou de son accumulation, constituerait une nouvelle approche pour mieux évaluer l'état réel de la richesse nationale et donner au pays des arguments supplémentaires dans ses négociations financières.
Fanuelle YAO
La Rédaction
Publié le 21/08/25 17:52