Côte d'Ivoire : Gel des nouvelles usines de première transformation d'hévéa et palmier à huile

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Dans un contexte de forte dynamique agro-industrielle, le gouvernement ivoirien, à travers le ministère de l'Agriculture, du Développement rural et des Productions vivrières, a pris, début juin, une décision stratégique en gelant la délivrance de nouvelles autorisations d'installation ou d'extension d'usines de première transformation dans les filières hévéa (caoutchouc) et palmier à huile. Une annonce qui, si elle peut surprendre au premier abord, s'inscrit dans une logique économique rigoureuse de régulation des capacités industrielles.

Surcapacité industrielle ?

Lorsqu'on parle de surcapacité industrielle, cela signifie simplement que les usines installées dans un pays ont la capacité de traiter beaucoup plus de matière première qu'il n'en existe réellement sur le territoire. En clair, trop d'usines, pas assez de matières à transformer. Cela peut entraîner une guerre des prix, des pertes économiques pour les entreprises, une baisse de qualité, voire des faillites.

C'est précisément ce que l'État ivoirien veut éviter.

Les chiffres qui justifient la décision

Selon les données officielles, le taux de première transformation de l'hévéa, c'est-à-dire la part de caoutchouc naturel transformée localement en produits semi-finis comme les blocs de caoutchouc (TSR20), atteignait déjà 80% en 2021, pour une production nationale de plus de 1,6 million de tonnes en 2023.

Côté palmier à huile, le taux de première transformation stagne autour de 50%, ce qui signifie que la moitié des régimes de palme produits sont transformés localement en huile brute, l'autre étant vendue fraîche ou traitée de façon artisanale.

Autrement dit, dans le cas du caoutchouc, le pays a presque atteint sa capacité maximale de traitement de la production locale, et toute nouvelle usine risque d'entrer en concurrence frontale avec des structures déjà existantes. Quant au palmier à huile, les investissements devraient plutôt viser à améliorer l'efficacité ou à remonter la chaîne de valeur.

Une régulation assumée par la loi

La mesure s'appuie sur l'article 16 de la loi de 2017 relative à la régulation des filières hévéa et palmier à huile. Cet article permet au ministère de suspendre l'octroi de nouvelles autorisations, lorsque l'équilibre entre production agricole et capacité industrielle est menacé.

Il ne s'agit donc pas d'une interdiction permanente, mais d'un moratoire destiné à assainir le marché, à éviter la spéculation et à redéployer les investissements vers des segments à plus forte valeur ajoutée.

Encourager la deuxième transformation

Dans son communiqué, le ministère oriente désormais les investisseurs vers la deuxième transformation, une étape qui consiste à transformer les produits semi-finis (comme les blocs de caoutchouc ou l'huile de palme brute) en produits finis ou industriels, comme les pneus, semelles, latex médical, savons, cosmétiques, biodiesel, etc.

Autrement dit, l'État ivoirien ne freine pas l'investissement industriel, il cherche à le réorienter vers des activités plus porteuses d'emplois qualifiés, de devises, et de compétitivité à l'exportation.

Cela s'inscrit parfaitement dans la logique de montée en gamme du secteur agro-industriel ivoirien, inscrite dans le Plan national de développement (PND 2021–2025).

Alors que beaucoup de pays africains tentent d'attirer à tout prix des investissements dans l'agro-industrie, la Côte d'Ivoire fait le pari de la qualité plutôt que de la quantité. Elle mise sur une approche rationnelle pour éviter les erreurs du passé, comme les installations industrielles fantômes ou sous-utilisées, ou les tensions entre industriels et producteurs.

En Afrique, plusieurs pays confrontés à des déséquilibres similaires n'ont pas toujours anticipé les risques liés à une prolifération incontrôlée d'unités de transformation. Le Nigéria, par exemple, a vu de nombreuses huileries tourner en deçà de leur capacité, faute de régulation efficace du secteur.

En somme, la Côte d'Ivoire choisit de réguler plutôt que de subir, dans deux filières majeures pour son économie rurale et industrielle. Avec ce gel partiel, elle s'offre le temps de structurer une stratégie plus cohérente, davantage tournée vers la création de valeur et la transformation locale avancée.

Dr Ange Ponou

Publié le 18/06/25 13:06

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