Dans son mix énergétique encore trop dépendant des combustibles fossiles, la Côte d'Ivoire compte de plus en plus sur les énergies renouvelables : éolien, solaire, mais aussi la biomasse qui permet de fabriquer de l'électricité à partir des déchets agricoles. Une énergie d'avenir.
En Côte d'Ivoire comme ailleurs, il est désormais urgent de changer le mix énergétique au profit des énergies renouvelables. Selon les chiffres 2023 de l'Africa Energy Portal, le pays est encore trop dépendant des combustibles fossiles : 69% de son électricité vient du thermique (quatre centrales), 30% de l'hydraulique (sept barrages en service) et 1% du solaire. À Yamoussoukro, le gouvernement ivoirien a donc établi un Pacte National Energie afin de "garantir l'accès à une énergie abordable, fiable, inclusive, durable et propre pour toute la population ivoirienne". D'ici 2030, l'objectif de ce Plan est d'atteindre 45% de production électrique à partir de sources renouvelables. Si les ambitions gouvernementales peuvent paraître trop élevées, les autorités comptent beaucoup sur les investissements privés pour relever le défi. Dans le panel de solutions, la biomasse attire désormais toute l'attention des pouvoirs publics et de leurs partenaires industriels.
La plus grande centrale d'Afrique de l'Ouest
Qu'est-ce que la biomasse exactement ? C'est tout simplement l'ensemble des matières organiques – animales et végétales – qui peuvent devenir sources d'énergies, soit par combustion directe (le bois de chauffe), soit par fermentation (selon le procédé de méthanisation pour fabriquer du biogaz), soit enfin par transformation chimique (pour fabriquer des biocarburants). En Côte d'Ivoire, le potentiel est là grâce au secteur agricole dont les déchets peuvent – et même doivent – être valorisés plutôt que d'être jetés. Le pays a d'ailleurs des arguments en la matière : il est le premier producteur mondial de cacao et de noix de cajou, le 2e producteur africain d'huile de palme, le 7e producteur mondial de caoutchouc, etc. De toute évidence, notre industrie agricole constitue un argument majeur pour l'essor de la biomasse.
Le premier grand projet qui doit bientôt entrer en service est la Centrale Biovéa située à Aboisso, à 100 km à l'Est d'Abidjan. Son carburant ? Les résidus de palmiers à huile des plantations voisines du groupe SIFCA, l'un des leaders ouest-africains de l'agro-industrie. Avec ses deux turbines, cette unité de production permettra de produire 46MW d'électricité verte. Cette histoire mérite d'abord un coup d'œil dans le rétroviseur : c'est en décembre 2019 que le gouvernement présidé par Amadou Gon Coulibaly signe le contrat qui verra la Côte d'Ivoire se doter de la plus grande centrale d'Afrique de l'Ouest, alimentée à partir de déchets agricoles. Biovéa Energie – la nouvelle entreprise ainsi créée par SIFCA, le fonds d'investissement Meridiam et EDF, respectivement à hauteur de 24% ; 36% et 40% – répondra aux besoins en électricité de 1,7 million d'habitants. Avec plus de 200 millions d'euros d'investissement (131 milliards de francs CFA), ce projet permet surtout à la Côte d'Ivoire de se lancer avec force dans la biomasse. "Il s'agira de la première centrale électrique connectée au réseau utilisant ce type de biomasse, se félicite Meridiam. Le projet valorisera le gisement inexploité de déchets de biomasse d'Aboisso et est reproductible dans d'autres bassins agricoles. Il se veut multisectoriel et apportera une valeur ajoutée concrète à l'économie régionale grâce à la commercialisation de la biomasse, à la production d'énergie et au soutien à l'agriculture." Une bonne nouvelle pour l'ensemble de l'économie ivoirienne.
Outre la production d'électricité, cette première grande centrale présente en effet de nombreux avantages : elle permettra à la Côte d'Ivoire de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 4,5 millions de tonnes de CO2 sur 25 ans et aura des retombées positives notables pour le monde agricole et les communautés locales. "La centrale électrique, d'une puissance de 46 mégawatts, sera alimentée par environ 520 000 tonnes de déchets de palmiers, fournis par PALMCI, filiale du groupe SIFCA", détaille David Billon, directeur général de Biokala, filiale du groupe SIFCA. Quelque 12000 planteurs de palmiers de la région seront ainsi inclus dans la boucle : ceux-ci vendront leurs déchets ce qui leur assurera une hausse de 20% de leurs revenus annuels, et ils bénéficieront en bout de chaîne des cendres de combustion de la centrale qu'ils pourront utiliser comme fertilisants. C'est ce qui s'appelle de l'économie circulaire bien pensée. De plus, les dirigeants du projet mise sur la création de plus d'un millier d'emplois en phase opérationnelle.
