Le marché mondial du cacao au centre d’une guerre larvée de l’information ?

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Après une flambée historique qui a propulsé les prix du cacao à des niveaux inédits, le marché mondial semble désormais balloté par une bataille discrète mais déterminante : celle de l'information. Dans un écosystème où quelques données peuvent faire basculer des milliards de dollars, les pays producteurs, maillon le plus vulnérable de la chaîne, se retrouvent une fois de plus exposés aux contrecoups d'une spéculation alimentée par des signaux contradictoires. 

La récente publication des statistiques trimestrielles de l'ICCO, l'organisation mondiale du cacao basée à Abidjan, illustre parfaitement cette tension. Selon la note statistique du 28 novembre, l'excédent de la production mondiale de fèves (de la dernière campagne) a été réévalué à 49 000 tonnes, contre 142 000 tonnes précédemment ; une chute de 66 % qui aurait, en temps normal, dû soutenir durablement les cours. Et de fait, les prix ont poursuivi leur remontée initiée le 25 novembre sur les marchés à terme de Londres et New York. 

Mais à peine trois jours plus tard, le 2 décembre, les marchés se sont retournés. Non pas à la faveur d'un changement fondamental, mais après la diffusion d'informations non sourcées affirmant que la Côte d'Ivoire, premier producteur mondial, aurait atteint 1,8 million de tonnes en 2024/25 et pourrait approcher les 2 millions dans la campagne en cours. Ces chiffres contredisent clairement les données de l'ICCO, qui établit la récolte ivoirienne à 1,681 million de tonnes, en hausse de seulement 0,4 %, de quoi interroger sur une anticipation irréaliste d'un bond de plus de 300 000 tonnes dans le contexte climatique actuel. 

Ce décalage entre données officielles et narratif médiatique n'est pas anodin : pour les États producteurs, principalement en Afrique de l'Ouest, la propagation de chiffres approximatifs n'a rien d'inoffensif. Elle favorise les opérateurs capables de spéculer à court terme, tandis que les gouvernements voient leurs recettes en devises s'éroder.

Après avoir relevé les prix bord-champ pour soutenir les planteurs, plusieurs pays pourraient aborder la campagne 2026 dans une configuration budgétaire plus tendue.

Derrière cet épisode se dessine un phénomène plus profond : une lutte pour contrôler le récit autour des matières premières critiques. Dans un marché aussi sensible que celui du cacao, où se croisent intérêts étatiques, industriels, financiers et médiatiques, la frontière entre analyse, influence et manipulation devient parfois floue. Dans ce contexte, la rigueur statistique et la transparence demeurent les seules digues efficaces, encore faut-il qu'elles ne soient pas noyées sous le bruit ambiant. 

Pour les pays producteurs, l'enjeu est existentiel : s'ils ne reprennent pas l'initiative dans la maîtrise de l'information, ils continueront de subir un marché où le récit pèse parfois plus lourd que les récoltes elles-mêmes.

Jean Mermoz Konandi

Publié le 05/12/25 16:50

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