La dette publique africaine a presque que triplé en une décennie. Valorisé à plus de 1 800 milliards de dollars, cet endettement reflète à la fois l'ambition d'investir massivement dans les infrastructures et la nécessité de soutenir les économies face à une succession de chocs sanitaires, sécuritaires, climatiques et financiers. Si le ratio dette PIB marque une légère décrue grâce au redressement de la croissance et aux efforts d'assainissement budgétaire, la réalité est plus complexe et nettement plus préoccupante.
Derrière la stabilisation apparente se cache en effet une montée des risques, alimentée par la transformation profonde de la structure de la dette et par la flambée du coût de son service.
Une dette qui gonfle en valeur nominale mais s'allège légèrement en proportion du PIB
Entre 2014 et 2024, la dette publique africaine a bondi de près de 170%, franchissant la barre symbolique des 1 800 milliards de dollars. Les besoins de financement des infrastructures ont joué un rôle majeur, renforcés par la pression sur les dépenses publiques pour répondre aux crises successives.
Pourtant, les indicateurs rapportés au PIB montrent un début de détente. Le ratio dette sur PIB devrait passer de 63,9% en moyenne sur la période 2023-2024 à 62% en 2025, puis à 61,4% en 2026, selon l'édition de novembre 2025 de la Performance et Perspectives macroéconomiques de l'Afrique de la Banque africaine de développement. Cette évolution résulte d'un rebond de l'activité économique et d'une consolidation budgétaire dans plusieurs pays.
Mais cette lueur d'amélioration reste fragile, car elle masque une vulnérabilité croissante liée à la qualité et au coût de ces emprunts.
Le poids croissant des créanciers privés renchérit la facture
Le changement majeur de la décennie se trouve dans la structure de la dette. La part des emprunts commerciaux a grimpé de 35% en 2010 à 46% aujourd'hui. Le recours massif aux eurobonds et aux prêts hors Club de Paris a certes permis d'accéder à des volumes de financement importants, mais au prix d'un service de la dette plus élevé, plus volatil et plus sensible aux cycles internationaux.
Dans un contexte de remontée rapide des taux mondiaux et d'appréciation du risque souverain, cette exposition accrue aux marchés a mécaniquement renchéri les remboursements.
La montée de la dette intérieure crée un risque bancaire inédit
Face à l'accès limité aux financements extérieurs et à la faiblesse des recettes publiques, les pays africains ont renforcé leur recours à l'endettement intérieur. Celui-ci représente désormais 38% de la dette totale, contre29% en 2010, soit près de 500 milliards de dollars. Dans les économies dotées de marchés obligataires plus mûrs, la part dépasse 50% depuis 2021.
Les banques commerciales sont les principaux acheteurs des obligations d'État, ce qui renforce l'interdépendance entre la stabilité des finances publiques et celle du secteur bancaire. Cette concentration est devenue un canal de transmission direct du risque budgétaire vers le système financier, au détriment du crédit au secteur privé et de l'investissement productif.
Le cas du Ghana illustre l'ampleur des dommages potentiels. Lorsque le pays a fait défaut en 2022, près de la moitié de sa dette était détenue par des créanciers domestiques. La restructuration de 17,5 milliards de dollars a provoqué une contraction de 9,5% du crédit au privé un an plus tard.
Un service de la dette devenu insoutenable pour un nombre croissant de pays
La charge du service de la dette explose. La part moyenne des recettes publiques consacrée au remboursement de la dette extérieure est passée de 11,7% en 2011 à plus de 31% en 2024.
Les paiements d'intérêts absorbent à eux seuls 6,3% des recettes publiques, et dépassent 10% dans des pays comme l'Angola, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Sénégal ou la Zambie. Plus inquiétant encore, dans 25 pays africains, les dépenses d'intérêts ont dépassé les dépenses de santé entre 2021 et 2023.
En septembre 2025, 7 pays étaient déjà en situation de surendettement avéré, et 13 autres présentaient un risque élevé.
Les cinq failles structurelles qui menacent la soutenabilité de la dette
Plusieurs facteurs interdépendants expliquent la vulnérabilité persistante des finances publiques africaines. Le premier facteur est la hausse du coût de l'argent. L'augmentation des taux internationaux et la dépréciation des monnaies locales alourdissent mécaniquement le service de la dette.
Le deuxième facteur réside dans la gouvernance. Le manque de transparence et la fragmentation entre créanciers bilatéraux, privés et émergents allongent et complexifient les restructurations.
Le troisième facteur est fiscal. Les recettes publiques restent faibles, avec des ratios impôts PIB qui plafonnent à 14% en moyenne, limitant l'autonomie budgétaire.
Le quatrième facteur relève des chocs externes. La volatilité des prix des matières premières, les événements climatiques extrêmes et les conflits renforcent les tensions budgétaires.
Le cinquième facteur tient à la gestion publique. Les failles dans l'exécution budgétaire, l'augmentation des subventions aux entreprises publiques, les engagements hors budget et les passifs conditionnels aggravent le risque.
L'Afrique entre dans une phase où la soutenabilité de sa dette dépend autant de réformes internes que d'un changement de cadre international. La consolidation budgétaire et le renforcement des finances publiques doivent s'accompagner d'une architecture mondiale de restructuration plus efficace, d'un partage plus équitable des risques et d'un meilleur accès aux financements concessionnels.
Sans cette combinaison, la spirale actuelle deviendra plus difficile à enrayer et continuera de peser sur la croissance, l'investissement productif et les perspectives de développement du continent.
Dr Ange Ponou
Publié le 27/11/25 13:23


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