Mettre en place un écosystème cohérent
Pour réussir son pari, l'État ivoirien a donc fait le choix de développer des partenariats avec des acteurs publics et privés venus de l'étranger. Un esprit de coopération gagnant-gagnant pour toutes les parties, esprit qui anime de plus en plus d'investisseurs extérieurs, comme la Belgique et l'Union européenne. "Le partenariat entre l'Union européenne et Enabel – l'agence belge de coopération internationale – a beaucoup grandi au fil des ans, remarque Francesca Di Mauro, ambassadrice de l'Union européenne auprès de la Côte d'Ivoire. Pour le moment, nous avons un portefeuille d'un montant total de 22 millions d'euros, qui inclut le travail sur le cacao durable et l'appui aux coopératives cacaoyères. Nous en avons aussi une partie sur la biomasse, c'est-à-dire la production d'énergie renouvelable pour cuisiner avec une énergie propre." C'est dans le cadre de sa stratégie Global Gateway que l'Union européenne investit dans des partenariats public-privé, afin de relever les défis posés par le changement climatique. Parmi ces défis : freiner la déforestation, accélérer l'économie circulaire et créer de nouveaux emplois agricoles alors que les exodes ruraux ont saigné les campagnes par vagues successives, en Côte d'Ivoire comme ailleurs.
Parmi les projets soutenus par les Européens, l'usine de biomasse Divo – projet conjoint entre Climate Fund Managers (CFM) et la Société Des Energies Nouvelles (SODEN) – promet de générer 550GWh d'électricité renouvelable à partir de déchets agricoles de l'industrie du cacao à partir de 2029. "L'usine de Divo offre une solution innovante et évolutive pour répondre aux objectifs énergétiques et climatiques de la Côte d'Ivoire, avance Yapi Ogou, PDG de l'entreprise ivoirienne SODEN. Chaque année, la production de cacao laisse derrière elle des millions de tonnes de déchets inutilisés et sans valeur économique pour les producteurs. En exploitant cette ressource inexploitée pour produire une énergie propre et fiable, nous transformons un défi national en opportunité de croissance durable, de prospérité rurale et de renforcement de la résilience du système énergétique." Cette centrale située à 200km au nord-ouest d'Abidjan permettra d'éviter l'émission de quelque 300000 tonnes of CO₂ par an. Ce projet, supervisé par l'État ivoirien, répond lui aussi aux exigences techniques, financières et environnementales les plus pointues. Selon le ministère ivoirien des Mines, du Pétrole et de l'Energie, d'autres centrales de biomasse sont dans les cartons, comme une unité de 25MW (fonctionnant à base de tiges de coton) à Boundiali et une autre de 20MW à Gagnoa (déchets de cacao).
Pour réussir, il ne s'agira pas uniquement d'investir dans les infrastructures : il faut aussi investir dans les ressources humaines car la biomasse nécessite des savoir-faire qu'il faut cultiver en Côte d'Ivoire même. Il est hors de question pour les autorités de passer à côté de cette opportunité pour la jeune génération. En partenariat avec l'institution allemande de coopération GIZ, l'Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (UFHB), l'Université Nangui Abrogoua (UNA) et l'Université Virtuelle de Côte d'Ivoire (UVCI) sont en train de développer des formations commerciales et techniques dédiées aux énergies renouvelables dont la biomasse. Selon Toka Arsène Kobea, enseignant à l'UFHB, "l'efficacité énergétique, l'énergie solaire photovoltaïque et la biomasse sont des axes stratégiques pour la Côte d'Ivoire. Ce programme marque un tournant décisif dans notre stratégie pour un avenir énergétique durable et résilient". L'objectif désormais est de créer un écosystème cohérent, entre industrie et ressources humaines adaptées.
Selon le plan national d'énergies renouvelables (PANER 2014‑2030), la Côte d'Ivoire mise sur la biomasse pour développer la production d'électricité verte, cette dernière devant atteindre environ 750MW de capacité installée d'ici 2030. À cette date, une quinzaine de centrales en tout devraient avoir vu le jour. Soit autant d'opportunités d'investissement dans le pays.
La Rédaction
Publié le 02/12/25 16:44


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